SONIA BAECHLER

MON DIEU, FAITES QUE JE GAGNE

2023. 232 pages. Prix: CHF 30.00
ISBN 978-2-88241-523-3


Biographie

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Manifestations, rencontres et signatures
Index des auteurs

Exister à l’ombre de sa sœur
 
Récemment paru chez Campiche, le roman de Sonia Bächler intitulé Mon Dieu, faites que je gagne montre à travers un crescendo parfaitement maîtrisé ce que c'est que d'être la sœur d'une sportive d'élite sur laquelle se focalise sans cesse toute l'attention de la famille. Il décrit au passage la machine à broyer les destins que représente la compétition de haut niveau. L’auteure de cette autofiction force volontairement le trait avec le souci néanmoins de restituer le plus fidèlement possible la dérive d’une famille happée par le miroir aux alouettes de la réussite sportive
 
Bon à savoir: C’est bientôt les JO: comptez-vous y assister?
Sonia Baechler: Non, j’avais prévu d’aller à Paris cette année, mais on va repousser à l’année prochaine.
 
Bon à savoir: Aurait-on tendance à confondre bonheur et réussite au point d’attacher plus d’importance à la réussite qu’au bonheur?
Sonia Baechler: C'est un résumé de mon livre. Sous couvert de bienveillance, on a tous en tête la réussite.

Bon à savoir: On entend souvent dire qu’il ne faut pas chercher la reconnaissance auprès des autres, mais savoir se la donner à soi-même. Cela vous paraît-il réaliste? Peut-on se construire une identité indépendamment du regard que les autres portent sur nous?
Sonia Baechler: Je pense qu’une part de soi dépend du regard des autres, dans l’enfance, ça compte énormément pour se construire et apprendre à se faire confiance. On a tous eu un prof qui nous a fait sentir qu’on est quelqu’un de bien et qui nous a donné des ailes. Avec un peu de maturité, on commence à mieux se connaitre, à se découvrir des centres d’intérêt et des dons, en fonction de nos échecs et de nos réussites. Mais même dans le couple et en amitié, on a besoin d’encouragements. L’identité est un puzzle, à chaque étape, on en découvre une nouvelle pièce en lien avec les rencontres qu’on peut faire.

Bon à savoir: Certaines compétitions sportives comme le foot semblent euphoriser des nations entières. Vous y croyez, vous, à ce bonheur par procuration?
Sonia Baechler: Je me souviens avoir vu mon grand-père pleurer de joie en regardant les courses de ski. Tout le monde se réunissait autour de la table pour y assister. Moi, je me suis toujours sentie en décalage. Pareil pour les matchs de foot: j’y allais pour ne pas rester à l’écart, mais ça ne me procurait aucune émotion.

Bon à savoir: L’esprit de compétition nous pousse-t-il inéluctablement aux dérives que vous décrivez ou peut-on avoir un sain esprit de compétition?
Sonia Baechler:
Je me pose la question. Un peu de compétition peut être stimulante. En 3e du cycle, il y avait dans ma classe un garçon dont j’étais un peu amoureuse, ce qui me poussait à essayer d’obtenir de meilleures notes que lui. Mais représenter un canton, une région, la Suisse, nous empêche d’exister pour soi. C’est le début des dérives. Je suis ressortie de ces années avec une haine de la compétition et du sport. Dans le monde d’aujourd’hui, tout est affaire de compétition. Par exemple les clubs sportifs proposent tout de suite des concours, que l’enfant soit bon ou pas. On met en avant le fait que c’est apprendre le dépassement de soi. Je trouve terrible cette injonction à faire du sport pour être quelqu’un de bien. Je me demande si ne rien faire, jouer, rêver, n’est pas le plus important dans la vie.

Bon à savoir: Le grand écart de la petite sœur sur le tapis de la Migros de Sion a marqué le début d’un engrenage fatal. Est-ce que la possibilité d’y échapper s’est présentée une fois ou l’autre au cours des onze ans que vous relatez dans Mon Dieu, faites que je gagne?
Sonia Baechler: Il y a un moment où tout risque de s’arrêter quand la gymnaste n’est pas qualifiée pour Macolin sur un malentendu. L’aînée espère d’un côté pouvoir sortir de l’engrenage, mais elle se rend compte que ça va nuire à son autonomie naissante. À la longue, elle a fini par y trouver son compte.

Bon à savoir: Chaque époque, y compris la nôtre, a imposé aux filles et aux femmes une façon de vivre leur féminité. Est-ce que c’est encore plus pernicieux quand on nous persuade que ces diktats sont l’expression de notre liberté?
Sonia Baechler: À l’époque dans laquelle j’inscris ce livre, il ne fallait pas être trop fille. J’avais l’impression que le modèle du garçon manqué incarnait le summum de la liberté. Ce genre de filles savaient plaire aux garçons, parce qu’elles leur ressemblaient.

