DANIEL ABIMI

LE BARON

Roman
2015. 304 pages. Prix: CHF 33.–
ISBN 978-2-88241-398-7


Biographie

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Lausanne a beaucoup de facettes. En faisant parler Laurent dit Le Baron, l’auteur nous dessine le panorama d’une ville nocturne où se croisaient noceurs, truands, homos et travestis.
Le Baron raconte, dans un langage qui n’a rien de châtié, l’époque faste où l’argent était facile et l’avenir plein de promesses.
Le «Johnnie’s» qu’il dirige a des airs de cabaret parisien où se retrouve toute la faune des nuits lausannoises jusqu’à ce que surviennent le side, un crime et la chute.
Plus que la chronique d’une époque, c’est l’histoire de toute une vie avec ses hauts et ses bas racontés avec une franchise qui n’exclut pas fines observations et judicieuses remarques. On a tout le temps l’impression d’entendre Le Baron lui-même tant l’auteur a bien su se mettre dans la peau de son personnage.

JULIETTE DAVID
, Suisse Magazine
, Nos 323-324, juillet-août 2016

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L’auteur a revêtu les tenues excentriques de Laurent, celui qui se faisait appeler «le Baron», grand organisateur des folles nuits lausannoises au Johnnie’s dans les années 70 à 80. Il parle la langue crue, sans concession de celui qui est né un 25 décembre à l’hôpital de Morges. Enfance heureuse avec de solides racines paysannes. Les saveurs de la vraie cuisine, il les apprend avec sa mère et sa grand-mère. L’école? Il s’y fait remarquer non par des résultats extravagants, mais par une attitude frontale face à l’autorité. «J’ai semé une merde épouvantable. J’étais insolent.» Sa grand-mère maternelle, femme distinguée, avait reçu une éducation raffinée. Les gens l’appelaient la Marquise.
Le lecteur se promène avec délectation dans l’enfance de Laurent. Engagé comme apprenti dans un magasin de décoration, il est fasciné par l’argenterie ancienne, les tapis dans les salons du Lausanne Palace. Il y cisèle son goût pour le luxe. Puis, il se lance dans la restauration dans une grosse brasserie à Berne. Les souvenirs d’école de recrue, il en a à la pelle. Et pas piqués des vers! Laurent n’est pas un enfant de cœur. En 72, il a une fille, un divorce sur les bras. Deux ans plus tard, sa fille se noie au Tessin. C’est à cette époque qu’il ouvre son premier restaurant. Il adorait cuisiner. Barbara vient manger chez lui, même le roi Hussein de Jordanie. Des maquereaux et des filles fréquentent  le lieu. La Brochette a été l’antichambre du Johnnie’s. La fête des Mères, c’était sacré. Sous ses airs bravaches et de dur à cuire, Laurent a le cœur tendre.
Le Johnnie’s était un club de jazz à la rue Étraz. «Je suis entré dans une petite chapelle, très douce, très chrétienne et ça a fini par une cathédrale de folie.» La clientèle afflue, également de l’étranger. Les gens sortent. Ils ont de l’argent. Pas de problème de travail. «T’avais marre de fon boulot. Tu traversais la rue, t’en trouvais un autre. Le side, on ne connaissait pas.» Il se construit un personnage «le Baron» vêtu de noir avec monocle, une canne à la main. Ça lui a collé à la peau. À Genève, à Zurich, à Paris, on l’appelle le Baron. On croise une faune bizarre au Johnnie’s: des travestis, des prostituées, des homosexuels, des gigolos. La bonne société lausannoise y accourt. Les barrières tombent. Algériens, Cambodgiens, Espagnols, Thaïlandais, Grecs, Arabes, Iraniens se pressent à l’entrée. «L’argent coulait le long de la rue de Bourg. J’avais un amant, des femmes.» Le credo était simple: vivre et laisser vivre…
Jusqu’au soir où un jeune gars tire sur une fille. Les gens sont traumatisés. Ils n’étaient pas habitués à la violence. Le Baron va essayer de tenir la barre une année encore, mais le bateau prend l’eau. Et coule.
Avant de lire «Le Baron», j’étais à cent lieues d’imaginer les nuits torrides de la ville de ma jeunesse!…
«Le Baron» est paru chez Bernard Campiche Éditeur.

ÉLIANE JUNOD
,
L’Omnibus, 19 février 2016

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«Déjà petit on m’appelait le Baron. À cause de ma grand-mère, qu’on appelait la Marquise. Mais, le truc, c’est que je devais trouver un point d’ancrage. Donc, je me suis dit: «Je vais me servir de ma gueule, de ma grande gueule, de mon physique, et de mon habillement, pour imposer quelque chose…»
C’est lui, c’est personne d’autre. T’es comme une marque…
Bien sûr, je suis resté là-dedans, ça m’a collé à la peau, ça me colle encore à la peau… Mais j’ai pu faire un tas de choses, ce n’était pas moi, c’était le Baron. D’ailleurs, presque personne ne connaissait mon nom. J’arrivais dans un restaurant c’était «Bonsoir, Monsieur le Baron…»
J’ai construit ce personnage par étapes. Tu ne te construis pas comme ça, juste d’un claquement de doigts. Et puis tu dois porter le costume partout où tu vas. À Genève, c’est aussi le Baron, à Zurich, c’est le Baron, à Paris, c’est le Baron…
Les premiers temps, ce personnage amusait. C’est qui? Mais il joue à quoi? Il est pas un peu fou, ce mec? Qu’est-ce qu’il fout? Il baise avec qui? Avec les femmes, avec les hommes?
À mesure que tu avances, ton personnage se construit, tu te sens un peu comme la reine des abeilles. Tu sens que ça va, que ça butine autour de toi. Et quand tu sens que ça prend, c’est bon, tu peux commencer à te lâcher…
Mais ça ne se fait pas en une heure, ça s’est fait en six mois… Et sans relâche, pas une minute, pas une seconde où tu peux oublier ton personnage. Faut pas décevoir les gens. Jamais. Parce que tu sais aussi que tout ce que tu as fabriqué peut s’écrouler. Et ça peut aller vite, très vite…»
(Daniel Abimi, Le Baron)

