camPoche 10


GEORGES PIROUÉ

Tu reçus la naissance

Récit
2005. 368 pages. Prix: CHF 18.–
ISBN 2-88241-149-9, EAN 9782882411495


Biographie


…On pourrait placer cette autobiographie dans le sillage de celle d’un Elias Canetti. Elle nous révèle à travers les aléas incertains d’une vie, pourtant apparemment identique sur bien des points à tant d’autres, l’histoire complexe d’une aventure intérieure et qui, sous l’effet d’une alchimie qui restera toujours mystérieuse, aura su accoucher d’un de nos plus éclectiques écrivains, l’un des rares chez nous, en Suisse, à avoir su porter à son point le plus exigeant le difficile métier d’écrire et de vivre.

JEAN-BAPTISTE MAUROUX, La Liberté, 1991


Dans Tu reçus la naissance, Georges Piroué effeuille le temps de son enfance et s’attarde avec tendresse sur la nature humaine. Peu à peu le décor est planté: une petite bourgade du Jura suisse. C’est là que s’éveille sa sensibilité musicale, littéraire et érotique, entre une mère au bon sens rustique et un père pieux. Promu à l’école du savoir, il rend hommage à Molière, «pirandellien avant la lettre», et à Baudelaire, ce frère maudit qui lui a inculqué le sens de la langue française. Mais c’est aussi à la musique, complice de ses premiers moments de bonheur, qu’il rend grâce. Une très belle autobiographie.

L’Événement du jeudi, 1991


On connaissait surtout Piroué par l’intermédiaire d’autres écrivains, qu’il a analysés, traduits, dépecés. Ici, il se prend lui-même pour objet d’étude: il expose avec une jubilation rare son enfance, son apprentissage de la vie dans sa famille jurassienne. Il se montre à la fois tendre et lucide envers ce monde qui l’a formé. Composé de courts textes qu’on pourrait lire indépendamment les uns des autres, Tu reçus la naissance est aussi un remarquable témoignage sur l’éveil d’un jeune homme à la littérature.

L’Humanité, 1991


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La collection camPoche, de l’éditeur urbigène Bernard Campiche, s’est enrichie ce printemps de plusieurs nouvelles publications, au nombre desquelles figure un attachant récit autobiographique de Georges Piroué.

