YVES ROSSET

LES OASIS DE TRANSIT

Relations de voyages
530 pages. Prix: CHF 42.–
ISBN 2-88241-163-4, EAN 9782882411631


Biographie

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À peine avais-je posé mes affaires dans ma chambre qu’elles étaient déjà recouvertes de la poussière du dehors circulatoire. Une lettre de la banque m’indiquait que mon compte-voyage était vide. C’était en octobre 2003. Je découpais ma carte Visa, commençais à écrire les premiers jours en Pologne et m’arrêtais au moment où j’étais en train de rêver au bord de la Vistule pour accompagner les enfants chez le dentiste. En allant apporter mes films du Japon à développer chez Karstadt, je croisai Max et Antonia qui m’expliquèrent qu’ils allaient acheter du vinaigre en action. Après plus d’une année privilégiée faite de voyages et de lectures, cela me remettait les pieds sur Terre. Mais comment boucler une boucle qui n’en est pas une ? Vie qui spirale. Mieux vaut parler d’aller et retour, de transit. Quelques minutes plus tard, je recroisais Max et Antonia. Ils avaient aussi trouvé des pâtes pour presque rien.

YVES ROSSET

Les Oasis de Transit est un projet littéraire d’«écritures en voyage», en oscillation constante entre le journal de voyage intime et une forme exacerbée de reportage littéraire. S’y donneront à lire autant un récit désirant traduire la nature poétique de la magie du voyage, qu’un essai réflexif sur les conditions de celui-ci à l’aube du XXIe siècle. – Se voulant écho incessant d’une expérience éperdue d’écritures en chemins, les Oasis de Transit devront, par leur rythme et leur genèse, rester ouvertes à ce qui les pénétrera et s’y infiltrera, au fil du temps et de la géographie parcourue – Les Oasis de Transit seront à réaliser en trois étapes de travail, auxquelles correspondront trois formats d’écriture – Des carnets tenus tout au long de l’année de la bourse et qui constitueront le manuscrit original remis à la FEMS – Des lettres électroniques adressées à un interlocuteur fictif et envoyées au fil des diverses étapes parcourues. Conçues comme un work in progress, ces lettres alimenteront une chronique à créer sur le site Internet de la FEMS – Un récit final intitulé «Oasis de Transit» et destiné à une publication rassemblant un montage du matériel d’écriture retravaillé. Un avant-propos y décrira la nature du projet ainsi que le cadre de sa réalisation. Les trois derniers mois de la bourse seront consacrés à sa rédaction. – Pour réaliser les «Oasis de Transit», je veux effectuer trois genres de voyages: – Des voyages de proximité, relativement courts, autour de Berlin où je séjourne depuis douze ans: Pologne, Tatras, Mer Baltique. – Des voyages plus longs où m’invitent l’amitié. : Israël, Etats-Unis, Italie. – Des voyages durant les vacances scolaires faisant sens pour ma famille et pour moi: Japon, Suisse, Paris, Turquie.

YVES ROSSET, pour le Jury du Prix FEMS 2003


«La vie étant cent fois plus riche que le peu qu’on en perçoit, on n’en fera jamais trop»
Nicolas Bouvier

Oasis de Transit argumentation thèmes désirs

Se nourrir d’oignon cru, boire du thé, se bourrer de harrissa et s’épeler le cerveau: s’en aller partir s’éloigner s’enfuir s’échapper disparaître fausser compagnie faire Charlemagne s’esquiver s’éclipser prendre la fuite gagner le large quitter la place sortir laisser la place faire place nette vider les lieux évacuer émigrer déloger décamper déménager filer dénicher déguerpir se sauver tourner le dos tourner casaque tourner les talons se replier lever le pied plier bagage prendre la clé des champs prendre la poudre d’escampette déserter démarrer débarrasser le plancher ne pas demander son reste prendre les jambes à son cou lever le camp lever le siège dire bonsoir dire adieu tirer sa révérence s’envoler émigrer s’en aller à l’anglaise prendre congé planter là s’évader se dérober esquiver échapper à éviter se garer se garantir se préserver prévenir se mettre à l’abri et puis, soudain, se dire «Enfin! Voilà! Je pars vraiment!». – Faire exploser le récit de voyage comme les «Aires de repos sur l’autoroute de l’information» (mon premier ouvrage) tentaient de faire exploser la littérature. – Voler, flâner, déambuler, s’épuiser, se ressourcer, inventer, décrypter, converser, aimer. Des traversées, peu de temps, un certain temps, passé derrière des fenêtres, des hublots, immobile, pensif, en émois. – Des marches, beaucoup, et les rêveries qui s’y associent et l’aspect onirique de l’écriture et des lieux qui en découlent, – Laisser s’imbiber le tissu du texte dans les atmosphères parcourues, voir comment au cours des étapes et de leurs mémoires vives, les coloris des unes déteignent sur ceux des autres, – Demeurer attentif aux métamorphoses du regard et de l’appréhension du monde durant le développement du projet, réfléchir le voyage. – Aller botaniser de par quelques champs et sous-bois du monde et en ramener un herbier touffu où se mélangeront plantes comestibles, espèces menacées, extractions guérissantes, ainsi que d’autres mauvaises herbes encore, pousses de tout poil, sauvages et impromptues et se moquant bien de la folie de l’Homme. – Aller en étant le plus perméable possible, le plus ouvert à tout, aux Autres, aux paysages, aux lumières, aux clichés, aux banalités, aux légendes, aux proverbes, au savoir lettré ou scientifique, aux mélodies, aux odeurs de mets inconnus, aux nouvelles du journal, aux mots que l’on ne comprend pas parce que prononcés dans une langue étrangère dont on ne saura jamais que quelques bribes, merci, bonjour, bonsoir, je voyage et j’écris, j’écris et je voyage, et simultanément mélanger tout cela et le retourner comme une vieille chaussette dans une frénésie concentrée de noms de lieux, d’impressions fragiles, fugitives, mais retenues en leur essentialité par la poésie. – Aller de Berlin à Berlin, un lieu où je suis déjà tout le temps en voyage. – M’étourdir l’oreille au foisonnement du bruit des rues et du chant de langues inconnues. – Aller avec confiance vers l’énergie que procure l’ailleurs et travailler. – Écrire! Écrire! Écrire! – A la plume, au stylo, au crayon, à l’ordinateur, le matin, le soir, sans cesse, ne faire que ça, debout, assis, couché, épuisé, ragaillardi, apeuré, serein, en musique ou en silence, mais ÉCRIRE!

YVES ROSSET

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Le Voyage hypertexte

L’année éditoriale romande 2005 va s’achever avec l’apparition d’un véritable OVNI littéraire, qui fera sûrement date. Les Oasis de Transit d’Yves Rosset constituent, en effet, un ouvrage atypique, cristallisation de notes prises au cours des voyages autour du monde de l’auteur bénéficiaire, en 2002, de la très substantielle bourse de la FEMS (100 000 francs suisses), lesquelles notes ont fait l’objet d’un premier état de travail, ensuite poussé beaucoup plus avant dans ce saisissant récit kaléidoscopique.
Entré en littérature avec Aires de repos sur les autoroutes de l’information, récompensé en 2001 par le Prix Georges-Nicole, et publié aux éditions Bernard Campiche, Yves Rosset (né en 1965) s’est immédiatement signalé par l’acuité de l’observation qu’il porte sur le monde contemporain et par sa façon de construire son texte en incorporant les innombrables informations simultanées qu’il nous est donné de capter, comme d’un hypertexte combinant tous les modes de perception, restitués dans un récit au langage incessamment inventif, relevant à la fois du journal de bord personnel, de l’essai critique, de l’évocation impressionniste et de la chronique.