Bon à savoir: Vous nous présentez l’athlète, la star comme une simple marchandise au service d’intérêts qui le dépassent. Peut-il s’en rendre compte avant de tomber du podium?
Sonia Baechler: Ça dépend de nombreux facteurs. Mes parents n’avaient pas pu réaliser leurs rêves. C’est une faille que la réussite de la gymnaste est venue combler. J’aime l’image de l’eau qui gèle dans les failles en hiver. Mes parents sont entrés dans une sorte d’aveuglement et m’y ont embarquée. On ne voit que les sportifs qui réussissent, ça occulte tout le reste. L’enfant qui vit ça est certain d’être quelqu’un d’exceptionnel. Il se laisse prendre dans une spirale de réussite et de fierté de soi, même si la pratique de son sport ne lui procure plus de plaisir.

Bon à savoir: Un enfant ne peut pas se rendre compte que ce qu’il vit n’est pas normal, ni donc verbaliser son mal-être, puisqu’il n’a rien connu d’autre. Est-ce que ce non-dit ne cherche pas à s’exprimer à travers des troubles du comportement par exemple?
Sonia Baechler: Je ne suis pas experte, ni psychiatre, mais j’ai vu des filles tomber dans l’anorexie, voire les addictions. Tout enfant qui ne se sent pas à l’aise avec l’activité qu’il pratique doit le faire entendre d’une manière ou d’une autre.

Bon à savoir: Comment vos parents ont-ils accueilli ce livre?
Sonia Baechler: C’est un roman basé sur des choses qu’on a pu vivre. J’avais quelque chose à dire au sujet des méfaits du sport à outrance, un questionnement à exprimer par rapport au dogme « le sport, c’est la santé ». Est-ce que c’est sain de porter aux nuées des héros du sport ? La musique, c’est pareil, où placer le curseur pour prendre du plaisir à apprendre et progresser sans s’enfermer dans une obsession? Mes parents ont pris de la distance, parce qu’ils ont bien compris qu’il ne s’agissait pas d’eux. On a tous souffert en se rendant compte de l’immense machine dans laquelle on a été embarqués.

Bon à savoir: Le livre ne risque-t-il pas de donner une image négative de votre mère?
Sonia Baechler: Ma mère me lisait des histoires et ne ressemble pas du tout au monstre décrit dans le livre. Le personnage est un mélange de plusieurs mères que j’ai observées. Ça s’est imposé à moi de laisser venir une part de fiction. J’aime trop mentir, inventer, pour m’en tenir à un témoignage. Déjà petite, je gonflais toujours mes histoires.

Bon à savoir: Avez-vous rencontré d’autres frères et sœurs de qui se sont reconnus dans la situation que vous décrivez?
Sonia Baechler: Je reçois des témoignages de plus en plus intéressants. Des gens me parlent de leur difficulté quand tout tourne autour d’une personne, que même les vacances dépendent des possibilités d’entraînement. J’ai aussi lu le témoignage d’une mère qui pratiquait un sport à haut niveau et trouvait formidable que toute sa famille la suive, sans se demander si ses proches en avaient réellement envie. Je n’ai de réponse à rien, c’est déjà un grand pas si on peut se poser plus de questions. Beaucoup d’anciens gymnastes deviennent entraîneurs, comme s’il leur était impossible d’en sortir. Ce qui me dérange le plus, c’est la certitude de faire juste.

Bon à savoir: Notre société condamne sans pitié toute forme de jalousie. N’y a-t-il pas pourtant une forme de jalousie saine et légitime?
Sonia Baechler: Je pense que oui. C’est humain, on ne se fait pas du bien à vouloir masquer tout le temps ce genre de sentiments. Ce n’est qu’en la laissant s’exprimer qu’on peut la dépasser.

Bon à savoir: En choisissant l’écriture plutôt que le sport, avez-vous réussi à échapper à toute forme de compétition ou rencontrez-vous là aussi une pression au succès?
Sonia Baechler: Non, ça m’embête qu’on ne parle que de Joël Dicker, je serais vraiment malhonnête de prétendre le contraire.