Le temps d’un récit, Daniel Abimi s’est mis dans la peau de Laurent, dit le Baron. Connu pour être l’ancien patron du Johnnie’s, temple de la vie nocturne lausannoise des années 1970 et 1980, où se mélangeaient les faunes de la nuit. Dans sa boîte, on croisait truands milanais, travestis parisiens, étudiants aux goûts incertains. Derniers dandys du siècle. Tous vivaient sans le savoir la fin d’un monde, dans une débauche souvent élégante, parfois extrême.
Ce récit retrace l’itinéraire d’un enfant gâté qui s’est brûlé à la lumière des stroboscopes avant de connaître la chute des oiseaux de nuit.
Un livre de vie, mensonges et mort. Un livre de jouissance…

Daniel Abimi, auteur de polars ancrés dans les rues sombres de Lausanne (Le Dernier échangeur, 2009 et Le Cadeau de Noël, 2012) recueille ici les confidences de Laurent, alias Le Baron, dandy tonitruant qui anima les nuits lausannoises des années 70-80, juste avant que le sida ne fasse voler en éclat l'esprit de la fête, inconséquente et dispendieuse.
Personnage rabelaisien mais aussi éminemment romanesque tant sa vie a été marquée par les coups du sort et les rebonds prodigieux, le Baron, souvent campé en cuisine, est un extraordinaire passeur qui aide les gens à se révéler à eux-mêmes à travers les plaisirs simples de l'existence comme la bonne bouffe et le sexe. Calquant sa verve, ses interjections et surtout rendant formidablement compte de son appétit de vivre, l'auteur brosse un univers interlope où les puissants côtoyaient les putes et les garçons coiffeurs.
Mais la grande surprise de cette biographie tient dans le fait de redécouvrir un monde aujourd'hui «perdu», celui de la paysannerie du Nord vaudois et de ses «saints» produits du terroirs ou celui des grandes brasseries bernoises et de ses gigantesques brigades de cuisine servant jusqu'à mille couverts ou encore celui du premier établissement de Laurent qui lui permet de dire que «si on se donne la peine on peut faire du bon.»

MARIANNE BRUN
, Viceversalitterature.ch

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Ça déménage avec ce Baron de légende

Dans ce temps qui revient, qui souffle et vous emporte dans les nuits, les fêtes et les ivresses, les délires et les drames, ces brassées de liberté et ces descentes aux enfers, pour sûr que vous allez en vivre des mondes, dans ces pages… C'est que Le Baron débarque, qu'il est bien là dans sa légende et ses histoires, ses bistrots et par exemple ses années 1970 du Johnnie's et de Lausanne. Et que sa voix grimpe, vive, dans la phrase de Daniel Abimi.

JEAN-DOMINIQUE HUMBERT
, Coop-Coopération

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Après deux polars, Daniel Abimi livre la biographie d’un personnage haut en couleur, dont beaucoup, à Lausanne, se souviennent avec nostalgie. Rédigées à la première personne, ces confessions donnent au lecteur l’impression d’entendre parler avec sa truculence légendaire Laurent Anken, de Lussy-sur-Morges où il naquit le jour de Noël 1947, et plus connu sous le nom qu’il donna à son personnage: Le Baron, seigneur des nuits canailles de la capitale vaudoise. Dans l’insouciance des années 1970-1980, son établissement, le Johnnie’s, situé à la rue Étraz, fut le rendez-vous des noctambules aux goûts éclectiques. Comme tout ce qui monte finit par redescendre, la crise, le sida et un crime de sang sonneront le glas de ce lieu si typique d’une époque à jamais évanouie.

DOMINIQUE BAEHNI
, Libraire, Payot Genève Rive-Gauche, Générations

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Plusieurs auteurs romands cassent, depuis quelques années, le cliché des villes suisses «propres en ordre» en y situant leurs polars, glauques ou violents. Daniel Abimi contribue au massacre, ressuscitant avec son Baron une figure bien connue de la «vie nocturne» (euphémisme pour dire qu’elle frôle le milieu) lausannoise de la fin du siècle dernier. Gouaille et violence, mensonges et compromissions: un petit monde pas joli-joli mais un personnage haut en couleurs brossé avec une certaine admiration et qui rappellera peut-être quelques souvenirs!

Marie-Claire. Édition suisse

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Ça baron couille

Ça vous dirait de lire les aventures d’un vieux con qui radote? Certes, dit comme ça, ça ne soulève pas l’enthousiasme. Ces gars qui vous racontent leur vie, leurs exploits, leurs échecs, leurs rencontres, c’est déjà assez pénible en vrai, alors si en plus on doit se taper leurs mémoires… Surtout qu’il en a des choses à raconter celui-là, «Le Baron», figure des nuits lausannoises à la grande époque du Johnnie’s.
C’est l’écrivain Daniel Abimi qui se charge de transmettre son message à l’humanité: «Je reste persuadé que s’il n’y avait pas eu ce meurtre, la boîte serait toujours là.» Oui, aujourd’hui c’est devenu le Jagger’s, un autre nom à la con pour une autre boîte ringarde. Toujours pas de nouveau «meurtre de merde», mais la légende continue. C’est vrai, au Johnnie’s, c’était tout de même un peu plus chaleureux: «Putes, maquereaux, banquiers, ouvriers, homos, lesbiennes… Tout était là, réuni dans cent vingt mètres carrés. C’est ce qu’on a réussi à faire. Et on a tenu dix ans.»
Mondialement célèbre entre la rue Étraz et la place Saint-François – «Enfin, célébrité, on est d’accord, une curiosité locale» –, le Baron enchaînait les frasques lors des glorieuses années 70-80. «On est con dans la vie. Mais c’est comme ça.» Bah oui, déguisements de cardinal ou Père Noël, trafic de capotes usagées, sexualité débridée, business lucratif, petit banditisme (le Baron nous apprend comment planquer de la coke sous l’étiquette d’une bouteille), c’était le bon temps, jusqu’à ce que le sida vienne plomber l’ambiance…Comment? On s’en fout un peu de la vie du Baron? Sauf que Daniel Abimi réussit ici un joli exploit littéraire: celui de faire vivre une voix, avec son langage, ses répétitions, ses contradictions, son rythme, son souffle, son monde. Un parti pris plus audacieux qu’il n’y paraît, et qui fonctionne à merveille.
Le Baron, mais mon pauvre ami, salaud, quelle charogne c’était celuil-là!