JEAN-LOUIS KUFFER, Le Passe-Muraille No 67

Sur le métier

Comment Yves Rosset travaille-t-il? Quel rôle ses carnets jouent-ils dans sa démarche? Quelle avancée son nouveau livre marque-t-elle pour lui ? Telles sont les questions que nous avons posées à l’écrivain établi à Berlin, qui nous a répondu par courriel, sous forme de notes télégraphiques…
«D’où me vient l’écriture? À l’origine j’ai beaucoup écrit de lettres, que les gens aimaient. Autre déclencheur: la terrible découverte de la mélancolie, vers quinze ou seize ans, quand Nouvel-An s’approchait et qu’il fallait être heureux, alors que cela n’allait pas du tout et qu’il me fallait l’écrire. Cela ne cessant de se développer ensuite, avec l’impression de commencer tous les jours.»
«L’importance des carnets? Essentielle pendant des années. Aujourd’hui, j’apprends à écrire hors des carnets, mais ceux-ci restent importants comme source, mastertape. Quand j’ai assez de discipline, j’y tiens aussi mon journal, mais il y a souvent des semaines qui passent sans que j’y note rien du tout et c’est alors comme si je n’avais pas vécu. Importantes aussi: les images, qui y prennent de plus en plus de place, et l’usage de l’espace en tant que tel, avec un mot ici, un autre là-bas, et le regard qui passe de l’un à l’autre et ce qui est alors pensé.»
«Ce qui distingue Oasis de Transit du livre précédent? Je dirai que le récit est plus simple, plus lié, plus narratif et, je le souhaite, plus accessible, très ouvert, qui raconte comment je suis allé de là à là, avec qui j’étais et qui j’ai vu. Il y a beaucoup de citations car j’ai aussi beaucoup lu durant cette année. La lecture articule l’esprit, ouvre les yeux, le voyage est question de regard, et le récit de mots. J’essaie toujours d’être assez éveillé pour prendre le large en sortant de chez moi. À Berlin, parce que c’est grand, en faisant dix minutes à vélo je me retrouve dans un coin que je ne connaissais pas. Mais cela m’arrive aussi quand je vais rendre visite à ma mère ou quand je passe dans le passage sous-voies de la gare de Lausanne. Ce qui est bien, quand on est parti de là où on vient, c’est qu’on est en voyage partout, même chez soi…»

Propos recueillis par
JEAN-LOUIS KUFFER, Le Passe-Muraille No 67

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On the road again

Sur Les Oasis de transit d’Yves Rosset

La sensation-vertige d’ubiquité qui caractérise l’homme actuel dans sa relation au monde se perçoit à la fois psychiquement et physiquement (par ce qu’on pourrait dire la physique du processus de lecture) dès les premières pages de ce maëlstrom de notations que constituent Les Oasis de transit d’Yves Rosset, monstrueux journal de bord recomposé d’un voyage autour du monde sillonnant et quadrillant l’espace autant que les strates du temps.
Yves Rosset a voyagé librement une année durant, grâce à la bourse de 100 000 francs suisses (65 000 euros environ) qu'il a obtenue de la Fondation Sandoz, multipliant les allers-retours entre Berlin où il survit d’expédients (notamment barman de nuit) avec sa petite famille et le Japon, Israël et les States, entre autres points de chute d’un réseau tissant sa maille recoupée par le filet de ses mails amicaux round the world…
Dès les premières pages japonaises de ce livre profus et bigarré, rappelant Cendrars le curieux de tout et le mange-mots plus que Bouvier l’esthète cultivé, j’ai été saisi par la justesse du titubement initial du voyageur occidental au Japon illico confronté à ce qu’il dit une « fascination particulaire » détaillée en ces termes dès son arrivée à Tokyo: «Je regardais vers le nord, vers l’ouest, en direction de Shinju-ku, de Toshima-ku. Il pleuvait fort, grisaillait, mais le brouillard n’empêchait pas de voir que la ville ne cessait pas jusqu’à l’horizon. Infinies détrouvailles, approfondissements, différenciations, murmures des mercures humeuses, foulances errées. Deux jours auparavant, en revenant de la plage de Kamakura pour rejoindre la gare, nous étions remontés à contre-courant le flot d’une sorte de rush-humanity extraordinairement calme et disciplinée qui, déversée par la mégapole que forment Kawasaki, Yokohama et Yokosuka, se rendait au bord de l’eau pour assister au hanabi, le feu d’artifice de l’été. Chaque visage intriguait comme une nouvelle étoile, chaque corps vibrait d’une tension interne au sein du cosmos, chaque rire éclatait comme l’écho d’une manière de big bang en expansion assourdissante».
Ces notations m’ont rappelé la même sensation-vertige, exactement, qui m’a saisi la première aube blafarde dans le métro de Tokyo, au milieu de milliers de chauve-souris humanoïdes accrochées d’une main à leur poignée, de l’autre tenant l’attaché-case, chacune avec l’étoile éteinte de son visage, jusqu’au rush-humanity de la lente coulée vers les bureaux…
Ensuite le voyageur est en Judée, qui est celle à la fois d’un croquis rapporté de Chateaubriand («le paysage qui entoure la ville est affreux»), où voisinent, dans une atmosphère de banlieue décatie jouxtant le désert, bédouins de bidonville et soldats fatigués gardant leur arme proche («l’ordre existe de tirer dans la tête si l’on soupçonne que l’être qui s’approche peut être un combattant prêt à mourir»), vestiges archéologiques (Qumrân) et zones militaires, baigneurs de la mer Morte perpétuant la «foultitude solidaire du rhumatisme et de la tordue au fils des ans», et c’est parti pour un arpentage d’Israël qui superpose les images du catéchisme de jadis et celles du vrombissant présent ponctué d’explosions…
C’est un livre à lire lentement et en tous sens, dans l’ordre et dans le désordre, mais avec la même attention qui leste chaque observation de l’auteur. Je vais le trimballer avec moi jusqu’à la fin de l’année et peut-être au-delà. Sa lecture est à la fois intéressante, parfois un peu freinée par la pléthore, et vivifiante du point de vue de la langue qu’il touille et travaille au corps.
Voilà ce que ça donne par exemple: «Emporter en soi un morceau du monde et le bercer pieds nus dans le sable de la Méditerranée ou dans un manteau de laine sous les arbres nus de l’hiver brandebourgeois, parmi un rouge de brique nordique et les odeurs infinitésimales du charbon de houille se glissant dans le décor d’un passé prussien. Quatre millions de réfugués. Six millions de morts. Le H Manque sur l’inscription en tubes luminescents au sud du Sheraton. Vitres obscures. Mer léchée de flammes perçant le mur protégeant les vivants dormant encore ou déjà parvenus, sains et saufs, sur la plage du réveil. Drames de la mémoire du Narrateur à Balbec, imagination de l’eau, lumineuse, lustrale, reflétée aux fenêtres muettes de solitude, encore tapies dans l’ombre».
Or comme il y en a 500 page de ce tonneau-là, on se souhaite bon voyage…

Blog de JEAN-LOUIS KUFFER

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La meilleure odyssée

Elle est suisse, avec Les Oasis de Transit. «Partir, c’est renaître, se réveiller d’un sommeil dont le mouvement nous tire comme le baiser du Prince de la Belle au Bois dormant.»
Lauréat d’une bourse de cent mille francs, le Lausannois Yves Rosset a fait le tour du monde, des plages d’Ein Geidi, Israël, à celle de Big Sur, Californie. Au milieu, des milliers de considérations qui font penser que le bonhomme s’est moins lugé que ce qu’on aurait pu imaginer. Son projet était flou, son récit est celui d’un homme qui ne manque aucune occasion de s’attarder sur le monde qui l’entoure. S’il n’est pas vraiment l’écrivain-voyageur type, façon Nicolas Bouvier, il a pour lui une richesse de langue qui le rapproche d’un Patrick Boman.