Né en 1920, celui-ci passa son enfance et son adolescence à La Chaux-de-Fonds puis, licence et doctorat ès lettres en poche, s’en alla faire carrière à Paris: jeune écrivain, il y devint aussi directeur littéraire dans une importante maison d’édition française. Retiré dans le val de Loire à sa retraite, il est décédé au début de cette année.
Notre auteur naquit dans une famille de condition modeste, dans laquelle le père, ouvrier graveur horloger, s’établira petit patron pour finir, en raison de la grande crise économique des années trente, en modeste «artisan en chambre» – comme l’on disait alors de celui qui, devant limiter les frais, était contraint de travailler à domicile. Ce père, homme droit et pieux, conforma sa conduite à ses convictions protestantes; «ancien d’Église», autrement dit conseiller de paroisse en terre vaudoise, il n’aspira nullement à la richesse: l’argent, chez les Piroué, ne «travaillait» pas à leur place, il ne faisait pas des petits. Pour sa part, la mère, une femme au bon sens rustique, était imprégnée de musique religieuse, celle de Bach et d’autres compositeurs du psautier réformé; cela contribua sans doute à la formation musicale de l’enfant qui, devenu adulte, ne se qualifie pas moins, rétrospectivement, de miston de quartier…
De la table familiale, Piroué se rappelle qu’à la droite du père s’élevaient les discussions sérieuses et que de la gauche provenait le chahut – au demeurant sans connotation politique; un soir, comme le chat ne mangeait pas sa soupe, peut-être trop chaude, l’enfant suggéra que l’animal attendait qu’on fît la prière… Cette courte phrase laisse pressentir ce qu’était l’encadrement familial. Peut-être sied-il d’évoquer ici une certaine conception janséniste de la vie, qui s’exprime dans une formule fort évocatrice: «la joie dans le tremblement». Mais peut-être ne faut-il pas prendre l’auteur au pied de la lettre, car un humour discret sous-tend tout son texte.
Quoi qu’il en soit, Georges Piroué subit durablement l’empreinte d’une éducation réformée dont tout le canton de Neuchâtel fut, voire reste imprégné: ne dit-on pas que même les catholiques y sont calvinistes…? Les critiques littéraires français qui consacrèrent une chronique à Tu reçus la naissance lors de sa première édition, voici bientôt quinze ans, insistent sur cette éducation réformée qui, à n’en point douter, marque Piroué : un auteur suisse, provincial et protestant, n’entre décidément pas dans le moule quasiment obligé qui façonna tant de beaux esprits parisiens!
Sans surprise, donc, on lit, sous la plume de notre auteur, qu’il ne faut point viser à la perfection, mais améliorer l’imperfection et contrôler ce qui nous porte. Ne croirait-on pas lire ici Gide, cet autre protestant pour qui il était bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant? En fin de compte, c’est à sa sœur institutrice – son aînée de treize ans – que Georges Piroué devra d’avoir été «extirpé d’une couveuse chrétienne» et introduit dans l’édifice de la musique, de la littérature et des beaux-arts.
Il serait par trop réducteur de voir uniquement, dans ce récit des années d’enfance et d’adolescence de Piroué, une simple description – certes en soi fort instructive, tout particulièrement pour des lecteurs jurassiens – de la vie dans la cité industrielle des Montagnes neuchâteloises pendant l’entre-deux-guerres. Car l’auteur prend de la hauteur pour conclure que les premières décennies de sa vie auront influé durablement sur sa vie d’adulte.
Georges Piroué écrit avoir hésité, adulte, entre la musique et la littérature: quoique à une autre échelle, il peut à cet égard être comparé à Guy de Pourtalès; il est frappant de constater par exemple, entre autres correspondances, que l’un et l’autre eurent, dans leur enfance, leur attention attirée par une sonate pour piano de Beethoven, la douzième, dite «sonate à variations»: une partition à vrai dire peu jouée en public, qui occupe une place privilégiée dans les Marins d’eau douce de Pourtalès.

BERNARD VIRET, Feuille d'avis de Sainte-Croix


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Le discret rêveur de la Loire.