SEBASTIAN DIEGUEZ
, Vigousse

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Le Baron a été le patron du Johnnie’s à Lausanne, le pape des nuits lausannoises, le seigneur des extravagances, jouant de sa bisexualité et des permissivités des années septante pour se bâtir un personnage iconique.
Daniel Abimi se glisse dans la peau du Baron, et nous livre une biographie d’un homme de terre devenu oiseau de nuit.
Le Baron, c’est Laurent Ankern né un 25 décembre 1947 à Lussy-sur-Morges dans une famille paysanne. Rien ne prédestinait le petit Laurent à devenir cette personnalité haute en couleurs, connue de toutes et tous à Lausanne.
De son enfance campagnarde, l’homme garde les appétits généreux, l’amour des grandes tablées et de la bonne chère. Il devient restaurateur, nourrissant les corps et les âmes de plats roboratifs mais goûteux. Malade, contraint de quitter son restaurant, il reste deux ans chez ses parents. Mais il a la fête dans le sang. Petit à petit, il commence à se forger un personnage à sang bleu, sapé comme un prince, le monocle sur l’œil. Le Baron devient le gérant, en 1976, du Johnnie’s à la rue Étraz. Véritable cour des miracles, la boîte s’ouvre aux homosexuels, aux travestis, aux notables du coin venus s’encanailler, veston croisé de jour et bas résilles la nuit, aux étudiants venus voir des «pédés».
Des années folles, intenses, où l’on croise toute l’intelligentsia de la place. Ce monde s’écroulera à la fin des Trente Glorieuses, un meurtre dans la boîte et le sida auront raison du Johnnie’s. Le Baron continuera sa vie, de bistrots en sidéens, avant la retraite dans un petit appartement.
Le livre nous raconte l’homme derrière le personnage. Daniel Abimi fouille derrière le paravent des histoires personnelles et des mythologies pour tracer le parcours d’un homme de bien. Pour ce faire, l’écrivain quitte, le temps d’un livre, le monde du polar qu’il affectionne et nous livre un roman biographique tout en nuances et en hésitations, tout en errances et coups de gueules. Un livre gourmand, généreux qui dresse également le portrait d’une ville, Lausanne, et d’une époque d’avant la crise.

CATHERINE FATTEBERT
, Espace 2, Entre les lignes

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Dans la peau du Baron

Il fut une figure mémorable des nuits lausannoises des années 70-80. Daniel Abimi lui a offert sa plume le temps d’un livre singulier et très réussi

Il se prénomme Laurent mais se faisait appeler le Baron. Toujours affublé de sa canne et de son monocle, il s’était construit un troublant personnage. Dans les années 70 et 80, le Baron fut le patron du Johnnie’s, une célèbre boîte lausannoise fréquentée par les homosexuels et située dans un sous-sol de la rue Étraz. «Un lieu sans interdit où se côtoyaient au même bar truands milanais, travestis parisiens, assureurs introvertis, étudiants aux goûts sophistiqués mais encore incertains et tous ceux qui n’aimaient simplement pas la lumière du jour.» Après avoir écrit deux polars, Daniel Abimi prête aujourd’hui sa plume et sa voix à Laurent. Un très beau récit de vie, écrit à la première personne, un livre émouvant, drôle et triste à la fois, sobrement intitulé Le Baron.
Daniel Abimi a le regard perçant et l’écoute attentive. C’est un homme qui aime les gens et la ville, en particulier sa ville, Lausanne, où il situait déjà ses deux premiers livres. Pendant plusieurs mois, tous les dimanches à 16 heures, il a posé son dictaphone devant le Baron. Résultat: douze entretiens de deux heures, un million deux cent mille signes une fois retranscrits. Cette masse d’informations, l’auteur l’a ensuite patiemment élaguée, puis sculptée phrase après phrase pour rester au plus près de la parole du Baron.
Tout en créant le suspense – il nous laisse très vite entrevoir que l’aventure va mal se terminer – Daniel Abimi a conservé les digressions de son interlocuteur, ses retours en arrière, ses brusques accès de pudeur, son émerveillement gourmand, ses «nom de Dieu!» et ses «putain!». «Je voulais qu’en lisant le livre on l’entende lui. Et finalement, ça collait bien. Sa façon de parler correspond à ma façon d’écrire», se souvient-il.
Au fil des pages, le bonhomme se dessine, complexe et gargantuesque, avec ses côtés louches, son langage cru et cette humanité généreuse qui pourrait être le fil rouge de sa vie. Chaque chapitre porte un titre volontairement accrocheur qui met le lecteur en appétit, lui offre un repère dans cette vie zigzagante. «Une jeunesse à la campagne ou la préface d’une vie de fesses» inaugure le récit. Le Baron y évoque sa naissance un 25  décembre – «j’ai jamais aimé cette date» – son enfance à Lussy-sur-Morges, les femmes de sa famille, toutes «d’excellentes cuisinières». On y apprend comment pêcher la truite avec un gant, attraper les écrevisses ou nettoyer les boyaux du cochon. On y découvre le goût du Baron pour la bonne chair, une passion qui va l’amener à choisir le métier de restaurateur. Avec un premier emploi dans une brasserie bernoise où le chef fait disparaître les restes en nourrissant les rats.
Daniel Abimi, et à travers lui le Baron, possède l’art de planter un décor, d’esquisser une géographie personnelle et subjective. Avec lui, Lausanne devient une scène de théâtre où chaque boutique et chaque commerçant tiennent leur rôle. Certains lecteurs se souviendront, les autres vont imaginer l’époque où les voitures pouvaient encore descendre la rue de Bourg. Et le cœur du récit, bien sûr, c’est la grande époque du Johnnie’s, avec ses fêtes mémorables, ses notables venus en cachette assouvir leurs penchants inavouables, l’alcool, la drogue, un besoin éperdu d’amour pour certains.
Et puis le sida est arrivé. Il y eut aussi le meurtre d’une jeune femme au Johnnie’s. Un an plus tard, la boîte fermait. Mais pour le Baron, la vie ne s’est pas arrêtée là. Elle a continué, différemment. Et elle continue toujours.