MAXIME PÉGATOQUET, Femina

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Un écrivain qui voyage…

Yves Rosset a fait le tour du monde. Il en écrit l’état. Il livre ses «relations de voyages» en un volumineux livre événement. Tentative de lecture.

Titre: Les Oasis de Transit. Sous-titre: «Relations de voyages». Avec ses 528 pages denses, le nouveau livre d’Yves Rosset – Prix Georges-Nicole 2001 pour le très remarqué Aires de repos sur l’autoroute de l’information – intrigue. Un objet littéraire atypique et inclassable. Un «voyage hypertexte» comme le qualifie admirativement Jean-Louis Kuffer dans la revue Le Passe-Muraille.
Relation: le récit, la narration, le procès-verbal du monde, le témoignage d’un écrivain qui voyage, et non d’un voyageur qui écrit comme aimait à se dépeindre Nicolas Bouvier – c’est Yves Rosset qui précise! Relation: coexistence, corrélation, correspondance, identité. Contact, fréquentation. Oasis: c’est le moment du repos, le lieu agréable. Transit: passage en franchise, ou déplacement des neutrons d’un point à l’autre. Voyage, ce chemin à parcourir, cette relation…
Tout est dans le dictionnaire. Encore fallait-il en faire de la littérature. Né en 1965 à Lausanne, vivant actuellement à Berlin, Yves Rosset a reçu en 2002 la substantielle bourse du Prix de la Fondation Édouard et Maurice Sandoz. Cent mille francs pour écrire un livre, sélectionné sur projet. Aux jurés, Yves Rosset présenta un tour du monde. Avec des étapes pour aller visiter des connaissances. Des «oasis de transit».
Après avoir narré précisément l’obtention du prix à l’origine de son livre, Yves Rosset s’embarque pour le monde. Et d’entrée, on est proprement sidéré par la finesse et la plénitude de l’observation. Ce n’est pas tant la précision d’ethnologue ou d’anthropologue devant le spectacle des autres – les bibliothèques en abondent – que la mise en place littéraire de l’observation qui frappe. Il y a une véritable trame romanesque dans chaque oasis. La mise en place, alors, de ce transit perpétuel, ce sont les relations entre les objets, les senteurs, les mots, les attitudes.
«Au milieu des plaisirs et des misères du monde.» C’est une citation empruntée par Yves Rosset à l’Anatomie de la mélancolie publié en 1621 par Robert Burton. C’est le rythme qu’imprime à la relation de voyages l’alternance des êtres et des états des quatre coins du monde. La guerre est là, souvent. Notamment dans une longue évocation du conflit israélo-palestinien, sur place. L’écrivain est dans le réel, à l’épreuve de la relation écrite de celui-ci. Et puis Yves Rosset voyage avec une bibliothèque universelle d’où il extrait moult citations. Peut-être pour déposer quelques oasis de sens, ou de questionnement. La belle obsession de cette odyssée où croiser sans coup férir les «épluchures sèches» de la vie!
Alors? Yves Rosset cherche souvent sa direction dans ce long récit. Alors qu’il sait dès le départ qu’il reviendra à son point de départ. Décidément, on voyage tout le temps, même dans un apparent mouvement infime ou tournoyant. On passe aussi, dans tous les sens du terme. Ainsi à Auschwitz: «Mais moi je ne que passe. Et tout s’est passé. Rien, absolument rien qui pourrait servir de terme intermédiaire entre elles et moi, entre eux et moi.»
Dans le Nevada, Yves Rosset note, catégorique: «Paysage dépassé par le reste de l’évolution terrestre juste fait de pierre, de sel et de parkings for food.» Avant que l’écrivain n’embarque dans un avion à Los Angeles, alors qu’une voix par haut-parleur incite les passagers à s’agiter, à circuler. «Keep moving»… Tout avait débuté dans un grand enthousiasme: «Aucun sens n’échappe à la démangeaison bienfaisante qui s’installe lorsque l’on prend la poudre d’escampette. L’oeil se dessille, l’ouïe s’affine, l’odorat s’aiguise, le goût s’avive et le toucher se sensualise. Les lassitudes de la vie deviennent indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire.» Encore faut-il être heureux, pour échapper au voyage mélancolique, précise l’écrivain.
Quand il embarque à Los Angeles pour son ultime transit, il semble qu’Yves Rosset n’ait pas perdu ce bouillonnement intérieur, cette boulimie d’observations. Mais peut-être a-t-il au fond absous quelque chose d’un état des lieux en boucle, un immense système tournant à vide. Les passagers forment «des serpents humains qui vont bientôt se défaire en zone globalised world avant de se refaire au moment de l’embarquement dans le navire aérien». Magistral portrait aussi d’une douce folie ambiante qui est juste constatée, sans atteindre le bonheur intime?
C’est la folie des hommes. Mauvaise dans le conflit. Absurde quand un écrivain la décortique, comme celle des autoroutes périphériques de Houston, Texas. «Vous avez très clairement l’impression d’être le témoin de quelque chose comme un délire généralisé.» Un brin «Candide», Yves Rosset boucle sa relation généreuse et égoïste. Et si tout n’était définitivement que «délire généralisé», qu’il soit doux, beau, riche ou atroce, absurde, fatal?

JACQUES STERCHI, La Liberté

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«J’ai d’abord cru pouvoir zapper dans ce «monstre», où il faut s’immerger au contraire et y mettre du sien, tant la substance en est riche à tous égards, du quotidien à la sociopolitique. L’originalité de l’écrivain s’impose à chaque page, dans une qualité d’inventions verbales et de formules recyclant le langage parlé (on s’«encouble» même sans complexe). Bref, j’ai appris énormément dans cette somme profuse, dont la publication relevait du défi. Superbe aussi, la couverture néo-géo de Laurent Goei!»

BRIGITTE WARIDEL, «Mon choix», 24 Heures

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Merveilleuse bourlingue

Déjà lauréat du prix Georges-Nicole avec Aires de repos sur l’autoroute de l’information, Yves Rosset, ce Romand qui vit à Berlin depuis quinze ans, signe ici un roman qui aurait plu à Nicolas Bouvier. Même si cet auteur de 41 ans se considère plus comme «un écrivant en voyage» que comme un voyageur qui écrit, genre cher au maître de Cologny. Le voyage comme initiation, le voyage comme essorage de l’âme et du corps. «Partir, c’est renaître, se réveiller d’un sommeil dont le mouvement nous tire comme le baiser du prince de la Belle au Bois dormant», écrit-il. Avec lui, on ne reviendra pas indemnes de Berlin, Madrid, New York ou Mexico. Embarquement immédiat dans les meilleures librairies.

