Laurent Koutaïssoff


Atlas

Roman


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B E R N A R D C A M P I C H E E D I T E U R


CET OUVRAGE EST PUBLIÉ AVEC LAPPUI

DE LA COMMISSION CANTONALE VAUDOISE DES AFFAIRES CULTURELLES


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OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN DE LA VILLE DE LAUSANNE



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« ATLAS »,

QUATRE CENT DIX-SEPTIÈME OUVRAGE PUBLIÉ PAR BERNARD CAMPICHE ÉDITEUR,

A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA COLLABORATION DE FRANÇOIS AUBIN,

DE JANINE GOUMAZ ET DE DANIELA SPRING MISE EN PAGES : BERNARD CAMPICHE

COUVERTURE : JULIAN CHARRIÈRE - WE ARE ALL ASTRONAUTS, 2014 - INSTALLATION VIEW, AN INVITATION TO DISAPPEAR, DÉTAIL KUNSTHALLE MAINZ, MAINZ, GERMANY, 2018

(COPYRIGHT THE ARTIST VG BILD-KUNST, BONN, GERMANY) PHOTO BY NORBERT MIGULETZ

© 2019, PRO LITTERIS, ZURICH PHOTOGRAPHIE DE LAUTEUR : PHILIPPE PACHE, LAUSANNE PHOTOGRAVURE : CÉDRIC LAUBER, L-X-IR IMAGES, PRILLY

IMPRESSION ET RELIURE : IMPRIMERIE LA SOURCE D’OR, À RIOM

(OUVRAGE IMPRIMÉ EN FRANCE)


ISBN 978-2-88241-455-7 TOUS DROITS RÉSERVÉS

© 2020 BERNARD CAMPICHE ÉDITEUR GRAND-RUE 26 – CH-1350 ORBE

WWW. CAMPICHE.CH


Pour Daria, Sarah et Gabrielle


La géographie, à mon sens, relève aussi de la philosophie. J’ai choisi de l’étudier.


STRABON

Géographie, Livre I, Prolégomènes



1


CH R I S T O P H E D O I N E T avait toujours

aimé les amas de choses. De tailles variées, les piles qu’il avait tous les jours sous les yeux dans cette boutique rendaient l’espace bien plus petit qu’il n’était en réalité. Il aimait cette exiguïté, cette manière qu’avaient les clients de se faufiler entre ces murs fragiles qui oscillaient au moindre frôlement, de tourner la tête, émerveillés ou inquiets, comme des promeneurs égarés. L’étroi- tesse des lieux le rassurait, le silence aussi que cha- cun respectait dès que le tintement de la cloche annonçait l’ouverture de la porte, l’arrivée d’un explorateur prêt à se perdre dans ces méandres étranglés.

Été comme hiver, une toile de tissu délavé pro- tégeait la vitrine de la lumière ou de la pluie, évi- tant ainsi les reflets ou une constellation de gouttes déformantes. D’un désordre étudié, l’image devait être nette afin de donner au passant l’envie de fouiller et de dénicher l’objet rare. À l’intérieur, tous les rayons encombrés ployaient sous le poids et dessinaient dans une courte perspective des vagues

immobiles. Christophe interrompait alors son travail pour observer les visages obliques, ces êtres curieux et muets, l’esprit tendu par leur quête, cherchant à lire sur la tranche le titre d’une œuvre. Soudain, d’un geste vif, ils en extrayaient un, le tournant puis le retournant plusieurs fois. Un silence. Et puis brusquement, s’adressant au patron sans même parfois le regarder :

— Et celui-là, il est bien ?

De son comptoir, il émettait alors un son inimitable qui saluait à la fois le coup d’œil du client et la qualité du film en question. Puis en quelques phrases alléchantes, il résumait le scéna- rio.

Le Valentino était un magasin de DVD situé à deux pas du domicile de Christophe Doinet. Une échoppe qui dégageait une atmosphère de brocante. La richesse du fatras qui y régnait, les visages ner- veux des collectionneurs ne pouvant attendre une minute de plus pour acquérir la pièce manquante de leur puzzle, donnait à cette marchandise moderne le charme des vieux objets.

En découvrant l’offre d’emploi, Christophe avait su qu’il se plairait dans ce magasin. Une simple feuille affichée en vitrine. Quelques mots écrits au feutre sur un papier gondolé. Seconder le patron, tenir la boutique lorsqu’il s’absentait pour déjeuner, faire quelques commandes ou recherches… peu importait. Il pouvait travailler près de chez lui, échapper sans peine à ses parents et s’isoler à son aise dans cette multitude de boîtes en plastique.

Il avait traversé toute sa scolarité sans pro- blème, ponctuée par l’indifférence de sa famille et les soupirs résignés de ses professeurs. Il lui man- quait simplement le goût de l’effort, car dans son monde, celui de ses parents, il était incapable d’en comprendre l’utilité.

Pourquoi l’avait-il épargné durant tout son séjour ? Il n’avait jamais osé lui poser la question. Christophe regarda les plans qu’il avait affichés au mur. Il plia avec soin la feuille blanche, puis celle où figurait sa cellule. La troisième, ces quelques

pièces en enfilade de cet appartement qui n’existait plus, il la déchira.

Derrière le mur d’enceinte qu’il apercevait au travers de la fenêtre, les arbres se laissaient flatter par le vent. Sur l’écran de télévision, une jeune femme parlait du temps qu’il allait faire. Elle était debout devant une carte géographique qu’elle ne voyait pas.