MIREILLE DESCOMBES
, L'Hebdo

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Abandonnant le polar, le Lausannois Daniel Abimi nous livre le récit d’un homme truculent, qui s’était anobli tout seul pour diriger une boîte de nuit lausannoise célèbre dans les années 1970-1980

Avouons-le, on avait un doute, un gros doute. Et cela quand bien même on avait adoré son dernier polar qui se déroulait déjà dans la capitale vaudoise! Le Cadeau de Noël. Mais cette fois, sous forme de récit, le Lausannois Daniel Abimi nous propose en fait la biographie d’un drôle de gaillard, bien réel, qui fut sans doute le patron de boîte de nuit le plus célèbre de Lausanne. À savoir Le Baron, un personnage créé de toutes pièces par un Vaudois bien de chez nous puisque les parents de Laurent Anken habitaient Lussy-sur-Morges. Des gens «simples» comme on dit qui ne se doutaient pas que leur rejeton deviendrait le roi d’une cour des miracles dans la boîte de nuit qu’il a dirigée à partir de 1976, Le Johnnie’s, rue Étraz.
Un drôle de gaillard donc que l’on suit dans son enfance avant qu’il ne s’injecte du sang bleu et porte monocle. Un homme au verbe facile qui devient une publicité vivante pour sa discothèque qui marche du tonnerre de Dieu. C’est que l’argent coule à flots dans ces années-là, que le sida n’est pas encore arrivé et que le bisexuel Baron aime la fête. Il a eu la riche idée d’ouvrir ses portes au monde homosexuel et à tous ceux qui sortent de la norme. Au Johnnie’s, on croise du «pédé», des gangsters, des notables venus s’encanailler discrètement, des étudiants venus se faire un peu d’argent de poche et tant d’autres qui font scandale pour l’époque. Des années folles qui s’achèveront brutalement après un meurtre.
S’en suivront d’autres activités, mais rien à voir avec le succès du Johnnie’s. Qu’importe. Daniel Abimi nous raconte la suite, les bistrots, le travail social, les galères et même la retraite dans un petit appartement. C’est d’ailleurs la force de l’écrivain, nous tenir jusqu’au bout avec la conviction que c’est le Baron qui nous parle avec son franc-parler, son amour démesuré de la vie et de la fête. Le bonhomme est parfois agaçant, mais on ne peut s’empêcher de retenir ses bons côtés et son amour de la vie tout court. Ouais, on aurait bien aimé avoir bu un verre en ce temps-là du côté de la rue Étraz.

JEAN-MARC RAPPAZ
, Générations plus

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On pourrait dire que Le Baron de Daniel Abimi est le meilleur roman de la rentrée, si c'était un roman. Mais non. Qu'est-ce que c'est donc que ce livre? Une biographie, une confession? «Récit», annonce l'éditeur.
«Le temps d'un récit, Daniel Abimi s'est mis dans la peau de Laurent, dit le Baron.» Le Baron est un personnage bien réel, truculent, théâtral, plein de verve, de vitalité et de saveur. Ce qui pose la question des relations littéraires entre l'auteur et son personnage.
Il y a trois cas possibles quand un écrivain fait un livre basé sur un être réel qui se raconte. Celui-ci peut décider de signer le texte et de remercier son nègre en petits caractères dans une formule sibylline. Le nom des deux peut apparaître sur la couverture. Ici, on n'a que celui d'Abimi, bien que, très vite, le lecteur comprend que toute la matière vient des souvenirs du Baron.
Cela signifie que l'auteur assume complètement la forme du texte. D'où une question intéressante: quel est l'état premier des confidences du Baron, et qu'est-ce qui en a été fait littérairement?
On ne peut s'empêcher de s'interroger sur le va-et-vient entre les deux acteurs du récit en lisant ces anecdotes qui évoquent Céline, San-Antonio, Rabelais. Des anecdotes passionnantes pour une vie hors norme.
Le Baron, fils de villageois, se crée un personnage et une légende pour reprendre en 1976 une boîte de nuit à Lausanne, Le Johnnie's. «La canne, le monocle, le nœud, tout en noir. Je m'étais même inventé un arbre généalogique de sang bleu, le titre qui va avec et un château quelque part en France.»
Ce sont les années bénies, entre la libération sexuelle des années 60 et le sida des années 80. Il y a une explosion de folie, de liberté, dont le Baron profite, qu'il accompagne, dans la boîte de qui se croisent des hétéros, des homos, des mignons, des travestis, des tapineuses, où se mêlent toutes les classes sociales.
Le Baron, règne sur tout ça, picaresque, attirant, bisexuel : il a commencé tout jeune sa carrière amoureuse en se faisant dépuceler par sa cheffe de buffet, puis en couchant avec la mère, la fille, et le beau fils. Et comme dans toutes les bonnes histoires, il y a un meurtre, la chute d'un homme mythique, qui se relève, etc.
Un vrai roman, je vous dis…

Blog
d'
ALAIN BAGNOUD

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Les mémoires du Baron, figure d’une Lausanne aux nuits débridées

Dans Le Baron, Daniel Abimi retrace l’histoire rocambolesque de LaurentAnken, icône des nuits lausannoises qui s’impose dès les années 70 au Johnnie’s