PATRICK BAUMANN, L'Illustré


Les démangeaisons du voyage

Les Oasis de Transit d’Yves Rosset parcourent le monde. On éprouve dans ces pages un sentiment proche de celui de nos propres voyages : les yeux se dessillent. Après Aires de repos sur l’autoroute de l’information (2001), l’écrivain né à Lausanne et installé à Berlin depuis 1990, signe là son deuxième livre.

En 2002, Yves Rosset bénéficiait du Prix de la Fondation Edouard et Maurice Sandoz (FEMS). Cette bourse de création artistique de 100'000 francs lui permettait de partir pour de nombreux voyages dans le monde, qui servent de matière première aux Oasis de transit. Aujourd’hui encore, l’auteur reste étonné de ce «prix faramineux qui, d’emblée, rendait toute la situation absurde tellement il y avait d’argent».
Dans le projet présenté à la FEMS, Yves Rosset détaillait ses destinations : «Pour réaliser les Oasis de transit, je veux effectuer trois genres de voyages. Des voyages de proximité, relativement courts, autour de Berlin où je séjourne depuis douze ans: Pologne, Tatras, mer Baltique. Des voyages plus longs où m’invite l’amitié: Israël, États-Unis, Italie. Des voyages durant les vacances scolaires, faisant sens pour ma famille et pour moi : Japon, Suisse, Paris, Turquie.»
L’amitié et la rencontre ont joué un grand rôle dans ce choix: «Les étapes, explique-t-il aujourd’hui, à une exception près, viennent des personnes que je connaissais vivant à l’étranger. Je me suis mis moi-même en route pour aller les saluer.»

De Tokyo à Big Sur

Les Oasis de transit ne forment pas un journal de voyage, explique Yves Rosset: «Le livre est quasiment mot pour mot entièrement retravaillé.» Mais les notes et les carnets de voyage – le direct – «sont un travail en soi, achevé et accessible au public: j’ai remis environ six cents pages de collages et de textes sous forme de carnets et cahiers A4 à la FEMS. Il est possible d’aller les voir, sur rendez-vous. Le livre est donc encore autre chose, il est bien plus construit, c’est une nouvelle étape.» Il ne couvre d’ailleurs pas l’ensemble du voyage, mais emmène tout de même ses lecteurs aux quatre vents: Tokyo, Israël, Egypte, Paris, Berlin, l’Atlantique en cargo, New York, Las Vegas, Los Angeles, Big Sur…
On est rapidement frappé, dans le livre, par la diversité des flux de conscience d’Yves Rosset. La narration «touristique» est noyée sous une association d’idées inattendue à laquelle succède une réflexion politique peu avant que commence le récit d’une soirée dans un club de Berlin ou autour d’une table du Caire…

Monde à deux visages


La réécriture n’a pas détruit la variété des perceptions. On a le sentiment d’être en voyage dans les Oasis de transit. On vit, dans ces pages, le surcroît d’existence qu’offre le mouvement, l’abandon de nos conforts et de nos lassitudes. Pour reprendre les mots de l’introduction d’Yves Rosset: «Aucun sens n’échappe à la démangeaison bienfaisante qui s’installe lorsque l’on prend la poudre d’escampette. L’œil se dessille, l’ouïe s’affine, l’odorat s’aiguise, le goût s’avive et le toucher se sensualise. Les lassitudes de la vie deviennent indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire.» Cette démangeaison, Yves Rosset nous la fait partager tout au long des 500 pages du livre.
Mais il convie aussi à observer l’absurdité et la cruauté des hommes et de la vie. Le livre est en outre porté par la tension entre enchantement et désenchantement. Pour Yves Rosset, l’écriture est liée à la douleur. Il s’explique: «D’abord, il y a la colère d’être au monde parce que celui-ci subit avec une brutalité effarante la violence de l’être humain et il y a cette paresse, ce désir de confort autour de nous, très sensible en Suisse, en Allemagne ou aux USA. Et cette énorme cruauté, quand vous pensez aux guerres et toutes les atrocités qu’elles engendrent. Tout cela est très douloureux à cause de la colère que cela génère.

Une ville plus grande

Yves Rosset vit à Berlin depuis 1990. Il s’y est installé pour «vivre dans un plus grand pays que la Suisse et une plus grande ville que Genève». en Suisse, il vivait dans le squat de l’ìlot 13. A Berlin, il savait trouver «une ville phare pour le mouvement des squatters». Il habite encore aujourd’hui «dans une communauté de maison avec 35 adultes et une cuisine commune», mais commente-t-il, « je vis au quotidien une vie de famille petite-bourgeoise ». En 1990, il rencontre sa femme dans cette maison. Aujourd’hui, il est père de deux enfants. «Je me réjouis presque tous les jours d’habiter ici, Berlin est une ville tranquille, très bon marché par rapport à la Suisse, et j’y partage mon temps entre la traduction pour l’alimentaire et les frais courants et l’écriture.»

CHARLY VEUTHEY, La Gruyère

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À propos des Oasis de Transit, relations de voyages

Attention! C’est 529 pages à vous mettre sous la dent. Là, vous vous dites, l’indigestion est pour bientôt, ce n’est qu’une question d’heures… 200 pages plus loin, trois cents peut-être? On va caler c’est sûr. On va mourir d’overdose de voyages racontés, de notes embrouillées, de bavardage inutile, c’est certain. C’est trop riche. Trop de citations. Trop d’étalage de «moi je, j’ai lu tous les livres!» Ben, voyons. À l’époque du «light», du fulgurant, de l’aphorisme vite fait sur le gaz, c’est le bicarbonate assuré (avec jus de citron, façon San Antonio), c’est l’alka selzer et le petit noir serré obligatoire. C’est la bouillotte d’eau glacée sur la tête surchauffée et le thermomètre enfoncé dans la bouche marquant 39° C. Il y en a trop. Yatro! Trossetro! (sic).
Eh bien non, miracle, on échappe au trop, et on avance. Où alors, on grappille. Pas besoin de commencer par le début. Le mode d’emploi (s’il devait y en avoir un), ce serait plutôt: ouvre où tu veux ce pavé et lis. Vas-y, plonge! Laisse-toi la liberté de commencer par ceci page 225: «Les eaux brunâtres de l’Elbe déferlent, hautes, tourbillonnantes. La vallée se resserre. Des déchets de toute sorte pendent dans les branchages des arbres pas encore débarrassés des suites de l’inondation de l’année précédente.» Ou ceci page 507: «Recours, rush hour, normalité, tout va bien, se dire
que l’on aura du sucre,
quand cela sera nécessaire,
ou un massage thérapeutique ou de la graisse de porc
ou de poulet ou sa bite
quelque part
quelque part qui mentira
I love you
qui dira
j’ai besoin de toi
(et tu répondras
tell me a lie
Et c’est l’émerveillement, d’un coup. Il y a du conteur chez Yves Rosset. Il y a aussi du poète désespéré de n’être pas dans la norme : il s’ennuie durant les fêtes, rendez-vous compte. Il y a surtout une manière d’attraper le lecteur par la main (par les yeux), pour l’entraîner dans les méandres d’un labyrinthe, pour lui faire parcourir sa vie du moment en ce début de nouveau millénaire, et lui ouvrir le regard sur le vaste, sur l’immense. Pour un petit Suisse, ce n’est pas rien. Il y faut du souffle et une belle énergie.
On connaissait l’écriture de voyage d’autres Suisses comme le père Bouvier ou la petite mère Maillard; on avait lu tout Chatwin (du moins on croyait). Plus anciennement, on se souvenait vaguement du Cendrars de Bourlinguer. Mais là, soudain, c’est du vrai, du brut, du parlant. Une langue connue, et pourtant étrangère. Un entrelacs de références littéraires, de souvenirs, de notes jetées en vitesse, d’atmosphères évoquées. Jamais lassant, cependant. Par exemple, les pages sur Auschwitz font frémir. On parcourt le camp, déjà mille fois décrit pourtant, avec une soudaine angoisse, une nouvelle incompréhension. Les millions de morts sont là. Ce n’est pas du reportage, mais de l’histoire vivante, vécue avec les tripes, avec de la pudeur aussi.
C’est aussi autre chose, cette écriture: c’est une manière de faire ressentir la réalité, de nous emmener au bout du monde (emmène-moi… encore!). De nous faire voir du pays, de nous balader.
Mais c’est aussi l’ami qui revient de loin et qui, au coin d’une table de bistrot enfumé, devant un verre de rouge, te raconte un de ces innombrables voyages, avec l’émotion d’un enfant qui découvre la planète Terre et ses contrastes. On en reste saisi.
C’est aussi une suite de photographies, d’instantanés, de shoots ultrarapides qui donnent l’impression que là, à la page 323, il faudra y revenir quand on aura plus de temps, car les lignes sont précisément celles du récit parfait du voyage moderne en mer. Dana, Melville, Conrad et Sue ne sont pas loin.
Ce sont aussi de belles rencontres, de belles retrouvailles ou de belles découvertes qui se logent dans ces pages : de nombreux auteurs vous font des signes de la main, vous donnent envie de les lire ou de les relire (mais qui donc a inventé doukipudonktan?).
C’est tout cela et bien d’autres choses encore que je découvre dans les pages d’Yves Rosset et que j’aimerais tant que tu découvres à ton tour, pour peut-être, plus tard, en parler plus loin. Voilà.
Et ainsi de suite.