Bon à savoir, propos recueillis par Sabine Dormond

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Une démonstration des dangers du sport à outrance

Les libraires indépendants du canton nous offrent leurs coups de  cœur valaisans. Cette semaine, Françoise Berclaz-Zermatten, de la librairie La Liseuse à Sion, nous présente Mon Dieu, faites que je gagne, de Sonia Baechler

Bernard Campiche Éditeur a publié l’automne dernier le troisième roman de Sonia Baechler, Mon Dieu, faites que je gagne. On attendait ce livre: le précèdent On dirait toi, était plein de promesses. Neuf ans plus tard, on retrouve une auteure accomplie, dans la plénitude de son talent. Mon Dieu, faites que je gagne est l’histoire d'une famille, un couple et ses deux filles. Adolescente, la sœur aînée raconte ce qu’elle a vécu dans son enfance.
Lorsque sa petite sœur avait 6 ans et qu’elle en avait 9, leur mère avait décidé de les inscrire à un cours de gymnastique artistique. Très vite la petite se révèle vraiment douée, elle n’a peur de rien, est casse-cou, surtout elle veut gagner. La grande est l’inverse, elle est timide, gauche, maladroite. Rapidement la famille est embarquée dans une aventure sportive qu’elle n’avait ni imaginée ni désirée. Ce qui ne devait être qu’un loisir sportif va envahir la vie familiale jusqu’à la bouleverser complètement.

Gagner à tout prix

La machine s’emballe, les parents perdent le contrôle, toute leur vie s’organise autour des exploits de la gymnaste qui n’a qu’une idée: gagner des médailles, gagner, gagner, gagner. Les résultats suivent, elle devient championne suisse, est envoyée à Macolin, a une chance de décrocher un titre olympique. Pendant ce temps l’aînée souffre, elle est sensible, rêveuse, romanesque, douée pour l’écriture. Ses parents ne la remarquent même plus, elle devient transparente, n’a aucune valeur à leurs yeux. Elle a alors de «drôles» de sentiments à l’égard de sa petite sœur.
Le lecteur assiste ensuite à la transformation de la mère au fil des ans, elle change. Elle utilise la notoriété de sa fille pour se mettre en avant, pour être, Elle, La Star. Elle est aveuglée par son ambition, ignorant les dangers que court sa cadette: l’anorexie la guette, les hormones qu’on lui administre l’empêchent de grandir, le manque de soin la menace quand elle se blesse.
Quant au père il a démissionné, sa femme le méprise, leur relation qui était bonne s’est détériorée, les jeux sont faits, rien ne va plus…
Sonia Baechler le dit: ce livre est en partie autobiographique, en partie seulement, car les personnages l’ont emportée bien au-delà de la réalité. Quoi qu’il en soit ce livre est passionnant, l’analyse psychologique y est fine, la dénonciation des dangers du sport à outrance fait froid dans le dos, l’écriture est belle. Il se lit d’une traite.

FRANÇOISE BERCLAZ-ZERMATTEN, Librairie La Liseuse, Sion

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Être sœur de gymnaste d’élite, c’est aussi du sport

Sonia Baechler narre d’une plume tendrement ironique une enfance passée à l’ombre d’une cadette qui enchaîne les compétitions, jusqu’à viser les JO

«Entrer en compétition comme on entre en religion.» C’est ce qu’a vécu Sonia Baechler enfant. Sauf que l’athlète, ce n’était pas elle, mais sa sœur cadette, qui a montré très tôt des dispositions exceptionnelles pour la gymnastique, survolant les entraînements et enchaînant les victoires régionales. Or, lorsque la petite psalmodie «mon Dieu, faites que je gagne», c’est toute une famille qui vibre et qui prie à sa suite. Car, pour y arriver, la compétitrice a besoin du soutien inconditionnel de ses parents, mais aussi de sa sœur aînée.
De cette expérience, l’autrice installée à Chardonne a tiré un roman, qu’elle dédie «à toutes les sœurs et à tous les frères de…» Ce livre, qu’elle porte depuis très longtemps, est né d’un constat: «Si l’on entend toujours dire que l’entourage d’un sportif d’élite ou d’un musicien de haut niveau est capital, il existe très peu d’écrits sur la manière dont la fratrie a vécu cette situation», relève l’autrice au téléphone.
La voie fictionnelle s’est imposée: «Ce livre est très fortement inspiré de mon expérience personnelle, mais j’avais besoin de prendre de la distance, de me faire plaisir et de voir jusqu’où mes personnages allaient me mener. J’ai pris des libertés avec notre histoire familiale, ajouté des anecdotes arrivées à d’autres… Mes parents ne sont d’ailleurs pas du tout ceux du livre.»