La Loire ne verra plus un rêveur discret contempler son cours tranquille, comme il le faisait presque quotidiennement, depuis plus de vingt ans qu’il habitait dans les environs de Saumur.
Georges Piroué, enfant du Jura neuchâtelois, lecteur chez Denoël, romancier, nouvelliste, essayiste et traducteur, récipiendaire de plusieurs prix littéraires mais homme tranquille et secret est allé retrouver les maîtres qu’il aimait: Pirandello et Sciascia, Bach et Debussy, Proust et Thomas Mann.
On peut imaginer pires compagnons pour cet écrivain, exilé à Paris mais qui a toujours manifesté un attachement à ses racines, aux qualités des hommes de sa terre natale, des artisans amoureux de l’ouvrage bien faite, nourri de musique et dont l’image du père graveur et homme austère a sans doute influé sur sa conception d’un monde assez protestant, aux malheurs fréquents et aux bonheurs intimes, monde qu’il faut traduire dans une langue maîtrisée et précise, à mille lieux de l’écriture «lâchée» ou «parlée» qu’il n’aimait guère.
Se sentant peu à l’aise dans le roman, genre qu’il pratiqua parce qu’à son époque il fallait écrire ce type de production (c’était aussi la demande des maisons d’éditions pour lesquelles il travaillait), Piroué a excellé dans les nouvelles et les textes d’évocation où, en quelques pages, il racontait des faits et des petits drames du quotidien et mettait en lumière le travail de la mémoire, les soubassements d’une humanité dont il connaissait les limites mais sans manifester d’amertume, seulement une ironie un peu désabusée qui se traduit par une petite musique que le lecteur attentif capte sans vraiment l’identifier clairement.
La Façade et autres miroirs, Feux et lieux, Madame Double Étoile, œuvres publiées chez Denoël, manifestent les hautes qualités littéraires de Piroué et également son éloignement des préoccupations sociales et politiques de son temps, une espèce d’anhistoricité chez lui qui m’avouait avoir ressenti de la honte à côtoyer durant des années, au comité de lecture de Denoël, Jorge Semprun sans se douter le moins du monde du passé du romancier espagnol, de son histoire et de son enracinement dans les luttes politiques de notre temps.
On le comprend, dans ses romans (Le premier Étage, Ariane ma sanglante, Une si grande faiblesse) et ses nouvelles, Georges Piroué ne délivre aucun message, ne défend aucune cause mais traduit une perception d’une réalité possible, subjective et affective, réalité qui n’est pas le réel mais ce que nous pouvons percevoir du monde par la médiation de notre histoire personnelle et de nos affects.
D’un texte inédit, «À flanc de montagne», texte dans lequel Piroué raconte le trajet en train de La Chaux-de-Fonds à Neuchâtel dans les années trente, je cite la fin qui narre la sortie du tunnel lorsque l’écrivain rejoint son lieu de départ: «Sous les toits, exposés au couchant, les vitres des ateliers semblent briller des feux d’une émeute à fleur de façade, comme à Lyon chez les canuts, alors qu’à l’établi l’horloger d’antan pique la montre ici ou là d’un dard précautionneux, laissant filer à perte de vue sa pensée vers l’utopie sociale ou la songerie religieuse.
Quelquefois dans les soirées d’été les cloches des vaches retentissent vaguement jusqu’au cœur de la cité. Tantôt l’herbe, tantôt la neige est tout autour.»
Ainsi un peu hors du temps, «déphasé» dirait-on aujourd’hui, Piroué contemplait avec un peu d’effarement et de tristesse les dérives de l’édition contemporaine où ce n’est plus la qualité de la production qui compte mais son adéquation avec le goût fabriqué par le «marketing» d’un public volatile et versatile. Il s’en accommodait cependant n’étant pas un homme de combat et de rupture mais bien plutôt un homme aux idées personnelles bien ancrées qui ne voulait convaincre personne de ses propres opinions et qui détestait (là encore le calvinisme a passé par là) tout mouvement de parade et toutes les mondanités parisiennes pour lesquelles il n’avait ni goût ni talent.
Homme du passé d’une certaine manière il se plongeait probablement avec délices dans la biographie rêvée du jeune Bach (À sa seule gloire), dans l’œuvre de Pirandello (Pirandello: Sicilien planétaire) et dans l’édition de ses nouvelles complètes ou dans l’analyse des relations entre Proust et la musique (Proust et la musique du devenir), lui qui, chaque après-midi depuis sa retraite, consacrait une heure ou deux soit à l’audition soit à la pratique musicale dans sa jolie maison tourangelle de Dampierre-sur-Loire où il repose aujourd’hui dans le jardin «du haut».
Peu démonstratif mais fidèle à ses amitiés, Georges Piroué avait tout de même été reconnu par ses compatriotes et les Autorités puisqu’il avait obtenu le premier Prix de littérature du canton de Neuchâtel en 1987, ce qui l’incita à se réapproprier son propre passé (Tu reçus la naissance et Aujourd’hier), évocations de son histoire personnelle.
Georges Piroué a légué sa bibliothèque personnelle et ses archives à la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds où il se retrouvera en compagnie de certains manuscrits d’Yves Velan, de Chessex, de Monique Saint-Hélier, de Gustave Roud ou de Georges Haldas, ce qui, espérons-le, permettra de défier le silence immérité qui a entouré sa disparition en janvier passé et prouvera une fois de plus que la Suisse romande est une terre fertile pour les auteurs de qualité, fussent-ils peu médiatiques.

HUGHES WÜLSER, Le Passe-Muraille


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L’esprit libre et ironique de Georges Piroué.

Réédtion des souvenirs de l’écrivain et traducteur suisse disparu en janvier à l’âge de 85 ans.