JEAN PERRENOUD, Le Passe-Muraille

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Yves Rosset dans le voyage de l’écriture

L’ex-lauréat de la fondation Sandoz publie Les Oasis de Transit, un texte passionnant et insolite, fruit de son année de pérégrinations à travers le monde.

«Je voulais juste raconter ce qui m’est arrivé. Raconter, tout simplement. Il n’y a pas de fiction là-dedans, et cette sincérité m’a aidé à écrire.» Yves Rosset est chez lui, à Berlin, quand on lui téléphone. Alors qu’on le questionne, sa voix hésite, comme s’il craignait d’être mal compris. Pudique, il se contente de répéter: «Juste raconter.» Son récit pourtant est l’un des livres les plus originaux de cet hiver dans l’espace francophone, monde littéraire parisien compris. Un énorme volume de plus de 500 pages, où l’on suit le narrateur de la mer Morte à Tel-Aviv, du Caire aux États-Unis, en passant par Auschwitz, Paris, Lausanne, Berlin, Tokyo. En bruit de fond, le tout début de la guerre en Irak.
Un premier texte marqué par sa radicalité et son originalité, en 2001 avait reçu le prix Georges-Nicole. Tout autant que son écriture, sa méthode de travail avait attiré l’attention. Depuis des années, il use de carnets qu’il remplit au quotidien de collages et de notes. L’ouvrage était donc une sorte de retranscription de ces étranges compositions. Ce sont peut-être ces carnets qui ont convaincu la Fondation Sandoz de lui accorder une bourse, ce qui lui a permis de voyager et d’écrire Les oasis de transit.
Yves Rosset est donc parti à travers le monde, choisissant des destinations où il connaissait des gens, des amis expatriés. «Je n’ai réellement rédigé qu’ensuite, explique-t-il. Il y a un énorme travail d’écriture à partir des carnets et une volonté d’être plus narratif que dans mon premier texte. Et je n’ai parlé que de certains lieux. Il n’y a presque rien sur le Japon, peu sur la Pologne, alors que j’y ai passé beaucoup de temps, rien sur l’Italie. Je voulais tout raconter du début à la fin. Puis, la manière dont j’allais construire mon récit s’est imposée.»
Dans ce texte, on est très vite séduit par le point de vue du narrateur. Visitant des lieux chargés d’histoire, conflictuels, il ne se départit pas d’une immense humilité. Perplexe, il observe, écoute. Il décrit ce qu’il a sur sa table de déjeuner, ce qui est diffusé à la télé, ce que les différents membres d’une famille racontent durant un dîner. Mais chaque détail s’inscrit comme une pièce de puzzle.
L’auteur se garde de grandes réflexions idéologiques. Il cite, en toute modestie, nombre d’intellectuels, philosophes ou romanciers qui l’aident à comprendre ce monde: Ernest Jünger, Gilles Deleuze, Montaigne, Primo Levi ou Blaise Cendrars. «Ce sont des choses qui m’ont accompagné soit pendant le voyage, soit pendant l’écriture, explique-t-il. Je trouve très important de rendre hommage à ce qui a été bien formulé ou mieux vu par d’autres.»

Jardin secret

Entre les voyages, l’auteur retrouve sa femme, ses enfants, dont il parle beaucoup: «C’est un récit réaliste, intimiste, les enfants sont assez présents. Je voulais être direct et ouvert. Le fait d’apparaître avec mes enfants est une façon de dire qu’il n’y a rien de glorieux dans ce que j’ai fait.»
Un autre intérêt de ce texte, non des moindres, est qu’il est écrit en français à Berlin. «Pour moi, c’est étrange, avoue Yves Rosset. Les gens qui font partie de ma vie ne peuvent le lire. C’est comme un jardin secret.» Nul doute que cet environnement germanophone a des conséquences sur l’écriture. Il confie: «Je deviendrais fou dans un pays francophone parce que je serais tout le temps en train de noter ce que j’entends. C’est bien de n’être pas trop dedans. Être ici et publier en Suisse romande constitue une double protection par rapport à la langue. La situation serait différente si je publiais à Paris. Aujourd’hui, je me sens libre d’écrire comme je veux. J’ose plus facilement.» C’est ce qui, sans aucun doute, fait son originalité, son innovation et sa beauté.

SYLVIE TANETTE, L’Hebdo

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Voyage dans les voyages

Partir, c’est oublier ses habitudes, c’est parfois perdre ses repères. Mais partir, c’est «renaître» dit Yves Rosset, c’est «se réveiller d’un sommeil dont le mouvement nous tire comme le baiser du Prince à la Belle au Bois dormant». L’œil se dessille, l’ouïe s’affine, l’odorat s’aiguise, le goût s’avive et le toucher se sensualise. L’auteur voulait être comme un «écrivant en voyage», comme Nicolas Bouvier. Les «relations de voyage» dont il est ici question nous évadent du quotidien avec talent en une quarantaine de récits. Un ouvrage qualifié d’«ovni» de la littérature romande, «atypique et kaléidoscopique» par Jean-Louis Kuffer dans le Passe-Muraille.

CORINNE JAQUET, Journal de Veyrier

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Les Oasis de Transit
Yves Rosset donne un grand livre qui plante la littérature romande dans le XXIe siècle.