Vocabulaire religieux

L’écrivaine a surtout voulu transmettre cette adhésion immédiate et totale à la cause sportive, avec l’emploi d’un vocabulaire guerrier, mais aussi religieux: «Il fallait y croire absolument, y aller avec la même ferveur qu’à la messe…» La révélation advient dans les années 1980, lors de banales courses familiales au Centre Métropole du chef-lieu valaisan, où se présente la société Sion-Gym. La narratrice a neuf ans. Sa sœur trois de moins.
«Un beau jour, le centre commercial, un grand écart, et nous prenons onze ans de gymnastique et perpétuité pour l’âme et le corps», écrit la Valaisanne d’origine. Elle aurait pu situer l’histoire n’importe où, mais elle a voulu l’ancrer dans des lieux qu’elle avait en mémoire.

Voltiger dans sa tête

Dans un style ciselé aux accents poétiques, avec un sens certain de la formule, une douce ironie et beaucoup d’autodérision, qui évitent tout mélodrame, elle décrit la vie de l’aînée depuis ce saut inconditionnel dans la gymnastique, auquel elle n’a pas échappé. Extrait: «Elle est si raide, notre grande, a dit papa. Ils ont pensé que là où la petite aurait du plaisir, je trouverais mon équilibre.»
Or la narratrice n’a aucune aptitude pour ce sport. Elle fait partie de ces filles qui «veulent juste voltiger dans leur tête». Mais la voilà participant à des entraînements bihebdomadaires et à des concours où elle chute régulièrement, finissant dans les limbes du classement, tandis que l’autre, la plus jeune, qui porte le même patronyme, brille au sol et sur la poutre.

L’icône Comaneci

Cette benjamine qui occupe toute la place, la narratrice ne l’appelle pas autrement que «la gymnaste». Elle la regarde avec une certaine jalousie, mais aussi une peur viscérale qu’elle échoue, tombe, se fasse mal… Or «la gymnaste» progresse, jusqu’à intégrer le centre national de Macolin, avec les JO en vue, dans un système dont la narratrice perçoit les défaillances: souffrances quotidiennes, blessures minimisées, dictature de la balance, féminité bridée… C’est l’époque où brillent les brindilles roumaines. Dans sa chambre, «la gymnaste» s’endort d’ailleurs sous le regard conquérant de Nadia Comaneci.
Le roman relève aussi, dans un bref passage, comment les entraîneurs poussaient les filles, tout en sachant que certaines n’auraient aucune chance. Derrière la distance humoristique, on entend soudain ici une voix qui dénonce: «Oui, le discours est fort, mais il est aussi nécessaire. Je trouve qu’on ne parle pas suffisamment des personnes qui sont laissées sur le côté, celles à qui on fait croire que tout est possible alors qu’on sait très bien que les chances de réussite sont infimes.»
Ce livre raconte aussi la découverte de l’écriture, qui arrive lorsque l’aînée se trouve libérée de l’obligation de suivre toutes les compétitions: «Il y a tout à coup un domaine dans lequel l’héroïne est douée et qui, elle l’espère, la fait enfin exister dans le regard de ses parents.»

CAROLINE RIEDER,  24 Heures

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Mon Dieu, faites que je gagne

Toxique sous ses bonnes intentions, la famille de la narratrice encadre les vies parallèles de «la petite», enfant gymnaste de haut niveau que les parents accompagnent avec dévotion, et «la grande», dont les talents comme les rêves, négligés, fanent dans l’ombre. Sous la plume franche et juste de Sonia Baechler, la voix ironique et désespérée de l’aînée bouleverse, car la cruauté inconsciente des adultes est une
violence qui ne dit pas son nom… Ce roman, plein de justaucorps irisés et d'arabesques, est noir et amer jusqu’à la dernière page.

Marie-Claire Suisse

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Implacable gymnastique

C’est sport, la vie, lorsque les parents sont à fond derrière leur fille, douée en gymnastique au temps des Chouchounova et des Comaneci…Mais voilà: cette cadette a une grande sœur. Peu douée pour la gym mais habile pour manier les mots, elle narre ses ressentis dans Mon Dieu, faites que je gagne, troisième livre de l’écrivaine valaisanne Sonia Baechler. Dieu? Dans un Valais marqué par son passé catholique, on compte sur Lui pour favoriser les qualifications, qu’il s’agisse d’accéder au site sportif de Macolin ou d’obtenir une qualification aux JO. L’auteure dévoile un monde sans pitié et décrit plus d’une situation trouble, vécue aux mains d’un entraîneur trop tactile ou d’un médecin négligent.
«Échauffement. Force. Souplesse. Poutre. Sol. Saut. Barre. Étirement. Force. Tu n’as pas assez de force. Cinquante appuis faciaux!» Mon Dieu, faites que je gagne trouve dans ses pages les plus fortes la musique martiale des consignes des moniteurs. C’est celle de la gagne, qui résonne avec celle, amère ou jalouse, de la narratrice, que ses parents ont assignée au rôle ingrat de soutien sommé de s’oublier.