«Ça y allait…», rue Étraz, en bas des escaliers du Johnnie’s… Dans la foule hétéroclite qui s’y presse, un tout jeune Daniel Abimi vient s’imprégner de la fureur jouissive qui règne dans cet endroit où l’on va danser entre copains de tous les sexes, de toutes les classes.
Dans cette même rue où son père, «le premier Albanais établi à Lausanne», avait un petit magasin, la fête va battre son plein pendant les seventies, menée du bout de sa cane par le Baron, icône classe, figure de proue d’une Romandie qui oublie un peu Calvin pour découvrir l’exubérance, le sexe et le disco. En toute insouciance, on venait y voir les homos, les travestis. Coiffeurs, secrétaires et boulangers se répartissent les nuits de la semaine, et du jeudi à la fin du week-end les âges et les milieux s’y mélangent. Au Johnnie’s, le mot d’ordre est la tolérance. Le masque social tombe, et chacun peut laisser parler ses préférences entre deux gorgées de whisky. A l’époque, tout le monde bosse et gagne sa croûte. On veut sortir, consommer et se divertir. Pour l’ambiance du Johnnie’s, les garçons qui préfèrent les garçons arrivent en secret du lointain Valais, quittent le Jura et prennent une chambre d’hôtel pour «faire la noce»pendant trois jours à Lausanne, «la paysanne endimanchée, alors que Genève c’était plutôt le fonctionnaire en col roulé, un peu hautain». La clientèle étrangère du club ne s’y trompe pas non plus. De rue de Bourg au quartier Saint-Pierre, on va s’encanailler à grands frais jusqu’aux années huitante. Ou quatre-vingt, c’est égal. Car durant ces glorieuses années, la capitale olympique, une fois le soleil couché, a des faux airs de Ville Lumière. Mais ne se doute pas que le sida arrive. Et que les  temps vont changer.

Avant le sida

«À Lausanne, toutes les diagonales finissent par se croiser, surtout au hasard des trottoirs et des soirs», écrit Daniel Abimi en préface de ce premier récit, troisième livre après deux polars, où il prend la plume et la parole pour Laurent Anken, dit le Baron, qu’il rencontra à plusieurs reprises sans trop oser l’approcher. Piochant dans l’oubli d’une boîte à chaussures quelques clichés du passé, Abimi tombe sur le souvenir d’une soirée entre amis au Johnnie’s, où l’on fêta le départ en Afrique de cet ancien délégué du CICR. C’est aussi au Johnnie’s que l’on célèbre, avant l’arrivée du sida, les dernières années d’une ère libre où un flic venu jouer les trouble-fête pouvait trouver sa femme en train de baver devant des Chippendales, alors que dans un autre coin sombre, un avocat se libérait de sa fonction en enfilant des bas résille. Daniel Abimi rend donc hommage au maître de cette cérémonie décadente autant qu’à une époque révolue.
Laurent est un gosse de la campagne, né en 47. Chez lui, on saignait le cochon et on cueillait les fruits dans le verger pour faire des gâteaux. De superbes pages évoquent une enfance heureuse, couronnée par un séjour chez des grands-parents raffinés, des «bourgeois de campagne» qui lui inculquent la bienséance, avant qu’un apprentissagede décorateur ne lui offre une certaine idée de la beauté.

Parcours de vie mouvementée

Abimi convoque avec adresse la gouaille de son personnage dans une écriture très orale, et parcourt le chemin d’une vie pour le moins mouvementée. De la fête aux coups durs, des premiers repérages sexuels avec les hommes et les femmes (entre qui le coeur du Baron balance) au succès de son premier restaurant, en passant par la mort tragique de son enfant, une armure se crée, un personnage naît: le Baron, auquel Daniel Abimi rend toutes ses lettres de noblesse.