Attention, grand livre! Pour de bon, en 500 pages, Yves Rosset plante  la littérature romande dans le XXIe siècle. Le tournoiement  de son premier ouvrage, que distingua le Prix Georges Nicole, s'est développé avec Les Oasis de Transit en un parcours intercontinental. Voici les temps nouveaux, voici  l’écriture née des malaxages, des métissages et du zapping. Le Vaudois  marginal, celui qui vivait chichement depuis 1990 à Berlin avec sa femme et ses filles, qui lisait tout, qui collait dans ses carnets des slogans et des pubs découpées, s'est vu jeté physiquement dans le grand jacuzzi du monde. Pour surnager: une bourse de la Fondation Sandoz.
Ce défi bien combiné s'est révélé fécond. Par ce  coup de chance le solitaire est parti découvrir Israël, l’Égypte, Auschwitz, Omaha Beach, New York, Los Angeles, avec des pauses plus familières à Berlin, à Paris, sans oublier une road story de 7000 km à travers les États-Unis. Mais cette oeuvre dépasse de beaucoup le récit de voyage. La question, c'est l’angoisse qui divague aujourd’hui dans nos vies. Il s'agit donc d'un journal intime ou d'un inventaire du globe par un frère de Cendrars, pour l'œil,  de Saint-John Perse, pour  la géologie des amoncellements, de Godard, pour le diagnostic éclair, de  Perec pour les mots en kyrielle, de Pestelli pour le lyrisme d'un parcours obstiné, du vieux Montaigne enfin, dès lors que Rosset excelle en citations, consigne ce qu'il entend  et scrute sans système.
Les tensions de Tel  Aviv, les rues du Caire avec le petit tapis qui définit le cosmos, les déserts du Neguev ou du Far West, Auschwitz au quotidien et l'hier inimaginable, Manhattan parcouru comme Aragon labourait Paris,  composent  des morceaux d'anthologie. La pupille de Rosset plaquée sur le trou de serrure de l'Histoire, son esprit  est tendu vers un sens et des mots sont créés sans cesse pour le dire. Suivez le poète dans le maelstroem des déchets et des surabondances, changements, échanges et mélanges dans la tragique anonymité des visages. Le style mimétique accumule des phrases que l’auteur coupe brusquement: scrupules du cœur qui.
La flammèche de l'intelligence parcourt le fulmicoton de ce circuit. Effet 360º, mais bonheur intime de l'exactitude dans chaque chose éclairée. Et, de la mer Morte au Pacifique,  humour de l'humble qui a vu grand.

BERTIL GALLAND, Coopération

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Entretien avec Yves Rosset

– Vous avez présenté ainsi le projet des Oasis de Transit à la FEMS, qui vous a attribué la bourse nécessaire à sa réalisation: «Les Oasis de Transit est un projet littéraire d’«écritures en voyage», en oscillation constante entre le journal de voyage intime et une forme exacerbée de reportage littéraire. S’y donneront à lire autant un récit désirant traduire la nature poétique de la magie du voyage, qu’un essai réflexif sur les conditions de celui-ci à l’aube du XXIe siècle. – Se voulant écho incessant d’une expérience éperdue d’écritures en chemins, les Oasis de Transit devront, par leur rythme et leur genèse, rester ouvertes à ce qui les pénétrera et s’y infiltrera, au fil du temps et de la géographie parcourue – Les Oasis de Transit seront à réaliser en trois étapes de travail, auxquelles correspondront trois formats d’écriture – Des carnets tenus tout au long de l’année de la bourse et qui constitueront le manuscrit original remis à la FEMS – Des lettres électroniques adressées à un interlocuteur fictif et envoyées au fil des diverses étapes parcourues. Conçues comme un work in progress, ces lettres alimenteront une chronique à créer sur le site Internet de la FEMS – Un récit final intitulé «Oasis de Transit» et destiné à une publication rassemblant un montage du matériel d’écriture retravaillé. Un avant-propos y décrira la nature du projet ainsi que le cadre de sa réalisation. Les trois derniers mois de la bourse seront consacrés à sa rédaction. – Pour réaliser les «Oasis de Transit», je veux effectuer trois genres de voyages: – Des voyages de proximité, relativement courts, autour de Berlin où je séjourne depuis douze ans: Pologne, Tatras, Mer Baltique. – Des voyages plus longs où m’invitent l’amitié.: Israël, États-Unis, Italie. – Des voyages durant les vacances scolaires faisant sens pour ma famille et pour moi: Japon, Suisse, Paris, Turquie.» Avez-vous pu vous en tenir à ce projet très précis?
– Oui. Je me suis effectivement rendu dans les pays que j’avais indiqué et tenu mes carnets, qui sont ensuite devenus des cahiers. Je les ai remis à la FEMS, qui les tient à la disposition du public. Il y a cinq «petits» carnets à cinquante double-pages environ, pleins à ras bord d’écriture en pattes de mouche et d’images et quatre cahiers réunissant un total de 520 pages A4 de collages et d’écriture un peu plus grande. Cela fait un joli paquet et dès fois je me dis que la FEMS aurait du «mettre le paquet» et reproduire cela ainsi, car cela aurait été le meilleur moyen de présenter le travail effectué, qui visait, entre autres, à rendre compte d’une certaine masse de choses et de leur puissance épuisante et désordonnée dès que l’on essaie tant soit peu d’y songer. Les «Lettres à Elil», prénom de mon interlocuteur fictif, ont mis du temps à partir, mais, au nombre de sept, elles ont raconté à leur manière aussi le «work in progress» ayant eu lieu durant l’année. Le récit final a légérement changé de titre et ne raconte que la moitié des voyages effectués.

– Avec ses 530 pages, votre livre serait ce qu’il est convenu d’appeler un pavé, si sa masse n’était pas aussi fourmillante, allégée et fragilisée par les mille galeries qui la traversent. Or des nombreuses destinations prévues dans le projet , le livre n’a retenu presque qu’Israël et les États-Unis. Pourquoi ce choix?
– Je ne suis pas vraiment d’accord avec la manière dont vous résumez les destinations racontées par l’ouvrage qui, entre Israël et les États-Unis, passe tout de même par l’Égypte, l’Allemagne, la France, l’Espagne et traverse l’Atlantique. Mais sinon, c’est vrai qu’il y a un choix, et que, comme dit, je n’ai pas parlé de ma découverte de Cracovie et du Tatras derrière Zakopane, de mon passage à pied du Gotthard, de la fantastique journée passée à m’approcher de San Gimignano avant de me plonger dans la foule de ses touristes, du plaisir que j’ai eu à errer dans Rome, du séjour dans le sud-ouest de la Turquie et de notre voyage en bus jusqu’à Istanboul en passant par Boursa avec ma femme et mes enfants, de ma rencontre avec Wojketk à Varsovie et de notre voyage hallucinant avec Arthur près de la frontière biélorusse à l’est de la Pologne dans un temps de juin fou, avant que j’aille découvrir la dune mouvante de Leba, ni presque rien enfin des six semaines passées au Japon...
Le choix est technique. Il y a tentative de faire tenir le texte. Comment dire. Quand j’ai eu fini d’écrire le passage dans la Mer morte à Ein Geidi, celui où je dis que, d’une certaine manière, la douleur vient de l’intérieur, du déchiffrement de nous-même et que c’est ce qui porte l’écriture, je me suis dit que ce serait un bon début. Le but du prix FEMS est de permettre à une personne de faire un pas décisif dans son travail. Pour moi, Les Oasis de Transit, c’est un livre contre la douleur, pour le déchiffrement, même s’il y a peu d’introspection véritable. Comment dire... Mon écriture vient de la dépression. Maintenant que je le sais, cela ne veut pas dire que je ne vais pas retomber, mais au moins je sais qu’il faut que je passe à une nouvelle étape d’écriture, donc c’est un pas décisif. Ce qui ne veut pas dire que je ne vais pas, en partie, continuer à écrire à partir de ce déchiffrement, qui est aussi très fort et m’intéresse et reste de toute manière d’une certaine manière la source du courant. Et puis, le passage sur Ein Geidi commence avec les mots «Rien ne bouge». Je trouvais cela bien pour commencer un récit de voyage, que rien ne bouge. Finalement, Bernard Campiche, que je remercie beaucoup, m’a suggéré d’encadrer le récit pour que les lectrices et les lecteurs sachent un peu de quoi il s’agit, ce gars qui écrit et qui va comme cela en voyage. C’est l’«avant-propos» qui décrit «la nature du projet ainsi que le cadre de sa réalisation» que j’avais annoncé dans mon projet que vous avez cité auparavant.
Il y aussi d’autres aspects qui expliquent que je me suis de plus en plus tenu à ce choix au fur et à mesure de la composition du livre. Le texte «réel», après la manière d’avant-propos, commence au point le plus bas du voyage et finit dans l’avion, au point le plus haut. Il commence près d’une oasis, celle de Ein Geidi, et finit à Big Sur, ce qui est aussi une manière d’oasis. Et il traverse l’hiver, va vers le printemps, vers la lumière. Et puis, le mouvement général va vers l’ouest.