Georges Piroué avait 70 ans passés lorsqu’il entreprit de raconter ses souvenirs d’enfance, sur le ton cru, ironique, brutal et raffiné qui était le sien. Cet homme de culture se savait redevable à la simplicité de son origine (fils d’un graveur de montres) et à la situation géographique de sa ville natale, La Chaux-de-Fonds, dans le Jura suisse. Né en 1920, dans un pays francophone tourné pourtant vers l’Italie, il hésita entre la musique et la littérature, les rattachant constamment l’une à l’autre, notamment dans sa merveilleuse biographie de la famille Bach, A sa seule gloire (Denoël, 1980).
Du milieu petit-bourgeois et calviniste dont il était issu il conserva toujours la retenue, mais aussi une forme d’intelligence lucide qui l’éloigna du monde éditorial parisien où il allait pourtant faire carrière. On ne s’étonnera qu’à demi que sa mort (le 7 janvier, à Dampierre-sur-Loire, près de Saumur, où il s’était retiré) ait tant tardé à être connue de ses amis et de ses anciens confrères. En Suisse même, on ne publia la nouvelle qu’au bout d’un mois. Non qu’il ait cherché le silence, mais il se défiait des faux succès, d’une agitation bruyante et mensongère, des amitiés intéressées.
Dans Tu reçus la naissance, réédité dans une exigeante collection de poche suisse, Georges Piroué enracinait dans son enfance la spécificité de sa sensibilité et de sa culture. Il tentait de comprendre le regard qu’il portait sur les autres, sur la société, sur la sexualité, sur la famille, sur la comédie humaine et sur le refuge qu’il avait trouvé dans la culture, musicale et littéraire. «Mon passé m’apparaît comme la ligne des Alpes au fond de l’horizon. (...) Aujourd’hui, d’où je suis, en Anjou, je la découvre pareille sur l’écran de ma pensée, comme un mur sans relief. (...) Cette double jeunesse, et de moi et des autres, est un néant intercalé. Un immense plat pays s’étend entre cette immutabilité et ma permanence. Je n’ai pas vieilli non plus parce que j’étais absent à l’autre bout de ce même plat pays.»
La ligne des Alpes est ce qui séparait et unissait la Suisse et l’Italie, à laquelle Georges Piroué devait, dans ses fonctions d’éditeur et de traducteur, consacrer tant d’énergie. Traducteur et biographe de Pirandello, il avait avec la Sicile un rapport privilégié : outre le grand dramaturge et nouvelliste d’Agrigente, il devait faire connaître en France Leonardo Sciascia et Giuseppe Bonaviri. Il étudia et traduisit également de nombreux maîtres italiens : Mario Soldati, Curzio Malaparte, Natalia Ginzburg, Corrado Alvaro, Cesare Pavese. La littérature, italienne mais aussi russe et allemande (en témoignent ses Mémoires d’un lecteur heureux, L’Age d’homme, 1997), était ce qui lui permettait de dénoncer les hypocrisies sociales et d’accéder à une intériorité mystérieuse, qu’il approfondissait sans la nimber d’inutiles obscurités.

«Tradition anarchique»

Cette relative simplicité d’approche littéraire l’affranchit de toutes modes critiques. Il avait appris auprès de Nicole Védrès (sur laquelle il écrivit une des nouvelles de Madame Double Etoile, Denoël, 1989) une forme de légèreté dans la passion littéraire. Et l’on retrouve toujours autant dans ses nouvelles (Feux et lieux, Denoël, prix Valery-Larbaud, 1979) et dans ses portraits littéraires (il en avait publié de nombreux dans la revue Le Mercure de France) que dans ses textes autobiographiques (Sentir ses racines, La Baconnière, 1977, ou J’avais franchi les monts, La Baconnière, 1987), cette fluidité sans apprêt, imperceptiblement souriante, dans laquelle il cherchait une expression de sincérité. C’est ce qui lui permit d’écrire des essais lumineux sur Proust (dont Proust et la musique du devenir, Denoël, 1960) et sur Victor Hugo (Lui, Hugo, Denoël, 1984).
Dans Tu reçus la naissance, Georges Piroué s’interroge sur l’origine de sa défiance des institutions et des préjugés, et d’un «certain esprit de famille fait d’ironie douce et d’autodérision". "Je riais, je m’associais à des rires dont l’action corrosive n’a jamais cessé de s’exercer en moi. Je leur dois beaucoup. Peut-être étions-nous simplement, sans en avoir conscience, dépositaires de la vieille tradition anarchique jurassienne. J’ai mauvais esprit et toujours, de préférence, fréquenté les mauvais esprits. J’ai appartenu à une génération animée de mauvais esprit.» Mais n’appelle-t-on pas cela plutôt la liberté ?

RENÉ DE CECCATTY, Le Monde


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