DANIEL FATTORE,
La Liberté

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Dans l’ombre d’une étoile

Dans Mon Dieu faites que je gagne, Sonia Baechler décortique avec justesse ce que signifie être la sœur d’une gymnaste d’élite

Sion, 1985. Elles ont 6 et 9 ans. À la Migros, des gymnastes font une démonstration sur la musique de La Guerre des étoiles. La petite se faufile parmi elles pour faire le grand écart et est tout de suite repérée. On inscrit aussi l’aînée: elle est si raide, ça lui fera du bien. Mais la grande, maladroite et rêveuse, préfère la danse et les mots à la discipline quasi militaire de la gymnastique artistique. Sa vie basculera pourtant, comme celle de toute la famille, car à la cadette surdouée on promet les sommets.
Qu’est-ce que ça fait, d’être la sœur d’une gymnaste d’élite? Comment exister quand sa benjamine brille sous les projecteurs, et que le quotidien tourne désormais autour de son succès, de ses sacrifices? Rien n’a jamais été écrit sur la question, découvre la narratrice de Mon Dieu, faites que je gagne, rien du point de vue des frères et sœurs pris·es dans cette ascèse, cette soumission du quotidien à un but plus grand que soi.

Autour de la championne

Choisissant le point de vue de l’éternelle numéro deux, Sonia Baechler décrypte ce que veut dire grandir et se construire dans un contexte où il n’y a d’yeux que pour l’autre, et trouve la juste distance pour aborder un sujet brûlant. Entre lucidité et douce ironie, le troisième livre de l’autrice valaisanne prend la forme d’une autofiction percutante et sensible.
Il y a donc la gymnaste, la sœur de la gymnaste (jamais nommées) et leurs parents, tendus vers un seul but: que la cadette réalise son rêve. Car la petite a dit oui, les yeux pleins d’étoiles. Mais la machine qui s’est mise en branle broie tout sur son passage, et autour de la famille se met en place un système qui va bouleverser pendant onze ans la vie familiale: celui de la gymnastique artistique de haut niveau. «Entrer en compétition comme on entre en religion. Accepter les codes, les règles, les dogmes et rejoindre la prière: Mon Dieu, faites que je gagne.»
On ne saura rien de l’intimité de la gymnaste elle-même, toujours vue à travers le regard de sa sœur. Mais tout tourne autour d’elle, de son régime, de ses compétitions, de ses horaires – plus de trente heures d’entraînement par semaine. Pour réussir, elle doit être acceptée dans l’Élite, rejoindre le Centre de performance de la Fédération suisse de gymnastique à Macolin, sur les hauteurs de Bienne. Elle vise la sélection olympique. À chaque étape, la famille est derrière elle et l’aînée sommée de la soutenir, d’être présente – «Tu es tellement importante pour elle, elle t’aime si fort», dit la mère. Cette injonction culpabilisante piège la narratrice, fait naître peu à peu en elle une colère indicible.
Quand la gymnaste rejoint Macolin, on devine la solitude de l’adolescente arrachée à sa famille, prise dans les restrictions imposées par une discipline de fer. Car derrière le rêve de perfection et de légèreté, derrière la grâce d’une Nadia Comaneci qui a fasciné des générations de filles, il y a des enfances volées, des corps et des esprits brisés –  la violence d’un système dénoncée il y a quelques années sans que rien ne change fondamentalement. Sans l’aborder de front, Sonia Baechler montre des adultes complices, entre un entraîneur opportuniste qui fait progresser sa carrière en fabriquant des championnes à n’importe quel prix, et des parents aveuglés par le rêve de leur fille, devenu le leur.

Comment exister?

La narratrice n’a aucune place, dans cette constellation, pas plus que les critiques ou les doutes. La petite est si parfaite, son rêve si immense. N’a-t-elle pas honte d’être jalouse?
«Je me demande parfois. Que se serait-il passé si nous avions appris à respirer quelque part sur la route? Si nous avions laissé le courant entrer et que nous nous étions assis pour écouter?» L’aînée n’a de cesse de chercher son air, d’attendre son heure, d’espérer que cela s’arrête, et Sonia Baechler montre tout en finesse les questionnements de cette grande sœur ambivalente, inexistante, prise en tenaille entre la loyauté familiale et le besoin de fuir une dynamique qui l’étouffe. Alors, comment faire pour que ça cesse? Comment exister? Par l’écriture, peut-être?
Le récit, dense et tenu, s’ouvre et se clôt par la scène d’une dédicace en librairie. Mais le problème de la littérature, pour les proches, c’est qu’il faut prendre le temps de lire, constate la narratrice avec une bonne dose d’autodérision. «Feuilleter ne sera pas suffisant. Il va falloir lire le livre de celle qui n’a jamais su faire une roue mais qui, allez savoir comment, est devenue, à l’ombre de la poutre, une femme qui écrit.» Une femme qui s’est libérée? Du regard de ses parents sans doute, pour lesquels elle sera toujours la sœur de.