– Votre livre consigne une multitude d’images, de sons, de pensées, de bribes, d’associations d’idées, le tout de manière très rapide. Vous parlez vous même dès les premières pages du tournis que donne le monde, et du «chiffonage de sa bribité». Quelle est la part du carnet de bord et quelle est la part de l’élaboration littéraire dans l’écriture de vos Oasis? Très concrètement, combien avez-vous retravaillé les textes, et en quoi, pour la publication finale et l’assemblage entre les différentes parties?
– Le texte se nourrit des carnets mais il est entièrement réécrit. Toute sa «dramaturgie» est le fruit d’une nouvelle composition. Il n’y a pas, je crois, deux phrases qui se suivent de manière exactement similaire à ce que j’ai pu écrire dans mes carnets. Donc il faut aller les déchiffrer eux-aussi, car ils racontent autrement le même voyage, et en plus, il y a les images.
Dès la couverture, on se trouve confronté à différents mondes: le graphisme est résolument pop, on dira «neo-sixties», le choix du sous-titre «Relations de voyage» renvoie plutôt à Cook et Bougainville qu’à Kerouac. Mais les références musicales que l’on y croise vont plutôt du côté du jazz et du rock. Le style et le rythme que j’ai évoqués, la manière de penser et d’écrire rappellent plutôt des visions du monde à la Fluxus, des avant-gardes américaines et allemandes des années 1960-1970. Le livre regorge de citations explicites ou cachées. C’est un ouvrage au fond très cultivé, en même temps qu’il est très proche de la «vraie vie», des sensations vécues et de votre subjectivité. Vous situez-vous vous-même dans une ou plusieurs traditions particulières du récit de voyage?
D’après Laurent Goei, qui a réalisé la très belle couverture pour laquelle je le remercie encore ici, il s’agit d’un travail «néo géo», une approche qui date des années nonantes. Bon. Sinon, non, je ne me situe pas dans une tradition particulière du récit de voyage. Il faut aussi rappeler que «récit de voyage» était le thème imposé par la FEMS.

– À propos des citations, justement: quel rôle a joué la lecture dans le voyage?
– J’ai beaucoup lu, ou plutôt, essayé de beaucoup lire. Je me suis acheté pas mal de bouquins, puisque j’avais les sous pour, et j’en ai trimbalés pas mal avec moi un peu partout, ce qui alourdissait mes bagages. Mais en même temps, je lisais parce que cela faisait partie du projet, de lire sur les pays ou des auteurs du pays. Mais j’emporte toujours des livres avec moi, par exemple quand je vais à la poste et que je sais qu’il y aura du monde. L’autre jour c’était encore assez tôt le matin et je lisais Ulysse dans la traduction d’Auguste Morel, assisté de Stuart Gilbert, et, sauf un plaisir certain des mots, je n’y comprenais rien, mais je me disais alors que c’était normal parce qu’en fait, j’étais à la poste. Mais lire, bien sûr, c’est mon travail d’écrivant. Et si j’ai cité autant, c’est comme un hommage, un remerciement évident à cette présence vitale et si centrale qu’ont les livres, et qu’ils ont eu durant cette année privilégiée. En citant, c’était aussi une manière de rendre compte ce qui m’arrivait, cette rencontre avec des textes qui vous touchent exactement là où vous en êtes dans votre fuite, votre quête, votre périple ou votre écriture.

– Sitôt qu’un Suisse écrit en voyageant, l’ombre de Nicolas Bouvier, amicale, intimidante ou menaçante, est rarement absente. Qu’en est-il pour vous?
– C’était horrible, parce que je l’admire énormément et que son Usage du monde a eu un rôle de déclencheur pour moi en ce qui concerne l’écriture, mais en même temps, je n’ai rien de commun avec lui et le projet des Oasis n’avait rien à voir avec celui des voyages qu’il a entrepris. Pour résumer, lui, il était un pur, qui vendait des articles savants à des journaux de Théhéran, faisait des fouilles archéologiques en Afghanistan ou vendait des photos à des magazines japonais pour ne pas mourir de faim. Moi, j’ai dormi dans un palace à Boursa où je prenais des notes en peignoir douillet en sortant de bains chauds, mangé du crocodile à New York que je payais avec ma carte Visa, bu un apéritif dans le bar très chic et smooth au septième étages de l’immeuble Sisheido dans le quartier de Ginza, à Tokyo, et quand j’avais plus de sous, j’appelais la secrétaire de la FEMS qui faisait le nécessaire via la BCV. Sinon, la libération définitive est venue quand j’ai écris la phrase dans l’avant-propos où je cite, sans les marquer entre guillemets ou en italique, les deux titres des ouvrages phares de Bouvier et Maillard: «Oasis interdites et usage du monde», car j’ai alors compris en quoi ces titres ont aussi quelque chose d’exclusif. Les oasis sont interdites et réservées aux voyageurs d’une certaine espèce qui se reconnaît entre elle et l’usage du monde peut aussi être lu comme un impératif normatif, genre, voilà le bon usage, le bel usage, tout le reste est mésusage. Mais c’est un titre fantastique aussi, parce qu’il y a comme «usé» dedans, le monde qui nous use, à bon escient, etc. Oui, Bouvier, de fait, l’horreur du Maître que l’on n’ose pas tuer, mais les textes, vraiment, extra, même si, au fond, si on y pense, le «vrai» voyageur, encore plus dingue et digne d’admiration, c’est Cendrars.