LUCAS VUILLEUMIER
, Le Matin Dimanche

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Naître un 25 décembre, le même jour que le petit Jésus, n'est pas un cadeau de Noël – Laurent Anken le sait, qui est né ce jour-là, en 1947 – mais c’est un bon début pour commencer le récit d’une vie de légende.
Laurent, dit Le Baron, est en effet un personnage de légende, ou de roman, si l’on préfère. Qui n’aime pas trop parler de lui. Alors il revient à un romancier, Daniel Abimi, de lui donner la parole, qu’il n’a d’ailleurs pas dans sa poche. Car il l’a frontale, une marque de fabrique, dès le plus jeune âge.
Laurent est émoulu d’un vrai melting-pot, c’est-à-dire un de ces vieux pots des familles dans lesquels on fait les meilleurs hommes, solides, tenaces, entreprenants, survivant aux vicissitudes, aimant réellement les autres: «Faut jamais juger, on est bien assez jugé comme ça. Mais juste essayer de comprendre.»
Ses origines sont paysannes et lettrées du côté de sa mère: un grand-père qui appartenait à la bourgeoisie de campagne, officier supérieur qui avait fait partie de l’état-major du Général Guisan, et une grand-mère, la Marquise, qui appartenait à la grande bourgeoisie, «un mélange de bouse et de lettres», en quelque sorte.
Du côté de son père, sa grand-mère a travaillé dès quatorze ans dans les mines du Val de Travers... et est morte à huitante-deux, issue donc d’une famille de gens simples, mais qui bossent. Son grand-père a construit la maison de famille, une villa au milieu des vignes.
Ses parents sont gens de la terre. Son père a donc une vigne. Sa mère s’occupe du potager. Ils habitent Lussy-sur-Morges, un village de deux cents âmes, où Laurent est né. Il sera toujours un terrien, même quand il créera sa légende citadine à Lausanne:
«Je me suis fait un personnage, j’ai créé le Baron. La canne, le monocle, le noeud, tout en noir. Je m’étais même inventé un arbre généalogique de sang bleu, le titre qui va avec et un château quelque part en France.»
Dans ce récit, le Baron parle à la première personne. Le style est parlé, débarrassé pourtant des scories de tout récit oral. Daniel Abimi s’est livré là à un formidable travail d’écriture, parce qu’en le lisant, sans même connaître le timbre de voix du Baron, on croit l’entendre et on en est tout impressionné.
Le Baron raconte ses années d’apprentissage professionnel, humain et sexuel.
Il n’a jamais été solidement hétéro. Il ne l’est qu’un tiers de sa vie (il n’a pas vraiment conscience qu’en réalité il est bi). Il est homo les deux tiers suivant:
«Aujourd’hui, ça passe, mais seulement un peu, ça ne passe pas encore complètement. Alors, imagine de notre temps.
Cela dit, ce n’est pas tout à fait vrai non plus. Aujourd’hui, les gens ont plutôt peur qu’on puisse penser que ça ne passe pas... Si tu n’es pas tolérant, on va te juger. Mais cela ne veut pas dire que tu tolères vraiment.»
Le Baron gâche sa vie privée, mais pas sa vie professionnelle, même si elle a des hauts et des bas.
Les hauts, ce sont, à Lausanne, La Brochette, un restaurant qu’il ouvre en 1971, au chemin de Chandieu – il aime manger et boire –, et, surtout, dans la rue Étraz, Le Johnnie’s, une discothèque, qu’il dirige pendant une dizaine d’années à partir de 1976:
«Le Johnnie’s, un monde de cohabitation. Un monde ultra-riche, un monde moyennement riche et puis, pas des pauvres, mais des gens qui venaient chercher quelque chose…»
Un monde ultra-riche?…» Les grands patrons venaient chez moi. Ils savaient pourquoi. La discrétion. Notre maître mot.»
Les bas, c’est «une longue, très longue traversée du désert» après la fermeture du Johnnie’s...
Les années tranquilles, ce sont les dernières années d’activité, au Montmartre, puis au Club des Amis...
Le Baron aura connu le pouvoir et sa solitude absolue, mais aussi ses compensations: «Quand tu commences à gravir l’échelle sociale, t’as aussi plus d’échappatoires. Tout d’un coup, j’ai découvert la liberté…»
Le Baron «adore la peinture, la porcelaine, les tissus, l’art sous toutes ses formes» et, si la laideur lui fait peur, «la beauté c’est autre chose... Chacun ses goûts. Mais quand la beauté est aussi belle, je pense qu’on peut se mettre d’accord. Que ce soit une cathédrale, une femme, une peinture ou un homme».
La famille du Baron lui a appris le partage: «Une fois que tu as compris ça, tu n’as plus de souci, tu n’es plus jaloux. Une fois que c’est enraciné en toi, c’est planté, c’est bon…». Et il partage aussi dans le boulot: «J’ai toujours partagé parce que c’était plus fort que moi. Mais aussi parce que je savais que tu n’as rien sans donner. C’est bon pour les affaires.»
Le Baron est bien un personnage raffiné sous sa carapace, un homme attachant, aux multiples facettes. Il en dévoile bien d’autres dans ce livre foisonnant. On a bien du mal à le croire quand il dit:
«Je me suis gentiment retiré dans mon appartement de Pully. Une pièce, une cuisine et un petit balcon qui donne sur le lac. A mon âge, c’est amplement suffisant.»

Blog
de
FRANCIS RICHARD

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Ce livre, je l’attendais. Depuis la première fois où Daniel Abimi m’en a parlé, je l’attendais. Depuis que je lis des auteurs suisses, je l’attendais. Et ce livre je l’ai aimé, je l’ai chéri, du début à la fin. Pourquoi? Pour trois raisons. Tout d’abord pour sa magnifique préface, de l’auteur lui-même. Empreinte de tendresse et de pudeur, l’homme qui se retourne et qui parle à son père, disparu. L’homme qui regrette de ne pas avoir demandé plus, voulu comprendre, et qui maintenant fait face au silence. Ensuite parce que mon père, bien vivant pour le coup, le bougre, fait partie de la génération du Baron, des forts en gueule, jamais les derniers à lever le coude, jamais les derniers à se la raconter, et alors, qu’importe. Et si, par pudeur, moi non plus je ne pose pas de questions, moi non plus je ne dis pas que je l’aime, sans doute que quelque part, je vous le confie, je sais d’avance que viendra le jour où je le regretterai. Alors, côtoyer cette génération rugueuse, la gouaille, le grand jeu, de près ou de loin, me fait chaud au cœur, tout simplement. Enfin, parce que le Baron représente ce que j’ai toujours attendu d’un livre suisse. Qu’il m’ouvre les portes que je croyais closes, qu’il me raconte ce qui se passait bien avant mon arrivée, qu’il me rassure sur le fait que, bien que cousins, bien que voisins, bien que différents, Français et Suisses avons connu – et connaîtrons encore – la même chose. Les années folles, la liberté, la joie de vivre, l’exubérance. Bien loin du calme apparent, de la politesse exacerbée, quel plaisir que de découvrir des avocats en bas résille, des nuits d’ivresse, la vie, enfin.

«Au village, nous vivions des soirées extraordinaires. On avait au moins deux cents pommiers dans le bled et quand ils étaient en fleur, nous mangions dehors. Mes parents invitaient des gens pour manger sous les arbres. Aujourd’hui, on les a tous liquidés pour faire des champs. Il n’y a plus que des champs, des champs, des champs. Jaunes. Verts. Roux. On regarde, on est presque obligés de les regarder, parce que les couleurs sont vives. Avant, elles étaient pastel. On regardait simplement parce que c’était beau et naturel.

Chaque année, le village faisait la fête des récoltes. On devait remercier Dieu pour la moisson. Ensuite, il y avait la fête de la vigne. On remerciait Dieu pour le raisin.
Et puis, il y avait celle des pompiers. À cette occasion, on devait remercier personne. On allait au café. On était jeunes. Entre seize et dix-huit. On frémissait de l’entrecuisse. Sans même savoir à quoi ça servait. On pissait avec ça, on faisait rien d’autre. Alors, on allait au bistrot, chez la mère Saugy qui nous servait des litres de lie. On sortait pétés. Mais comme disait mon père: "On est un homme la première fois qu’on dégueule." Il ne disait pas la première fois qu’on tire un coup…»

