Jean-François Thomas


Une semaine à tuer

Roman


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B E R N A R D C A M P I C H E E D I T E U R


CET OUVRAGE EST PUBLIÉ AVEC LAPPUI

DE LA COMMISSION CANTONALE VAUDOISE DES AFFAIRES CULTURELLES


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CET OUVRAGE EST PUBLIÉ AVEC LAPPUI DE LA COMMUNE DE JOUXTENS-MÉZERY


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« UNE SEMAINE À TUER »,

QUATRE CENT-DIX NEUVIÈME OUVRAGE PUBLIÉ PAR BERNARD CAMPICHE ÉDITEUR,

A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA COLLABORATION DE FRANÇOIS AUBIN,

DE JANINE GOUMAZ ET DE DANIELA SPRING MISE EN PAGES : BERNARD CAMPICHE

DESSIN DE COUVERTURE : FRANÇOIS ROUILLER PHOTOGRAPHIE DE LAUTEUR : © PHOTO TORNOW, ROBERTO ACKERMANN, À LAUSANNE

PHOTOGRAVURE : CÉDRIC LAUBER, L-X-IR IMAGES, PRILLY IMPRESSION ET RELIURE : IMPRIMERIE LA SOURCE D’OR,

À RIOM

(OUVRAGE IMPRIMÉ EN FRANCE)


ISBN 978-2-88241-457-1 TOUS DROITS RÉSERVÉS

© 2020 BERNARD CAMPICHE ÉDITEUR GRAND-RUE 26 – CH-1350 ORBE

WWW. CAMPICHE.CH



CHAPITRE UN

LUNDI


«LE PIRE , c’est le lundi matin », se dit Eduardo Gonçalves de Andrade. Rien de plus

pénible que de se motiver pour retourner au boulot. Les autres jours, ça va, on fait avec, on a repris l’ha- bitude de se lever aux aurores pour gagner son poste de travail et, subséquemment, sa vie. Mais le lundi, c’est lourd. Comme des vacances qui se terminent. La paix qui prend fin. La tranquillité rompue. La fin des haricots.

Bref, le bruit et le stress qui reprennent.

Le bruit, surtout, auquel on finit néanmoins par s’habituer. On a des équipements pour ça, de gros Pamir pour se protéger les oreilles, des vête- ments spéciaux, des lunettes et des gants de pro- tection. Mais, dans une scierie, il y a aussi la sciure, cette fichue poussière qui s’infiltre partout, même dans les sous-vêtements, surtout dans les sous-vêtements, et ça gratte les couilles et le reste. Seule la douche permet de se débarrasser de cette invasion et de tirer un trait sur une dure journée de labeur.

Mais c’était lundi matin et il fallait y aller. L’heure n’était pas aux réflexions philoso- phiques.


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Eduardo lâcha un gros soupir, du genre de celui que poussa Napoléon lorsqu’il vit arriver Blücher au lieu de Grouchy, et il sortit de son appartement en prenant soin de refermer la porte à clé derrière lui. Puis il gagna le parking extérieur, où la fraî- cheur de l’air acheva de le réveiller. Sa régie l’obli- geait à louer à un prix exorbitant une place de parc pour sa voiture, une VW Polo d’occasion verte pas- sablement cabossée. Il actionna le démarreur et son véhicule s’ébranla sans à-coups. Aucune excuse pour ne pas être à l’heure, zut.

À Aubonne, il se gara juste à côté de la scierie sur les places réservées aux employés. Au moins, là, on ne payait pas, toujours ça de gagné. Comme d’habitude, Eduardo était le premier sur les lieux. Il s’arrêta un instant et s’imprégna du silence, appréciant cet instant de calme, avant que le fracas se déchaîne lorsque l’activité démarrera. C’est lui qui habitait le plus près. En conséquence, il avait les clés et remplissait en quelque sorte aussi le rôle de concierge, ce qui par ailleurs arrondissait un peu son maigre salaire.

Il engagea la grosse clé en fer, d’un modèle archaïque, dans la serrure de la lourde porte en bois massif qui donnait accès à l’entreprise. Puis il intro- duisit la seconde clé, plus petite, dans la seconde serrure, plus discrète mais sécurisée, qui garantis- sait l’inviolabilité de la scierie. Au moment de les tourner, Eduardo fut surpris de constater que ses clés ne servaient à rien : la porte était déjà ouverte.

Il fronça les sourcils, soudain suspicieux.

Il se souvenait parfaitement avoir fermé la porte à clé vendredi soir. Il était resté le dernier,


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avec Rivelino, le patron ; ils avaient plaisanté et bu un verre de blanc, du valaisan, une Petite Arvine assez corsée et fraîche qui leur avait remis l’humeur au beau fixe. Rivelino avait tiré la lourde en lui racontant la fin d’une blague un peu leste et il se souvenait être parti d’un grand éclat de rire lors- qu’il donnait les tours de clés, raison pour laquelle il avait vérifié si la porte était bien close avant de retirer les clés.

Pourtant, elle était ouverte.

Prudemment, il la fit doucement coulisser sur ses rails métalliques sans poursuivre son geste jusqu’à l’ouvrir complètement. Il glissa son bras à l’intérieur et tourna l’interrupteur d’un coup sec, illuminant l’ensemble de la grande halle, bureaux exceptés.

Tout semblait en ordre. Aucun mouvement n’attira son regard. Les machines étaient là, silen- cieuses, n’attendant que le moment de se mettre en marche, de faire hurler les planches et de projeter la poussière dans l’air.

Eduardo termina d’ouvrir la porte en grand et la bloqua.

Puis il entra dans la scierie, estimant que, sous l’influence de l’alcool et de son accès d’hilarité, il avait probablement aussi mal tourné la clé que vérifié si tout était en ordre.

C’était donc reparti pour une nouvelle semaine de labeur. À chaque fois, la même constatation s’imposait. Dès qu’il remettait les pieds dans l’éta- blissement, oubliés les doutes, les craintes, les désirs de tranquillité. Le travail et la routine repre- naient leurs droits, comme s’il n’avait jamais quitté l’usine, même le temps d’un week-end.


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D’un pas décidé, Eduardo se dirigea vers les vestiaires pour s’y équiper.

C’est avant d’y entrer qu’il vit, sur son chemin, les jambes et le bassin d’un corps coupé en deux.

Ce qui le stoppa net ! Et tout ce sang !

Il se pencha pour dégobiller son petit déjeuner. Ce faisant, il découvrit l’autre moitié du corps,

les entrailles déversées. La puanteur recouvrit alors celle de la colle et du bois et Eduardo dut mobiliser toute sa volonté pour ne pas tourner de l’œil.

Sans succès.


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CHAPITRE DEUX

LUNDI


CYRIEL s’était pointé vers treize heures ce jour-là au restaurant de L’Avenir à Vevey. Une forte

odeur de fin de repas, un peu graisseuse, agressa ses narines. Maurice, qui était en train de servir un client, lui fit un signe de tête, tout sourire. C’était un jour faste pour le bistrotier, la clientèle était nombreuse et ne comptait pas que des habitués. Plutôt bon signe pour le chiffre d’affaires.


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