ANNE PITTELOUD,
Le Courrier

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Voyage dans l’intimité de deux sœurs

La romancière Sonia Baechler, qui a été institutrice à Bavois et a animé des ateliers d’écriture à Orbe sort Mon Dieu, faites que je gagne, un récit poignant dans les coulisses de la famille d’une sportive d’élite

«Dans les couloirs de la Migros de Sion, elle fait un grand écart sur le tapis de sol. Elle, c’est ma sœur, elle a six ans. J’en ai neuf. Elle a des couettes, un brin d’enfer dans le sourire, du paradis dans les yeux, c’est sûr, il y a quelques chose. Un grand écart et nous prenons onze ans de gymnastique et perpétuité pour l’âme et le corps.» Aucun souffle ne soulève le voile des émotions chez cette sœur si bien conditionnée, si bien formatée. Jusqu’au dénouement final. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Sonia Baechler aime la danse. Sur scène elle a la sensation de voler. Ses parents pensent que ça lui ferait du bien de faire de la gymnastique. «La gym, c’est plus dans l’air du temps», a dit sa mère. Et puis ça rapprochera les deux sœurs. Mauvaise spéculation. Dès lors tous les moyens sont mis en œuvre pour que la cadette atteigne les sommets de la discipline qu’elle a choisie (mais est-ce vraiment un choix assumé à cet âge-là?)

Un livre qui va au fond des choses

Pour Sonia Baechler, elle deviendra «la gymnaste». Ce sera le grand écart entre les deux sœurs. Sonia Baechler est animée d’une vive intelligence. Son analyse de la psychologie de ses personnages est fine. On ne reste jamais en surface. Elle fouille les entrailles. Les siennes, mais aussi celles de ses parents. La gymnaste? Elle est lisse. Ses entraîneurs ont réussi à en faire une machine à gagner. On lui a instillé dans le cerveau un mantra: «Si tu veux, tu peux». Dès lors, elle est sur la rampe de lancement. Avec le saint-graal en point de mire: être sélectionnée pour les JO.
La romancière fait des incursions dans l’enfance de sa mère, dans celle de son père. Elle rapporte les régimes que la mère a pratiqués. Elle fait ingurgiter des pâtées infâmes, mais si bénéfiques pour la gymnaste. Cette dernière n’est pas l’unique cobaye. Les autres membres de la famille n’y échappent pas. La mère y trouve à chaque fois une justification.
Mais l’œuvre de Sonia Baechler intègre aussi une partie d’humour. Et quel humour! On s’en fait des tartines de bonheur. Même si parfois, le beurre a un léger goût de rance, il est vrai…

À lire sans modération

Son écriture est aérée, légère comme un couple salto, ciselée, incisive. Mon Dieu, faites que je gagne est un livre qui se déguste comme une pâtisserie exquise, sans craindre les calories… même pour les gymnastes. Sonia Baechler est incontestablement en train de gagner sa place au panthéon des auteurs romands.

ELIANE HINDI,
La Région

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La vie de famille sacrifiée d'une gymnaste d'élite au coeur d’un roman signé Sonia Baechler

Pour son troisième roman, l’écrivaine valaisanne Sonia Baechler s’est inspirée de sa propre histoire: celle d’être la grande sœur d’une gymnaste hors norme. Mon Dieu, faites que je gagne est une immersion totale dans le sport d’élite, une machine qui broie tout sur son passage.
Sion, 1984. Dans les couloirs de la Migros, les gymnastes de la société Sion-Gym font leur démonstration sur la musique de La Guerre des étoiles. Fascinée par le spectacle, une petite fille de six ans les rejoint et fait un grand écart sur le tapis de sol. Elle est tout de suite repérée.
Cette famille ne le sait pas encore, mais elle va prendre coup sur coup onze ans de gymnastique chevillée à l’âme et au corps.