Ne me parlez pas d’un vieil homme qui radote, qui remâche un refrain passéiste. Ce serait bien mal écouter Laurent. Voilà un récit de vie, habilement rapporté par Daniel Abimi qui met son style affûté par sa double casquette de journaliste et de romancier, au service de la transmission. Un récit de vie d’une incroyable lucidité, qui se dévore comme un roman, qui n’omet rien, ni les erreurs ni les grands malheurs. Dans un monde qui donne la part belle aux jeunes écervelés, c’est de nos anciens que nous apprendrons quelque chose. De ces années de folie douce, où enfin certains osaient sortir du bois, années vite terrassées par le SIDA, il nous reste un goût de liberté. Un goût que personne ne pourra nous faire oublier. Qui a connu et aimé comme moi les petits matins pleins de lumière, les sorties de boîtes bien éméchées, le mélange des faunes, qui a touché alors au sentiment d’éternité, ne pourra qu’écouter religieusement ce que le Baron a à nous raconter. Que cela se passe à Lausanne ou à Paris, qu’il y ait bien sûr quelques traces de bêtise crasse, comme partout, les oiseaux de nuit ont marqué mon histoire. C’est avec plaisir et tendresse que j’apprends qu’ils sont aussi passés dans le ciel helvétique.

«La folie, célébrée avec intelligence, passe toujours. Avec bêtise, elle est vite navrante. Tout comme l’excentricité.
D’abord tu observes. Comme à la chasse. Te fondre dans ton entourage, saisir la forêt, ses bruits, son gibier. Et au moment où tu vas débusquer l’animal, tu ne vas pas te dire, je vais le tuer, tu vas te dire, tout simplement, je suis satisfait de l’avoir trouvé.
L’excentricité, c’est un peu tout ça… Aller vers l’autre, entendre les bruits, observer ce qui se passe, et, tout d’un coup, profiter d’une faille pour basculer dans la folie, pour tomber les masques.
Et toi tu appuies sur la gâchette, tu tires…
Il faut aussi savoir que quand tu vas trop loin tu finis par te tirer dessus. Tout a une limite. Mais on ne pourra pas te juger puisque c’est toi qui es venu, c’est toi qui as poussé la porte, tranquillement. Toujours attendre le bon moment et te fondre dans l’ambiance. Et tu presses sur la gâchette. C’est tout simple. Et une fois que tu as tiré, il y a des échos, ça s’entend…»

AMANDINE GLÉVAREC
, litterature-romande.net

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«Au Johnnie’s, on a fait des trucs impossibles à refaire»

Le Baron a fait exploser les nuits lausannoises et a décoincé les sexualités. Il raconte dans un livre de Daniel Abimi cette époque révolue où tout semblait permis

Ils sont attablés à la Bavaria, en haut du Petit-Chêne, et partagent toujours la même complicité autour de röstis et d’un jarret de porc. Le Baron – Laurent Anken de son vrai nom – et Daniel Abimi, l’auteur de son livre de souvenirs sorti cette semaine, se connaissent depuis bien longtemps, se croisant au cœur de ces nuits lausannoises qu’ils ont tant fréquentées. Le Baron surtout, lui qui a régné sur le Johnnie’s à l’époque où cette boîte de nuit donnait à Lausanne des illusions parisiennes. on y voyait se croiser proxénètes et politiciens, travestis et homosexuels, artistes et flambeurs. «C’était une époque bénie, martèle Laurent Anken. Lausanne sortait de siècles de protestantisme et découvrait la fête, la liberté, y compris sexuelle, se lâchait enfin. Je suis arrivé au bon moment.» Dans son livre, Daniel Abimi le fait habilement parler comme dans la réalité, avec cette faconde et ce culot qui font partie du personnage.
Pourtant, rien ne prédestinait ce gamin de Lussy-sur-Morges, né à la Noël 1947, à un monde de fêtes (beaucoup) et de stupre (souvent). Le fils de paysans «qui a reçu de l’amour à profusion» a passé une jeunesse timide, gauche, en froid avec l’école au point d’être envoyé à 10 ans chez ses grands-parents, dans le Nord vaudois. Auprès de sa grand-mère qu’on surnommait «La Marquise», le petit rustaud va vivre trois années enchantées et apprendre à découvrir le beau monde et les manières. Mais, il l’avoue, il est resté vierge jusqu’à 19 ans. Même pendant son apprentissage de décorateur, où «il y avait trop de pédés». Car Laurent Anken, alors, n’aimait que les femmes. Il se lance dans la restauration, dans une de ces grosses brasseries dont la cheffe de service le déniaisera, avant qu’il ne séduise sa fille… et son beau-fils. Car le garçon a découvert que tout l’attirait, particulièrement les hommes hétérosexuels qui «avaient des penchants.
On est dans les années 1970, la révolution sexuelle commence un peu à toucher la Suisse et celui qui n’est pas encore le Baron ouvre son premier restaurant, la Brochette. Il y prépare de bon plats robustes et généreux. «C’était hier, chez moi.» L’ancien timide commence à prendre confiance,  à faire quelques extravagances pour sa clientèle cosmopolite, découvre les premières transsexuelles qui montent sur scène, va s’encanailler à Paris. Le nouveau patron ouvre sa grande g… pour titiller les hommes hétéros, à leur lâcher «t’as de jolies petites fesses», surtout devrant leur épouse, dont il dit qu’elles rentraient dans son jeu.

L’attrait du pouvoir

Laurent Anken l’admet encore aujourd’hui: «J’ai toujours été manipulateur, j’aime être le maître du jeu, diriger, être le patron. Et les autres se se révèlent. J’aurais aimé être Machiavel ou Mazarin. Chez les gens, je préfère les défauts aux qualités.» Il a soudain le sentiment de monter dans l’échelle sociale. Mais son corps le lâche: deux embollies, un arrêt cardiaque. Il doit vendre son restaurant.
Deux ans d’arrêt plus tard, il découvre son Graal: le Johnnie’s, une cave à jazz de la rue Étraz, devenue discothèque, dont on lui confie la direction en 1976. À l’époque, les nuits lausannoises se passaient entre rue de Bourg et Saint-Pierre, au Tabaris, le cabaret où passait le Carrousel de Paris, à Bagatelle, avec ses thés dansants du dimanche, à l’Escale, au Major Davel ou au Jour et Nuit.
«Les gens buvaient différemment. Ils dépensaient aussi plus, beaucoup plus. C’étaient les Trente Glorieuses. Si tu savais y faire, tu gagnais de l’argent. De 1960 à 1980, c’était les vaches grasses. On a tout eu. Après, la machine a commencé à se gripper.» La clientèle étrangère était là, dépensant livres sterling, francs français. Deutsche Mark ou lires italiennes. Les gens sortaient, buvaient, enrichissaient les boîtes. «Tous les patrons, on savait que le lundi, c’était les garçon de café, le mardi, les coiffeurs, le mercredi ceux qui travaillaient dans les bureaux, de notaires, le jeudi, les boulangers, le vendredi, la bonne société, le samedi et le dimanche, le tout-venant. Même si je n’aime pas employer ce terme. Alors, disons que c’était plus hétéroclite.»