– Le livre est en français, mais il contient de nombreuses expressions en anglais (et ce bien avant que votre trajectoire ne vous conduise aux États-Unis); des mots et des formules en allemand (vous vivez à Berlin) y sont fréquents. Comment vous situez-vous entre ces langues et leurs univers respectifs?
– J’aime bien les langues étrangères qui disent le monde autrement. C’est aussi simple que cela. Je regrette juste de ne pas en savoir plus. Et puis c’est aussi un moyen simple de placer l’étranger dans le texte. C’est certes exclusif vis-à-vis de ceux qui ne les connaissent pas, car je ne traduis pas les passages, sauf quelques uns, mais j’aime leur rythme dans la langue originale, et si jamais, les gens peuvent s’arranger pour découvrir ce que cela veut dire, donc c’est une exclusivité incitante, si l’on peut dire cela ainsi. C’est comme quand je dis aux gens que je connais ici d’apprendre le français pour lire ce que j’écris, car le 98% de mes amies et amis de Berlin ne savent pas, hélas, ce que je foutimasse, et que cela fait au quotidien comme une drôle de solitude. Mais bon. So ist es eben.

– Le Prix Sandoz que vous avez reçu se monte à 100’000 CHF. Une somme qui permet d’entreprendre un voyage comme le vôtre, mais qui peut aussi exercer une forme de pression sur son récipiendaire. Ce prix, en-deça de ce qu’il vous a objectivement permis d’accomplir, vous a-t-il par moments intimidé ou bloqué?
– Je ne sais pas si les mots «intimidés» ou «bloqués» sont les bons, mais je sais que je suis content d’avoir clos ce projet avec le livre. C’est vraiment quand je l’ai eu dans les mains que la pression a cessé. Elle était pour moi énorme, digne de la somme que j’ai recue. Je suis, je crois, infecté de ce que je me dis être l’environnement protestant dans lequel j’ai grandi. La récompense à la fin seulement. D’abord la tâche. Quand j’étais enfant, la Migros vendait une glace avec du parfum chocolat sur le côté, que je ne n’aimais pas beaucoup, et au milieu quelque chose comme «straciatella», du blanc avec des bouts de chocolat, et cela je l’adorais, et le mangeais toujours en dernier. Un jour, j’ai pleuré parce que, quand j’avais fini les parties au chocolat, je n’avais plus faim pour le reste. J’aurais dû me méfier de ce que ce genre de malheur voulait dire. Sinon, pendant l’année de bourse, oui, il y a des jours où je me réveillais et n’arrivais pas à me rendormir parce que j’avais le sentiment de ne pas avoir encore assez écrit et cela me rendait malade. Mais au fond, je crois qu’il y a deux niveaux différents de pression. Le premier est probalement naturel, lié au soucis que donne le travail, la réalisation de projet et les doutes qui y sont liés. L’autre est excessivement artificiel, lié à la perte totale des repères en ce qui concerne l’argent et ce qu’il vaut par rapport au travail. J’ai tout dépensé durant l’année de la bourse et depuis je vis de traduction technique. Je gagne assez pour vivre à Berlin, où la vie est bien bien meilleure marché qu’en Suisse, avec ma famille, mais à coup de mandats où parfois je gagne 9 euros ou 22 euros, et puis cela s’aditionne petit à petit et par bonheur cela nous permet d’aller de l’avant dans le luxe immense de la classe moyenne occidentale, mais c’est loin des sommes mensuelles que signifiaient la bourse et loin de ce que gagnent d’autres gens qui travaillent, que cela soit les sommes faramineusement élevées comme plusieurs centaines de francs à l’heure ou d’autres incroyablement basses comme deux euros par jour ou moins encore.

– Votre écriture a-t-elle beaucoup changé, évolué à travers cette expérience?
– Je ne sais pas. Je fais de mon mieux pour m’y mettre tous les jours. «Everything is changing», comme me disait Wojtek quand il me montrait Varsovie.

– De quoi est faite l’année 2006 d’Yves Rosset, écrivain?
– D’attente, d’initiative et de patience. D’attente parce que je ne sais pas encore comment je vais m’en sortir, si j’aurai assez de travail. Touchons du bois. D’initiative, car j’ai des projets et des envies, et de patience, car cela va assez lentement d’écrire, et plus encore quand l’écriture ne paie pas directement parce qu’elle ne touche pas assez de monde, donc que c’est comme un hobby qu’on s’offre plutôt qu’un autre et qu’en même temps cela ronge et pousse et travaille et suce et qu’il me faut renverser la vapeur!! Je cherche un agent!! Peut-être que Les Oasis de Transit trouveront un public, ce qui me permettrait éventuellement de me financer un mois de travail exclusivement consacré à l’écriture. Cela sonne un peu matérialiste, mais cela serait l’idéal. C’est en effet ainsi que, en septembre 2003, j’avais «lancé» la rédaction des Oasis, durant un mois seul dans une maison à Rueglio, dans le Piémont, avant de poursuivre sur ma lancée parallèlement à l’alimentaire jusqu’en août 2004, date à laquelle j’ai envoyé la première version du texte à Bernard Campiche

Propos recueillis par FRANCESCO BIAMONTE, sur le culturactif.ch

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Les Oasis de transit

«Tout ce que je savais, c’est que le voyage, dans ses bons jours, change tout. Adieu, quotidien sédentaire, engoncé dans tes habitudes qui nous ratatinent comme des vieilles pommes oubliées à la cave quelques hivers de trop. Partir, c’est renaître, se réveiller d’un sommeil dont le mouvement nous tire comme le baiser du Prince à la Belle au Bois Dormant. Aucun sens n’échappe à la démangeaison bienfaisante qui s’installe lorsque l’on prend la poudre d’escampette. L’œil se dessille, l’ouïe s’affine, l’odorat s’aiguise, le goût s’avive et le toucher se sensualise. {…} L’esprit n’est plus qu’engouffrement indistinct, bouillonnement fiévreux, effervescence grouillante, où se croisent pêle-mêle curiosités, attentes, impatiences, visions en oubliances, ainsi que le souvenir d’autres départs.»
Et voilà l’auteur parti, lesté d’un prix de 100 000 francs de la Fondation Sandoz.
D’un regard sans concessions, il observe, remarque, passe du détail au général, d’une touche légère à un futur inquiétant. Son long voyage lui fait traverser les États-Unis, visiter Las Vegas, la réserve des Indiens Navajos. Cent mille personnes manifestent contre la guerre en Irak. Partout demeure comme un cauchemar ou une menace le souvenir du onze septembre. «Devant les gardes un peu ahuris, au milieu du trottoir en tenant leur fusil-mitrailleur, le décalage est flagrant entre la masse politique de la peur qui légitime cette présence et la force qui légitime cette présence et la force réelle de l’individu suicide aveuglé, persuadé par sa haine qui finira toujours bien par passer entre les mailles du filet.»
Qu’il parle de la Jordanie et des manuscrits de la mer Morte, d’Israël et de la Palestine. «Omniprésence. Proximité. Angoisses au mètre carré. Tout voir à travers la grille de la guerre, de la menace. Frisson de peur des bus accordéons bondés…», de l’Égypte, ses embouteillages monstrueux et là, au milieu, la paix du tapis de prière, d’Omaha et «les traces que l’oubli brouille chaque jour un peu plus dans les lignes de sable», à chaque fois, les observations, les citations (françaises, anglaises et allemandes) en font de véritables morceaux d’anthologie, le tout en un langage terriblement moderne où les substantifs se conjuguent et où les mots qui s’inventent donnent un ton étrange et attachant aux 500 pages du livre.

JULIETTE DAVID, Suisse Magazine

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