Autofiction

Une fois la dernière page de Mon Dieu, faites que je gagne terminée, une question nous vient directement à l’esprit: Sonia Baechler a-t-elle vraiment vécu tous ces bouleversements et ces sacrifices en lien avec le parcours sportif de sa sœur? La réponse est à l'image de l’écrivaine, tout en nuances: «J’ai trituré et mis les mains dans une expérience vécue. Mais cela reste un roman», explique-t-elle à la RTS le 29 novembre. Ce n’est pas un récit de vie, ni une autobiographie. Les parents, la gymnaste ne sont pas les miens. En revanche le «je» se rapproche plus de ce que j’ai vécu.»
Tout comme sa narratrice, Sonia Baechler est une grande rêveuse, plus à l’aise avec les mots qu’avec son corps. Mon Dieu, faites que je gagne tient plus de l’autofiction que de l’autobiographie. Il n’empêche, l’immersion dans le monde de la gymnastique artistique est totale.
«J’ai trituré et mis les mains dans une expérience vécue. Mais cela reste un roman. Ce n’est pas un récit de vie, ni une autobiographie. Les parents, la gymnaste ne sont pas les miens. En revanche le «je» se rapproche plus de ce que j’ai vécu.»

Sport et religion

Dans cette histoire, les protagonistes n’ont pas de nom. Il y a le père, la mère, la gymnaste et la sœur de la gymnaste. Au fur et à mesure des années, celle-ci franchit les paliers, se qualifie dans l’élite, part étudier à la Haute école fédérale de sport de Macolin (BE). Et la famille est embarquée à 200%: déplacements dans toute la Suisse, régimes spéciaux à base de graines, aide aux devoirs. «Il faut lui faciliter la vie, c’est tellement dur pour elle», répète inlassablement la mère.
Réveil à cinq heures, école, trente heures d’entraînement par semaine, force, souplesse, douleurs, serrer les dents, solitude, concurrence avec les autres filles … En sport, comme en religion, les mantras sont nombreux.
Installée au cœur des gradins, la narratrice constate, amusée, la présence de Jésus, de Marie, de crucifix, bouddhas, grigris en tout genre, parmi les mères des gymnastes. Et cette phrase souvent répétée à mi-voix, avant chaque compétition. Mon Dieu, faites que je gagne.

Paradoxe de l’excellence

Avec ses 3'000 clubs répartis sur l’ensemble du territoire, la gymnastique artistique est, tout comme le football, un sport ultra populaire. Mais les premiers spectacles des pupillettes à couettes font rapidement place à un monde beaucoup plus dur.
Au final, elles seront cassées, brisées peut-être. Mais il en restera toujours une. Une qui aura tenu le coup le temps de monter sur un podium, de se qualifier pour les JO.
Ce paradoxe de l’excellence, Sonia Baechler en est tout à fait consciente, elle-même étant fascinée par les spectacles du Béjart Ballet. «Il y a quelque chose de magnifique dans ces danseurs et danseuses. Et j’ai beau voir les années d’entraînements difficiles, finalement je me laisse aussi emporter dans la beauté de leurs gestes.»
Faire mieux, limiter les dégâts sur les corps, les esprits et les familles, entourer l’excellence de bienveillance, voici quelques graines que Sonia Baechler aimerait bien semer, grâce à son dernier roman Mon Dieu, faites que je gagne. Mon Dieu, faites qu’elle y parvienne.

QWERTZ
/SARAH CLÉMENT

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«Entrer en compétition comme on entre en religion. Accepter les règles, les dogmes et rejoindre la prière: Mon Dieu, faites que je gagne.»
La narratrice a attendu plus de trente ans pour écrire un livre sur elle et sa sœur, «la gymnaste», pour le sport de compétition de laquelle toute sa famille a tremblé pendant des années:
«Pour rire de moi et de mes trous de mémoire, j'inventerai par ci et par là et peut-être partout. Ce qui me réjouit.»
Tout a commencé alors que sa soeur avait six ans et elle neuf. Elles ne savaient pas encore qu'elles avaient pris dès lors «onze ans de gymnastique et perpétuité pour l'âme et le corps».
Elle est mauvaise dans cette discipline: «Je suis même nulle.» Leurs parents ne l'entendent pas de cette oreille. Ils aimeraient que leurs deux filles concourent dans toute la Suisse.
Pour leur faire plaisir elle s'entraîne au club de Sion, mais c'est sa sœur qui passe les tests du Centre cantonal valaisan et que la famille va soutenir tous les dimanches que Dieu fait.
Sa sœur, comme les autres gymnastes, «rêvent toutes de devenir la nouvelle Comaneci, la poupée garçonne, l'élastique star de toute une nation,» tandis qu'elle se contente de participer.
L'univers de la compétition est impitoyable. Léo, l'entraîneur, répète à ses élèves «que pour réussir il faut souffrir, endurer, refaire, encore, vouloir,» autrement dit: «si tu veux, tu peux.»
Autant sa sœur se plie à ce régime, autant elle regimbe, puis renonce, ce qui la soulage. Ses parents et elle ne vivent plus désormais qu'au rythme de sa petite championne de sœur.
Son entraîneur, Léo, présente «la gymnaste» à Serghei, le chorégraphe roumain, pour qu'elle passe l'examen d'entrée au Centre sportif national de Macolin/Magglingen, près de Bienne.
Elle est partagée devant l'alternative: si sa sœur échoue, la vie reprendra comme avant; si elle réussit, elle perdra la liberté qui lui est laissée quand sa mère assiste aux entraînements.
Sa sœur a réussi. Les entraînements se déroulent dans le Valais, mais, pour ne pas rester dans l'ombre, il faut accepter, dixit Léo, de déménager près du site d'entraînement national.
Léo y trouve son compte puisque lui aussi rejoindra l'équipe nationale. Où la gymnaste logera-t-elle? Dans une famille d'accueil. La gymnaste ne lui manque pas, la soeur, oui.
Après un Noël, les entraînements reprennent, plus durs: «la gymnaste» ne doit pas être «trop fille,» alors qu'elle, elle l'est. Aussi ne l'envie-t-elle pas, sauf que sa sœur est «trop parfaite.»
À la fin de cette satire de la compétition sportive, Sonia Baechler lui fait poser la question sans réponse de «ce qui vient après…» la montée de sa soeur sur les podiums suisses et européens.
 