Voir du «pédé»

Dans la dizaine d’établissements que comptait Lausanne à l’époque, les musiques attiraient des clientèles différentes. Cher le Baron, «surtout de la disco. Mais tu avais avant tout des ambiances. Au Johnnie’s, on venait chercher la folie, voir du «pédé» parce que c’était tout nouveau. Ailleurs, on allait voir certaines femmes. Comme les vieilles du Château d’Ouchy.» La meilleure pub du Johnnie’s, c’était ce personnage du Baron qu’avait créé Laurent Anken. Canne, monocle, nœud papillon, habillé de noir, le patron faisait la tournée des endroits pour qu’on le voie, pour qu’il soit connu, pour qu’on ait envie d’aller chez lui. D’une certaine manière, cela lui permettait de rester maître du jeu, distant, hautain. De tenir les proxénètes ou les trafiquants qui auraient pu vouloir menacer sa boîte. De flatter les policiers, avec qui il avait créé la confiance.
C’était l’époque où les homosexuels commençaient à sortir, à fréquenter les saunas spécialisés. Le Baron leur a offert l’asile dans son église. «Mais pas un ghetto hein! il y avait les hétéros à l’entrée,les indécis au milieu et, au fond, les garçons près de la sortie de secours. On en a passé, des «visites médicales».
Laurent Anken ne donne aucun nom dans son récit, que les témoins de l’époque se rassurent! Car il s’est passé bien des choses que certains ne voudraient pas voir révélées. «Je m’étais fabriqué un personnage qui était en même temps chaleureux et dangereux.  Pour certains, en tout cas, Dangereux parce que je connaissais un peu leur vie, leurs fantasmes, leur façon de faire. Je voyais un avocat, le matin en cravate et costard, le soir, je le voyais en bas résille.»
On venait de toute la Suisse romande s’encanailler à Lausanne. Les affaires marchent, le patron y croit, s’habitue au luxe. «Mais tout n’était pas rose. Pas toujours gai, la nuit.» Le side frappera un premier coup au Johnnie’s. Puis un meurtre dans la boîte précipitera sa chute à la fin des années 1980.
Laurent Anken s’entête, lance le Baron’s Club, le New Scotch, le Johnnie’s 2. Il y perdra ses illusions et surtout l’argent de sa famille. «Il faut l’avouer. Je ne faisais que des ersatz du Johnnie’s.» Après s’être occupé de sidéens quelques années, il repartira dans la restauration avec le Monmartre puis le Café des Amis. Aujourd’hui à la retraite, il «commence sérieusement à s’emm… dans cette ville». Il perle pourtant d’y rouvrir un bar.

DAVID MOGINIER
, 24 Heures

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Le temps d’un récit, Daniel Abimi s’est mis dans la peau de Laurent, dit le Baron. Connu pour être l’ancien patron du Johnnie’s, temple de la vie nocturne lausannoise des années 1970 et 1980, où se mélangeaient les faunes de la nuit. Dans sa boîte, on croisait truands milanais, travestis parisiens, étudiants aux goûts incertains. Derniers dandys du siècle. Tous vivaient sans le savoir la fin d’un monde, dans une débauche souvent élégante, parfois extrême.
Ce récit retrace l’itinéraire d’un enfant gâté qui s’est brûlé à la lumière des stroboscopes avant de connaître la chute des oiseaux de nuit.
Un livre de vie, mensonges et mort. Un livre de jouissance…

Un extrait:

«Déjà petit on m’appelait le Baron. À cause de ma grand-mère, qu’on appelait la Marquise. Mais, le truc, c’est que je devais trouver un point d’ancrage. Donc, je me suis dit: «Je vais me servir de ma gueule, de ma grande gueule, de mon physique, et de mon habillement, pour imposer quelque chose…»
C’est lui, c’est personne d’autre. T’es comme une marque…
Bien sûr, je suis resté là-dedans, ça m’a collé à la peau, ça me colle encore à la peau… Mais j’ai pu faire un tas de choses, ce n’était pas moi, c’était le Baron. D’ailleurs, presque personne ne connaissait mon nom. J’arrivais dans un restaurant c’était «Bonsoir, Monsieur le Baron…»
J’ai construit ce personnage par étapes. Tu ne te construis pas comme ça, juste d’un claquement de doigts. Et puis tu dois porter le costume partout où tu vas. À Genève, c’est aussi le Baron, à Zurich, c’est le Baron, à Paris, c’est le Baron…
Les premiers temps, ce personnage amusait. C’est qui? Mais il joue à quoi? Il est pas un peu fou, ce mec? Qu’est-ce qu’il fout? Il baise avec qui? Avec les femmes, avec les hommes?
À mesure que tu avances, ton personnage se construit, tu te sens un peu comme la reine des abeilles. Tu sens que ça va, que ça butine autour de toi. Et quand tu sens que ça prend, c’est bon, tu peux commencer à te lâcher…
Mais ça ne se fait pas en une heure, ça s’est fait en six mois… Et sans relâche, pas une minute, pas une seconde où tu peux oublier ton personnage. Faut pas décevoir les gens. Jamais. Parce que tu sais aussi que tout ce que tu as fabriqué peut s’écrouler. Et ça peut aller vite, très vite…»

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