Blog de FRANCIS RICHARD

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Grandir à l’ombre d’une championne

Sonia Baechler raconte dans Mon Dieu, faites que je gagne une enfance et une famille, placées sous le signe de la gymnastique artistique de compétition que pratique la sœur cadette. Original et bien mené

Le jour où la sœur cadette de la narratrice, petite puce tonique et souple, est repérée par un entraîneur de gymnastique artistique en Valais, la vie de famille bascule. Le père et la mère, ravis du talent de leur fille, mettent leurs week-ends, et bientôt leurs soirées et leur salaire, dans cette aventure qui les grise et les remplit de fierté. Mais peu à peu, cette belle dynamique s’emballe et vire à la névrose familiale. Les parents se mettent à vivre entièrement au rythme de la gymnaste. Nourriture, entraînements, compétitions, blessures, objectifs: il n’y a plus d’individus, de «je» ou de «tu», mais une seule équipe familiale tendue vers les sélections pour des championnats de plus en plus prestigieux. De la sœur, silencieuse, en retrait, on attend à la fois moins, mais en le faisant savoir avec condescendance, et plus, sous prétexte que sa vie est plus facile que celle de la championne. Lorsqu’elle se met à écrire de la poésie et dessiner dans des carnets, la mère la ridiculise et évoque un passe-temps inoffensif. Lorsqu’elle ramène la note maximale en dissertation, la mère, au lieu de la féliciter, lui demande de rédiger la dissertation de la jeune gymnaste.
Mon Dieu, faites que je gagne est un cri du cœur. Celui d’un dommage collatéral, une sœur aînée embarquée malgré elle dans une histoire familiale qui l’a privée d’un pan entier de son enfance. Si souvent, elle veut qu’on lui rende les parties de cache-cache avec sa sœur, les dimanches tout simples de promenades en famille. Si souvent, elle se met à espérer une défaite, une petite blessure, juste de quoi stopper la machine infernale. Si souvent, ce qu’elle espère l’horrifie.
Pudique, subtil et émouvant, c’est aussi un roman à suspense psychologique qui se lit avec avidité, tant la tension est grande – l’on sent bien à quel point le drame menace. Sonia Baechler embrasse avec naturel et fluidité trois thèmes majeurs: la dynamique familiale lorsqu’elle se déséquilibre, les relations entre sœurs lorsque l’aînée se retrouve privée de son rôle protecteur et complice, et enfin le sport de compétition et de la gymnastique artistique en particulier. On sent l’auteure particulièrement touchée par la manière dont on dresse véritablement les filles, stoppant leur puberté pour éviter de prendre du poids, donnant tout pouvoir à des entraîneurs aux méthodes discutables. Impuissante, elle voit sa jeune sœur s’endurcir et souffrir sans se douter que ce qui fait son bonheur d’un jour fera son malheur d’une seule pirouette.

ISABELLE FALCONNIER,
LivreSuisse

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Il y a la gymnaste d’Élite et il y a elle, la grande soeur, qui rêvasse trop et qui ne sait pas mettre un pied devant l’autre. Au milieu des concours, des entraîneurs à l’ego démesuré et de toute une famille embarquée dans l’aventure tragi-comique d’une vie dédiée au sport, elle n’existe qu’en faisant de la résistance.
Quand la petite prodige atteint les sommets, elle comprend qu’elle doit coûte que coûte se trouver une voie de sortie…

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