VERREY, LAURENCE



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Depuis 40 ans, Laurence Verrey crée au rythme des saisons de l’inspiration

La Vaudoise fait l’objet d’une triple actualité: deux livres et le Grand Prix de la Fondation Pierrette Micheloud. Rencontre

Souriante, le verbe calme, Laurence Verrey bouillonne sous sa peau diaphane. Un jaillissement intérieur qu’elle s’efforce de traduire en mots depuis quarante ans. La Lausannoise d’origine, qui vit à Morges, se voit récompensée par le Grand Prix de poésie Pierrette Micheloud pour l’ensemble de son œuvre. Au même moment paraît Lutter avec l’ange (Bernard Campiche), un livre en prose composé sur plusieurs décennies qui éclaire rétrospectivement son chemin d’écriture.
Cette année a aussi vu le jour L’Ombre est une ardoise (Éd. de l’Aire), qui reprend la forme du quatrain de Chrysalide, son premier recueil. Drôle de période, donc, pour la lauréate, puisque cette distinction arrive en sandwich entre deux publications qui reviennent, à leur manière, sur ce combat de toujours pour «faire sortir les mots du néant». L’essence même de la poésie pour elle. «Ma conception de la poésie… c’est de concevoir justement, de créer en suivant l’inspiration au moment où elle vient, avec cette nécessité de survivre aux phases de désert, inévitables.» À certains moments, elle a cru la source définitivement tarie, mais elle s’est efforcée de patienter, de se dire qu’il y a peut-être des saisons pour l’inspiration. En hiver il ne se passe rien, on le croit en tout cas, et finalement ça repart. J’ai toujours eu le bonheur de voir que l’été revenait.» C’est pour elle la saison de l’inspiration: la chaleur, en particulier le feu, tient une place importante dans son œuvre. Tout comme la pierre, la nuit, le vin.

Passager clandestin

Cette inspiration, elle l’a nommée «le passager clandestin» dans L’Ombre est une ardoise: «C’est celui qui s’invite et qui nous surprend, persistant et brûlant comme une braise, mais c’est en même temps un écho bref, car il y a tellement de choses qui nous traversent avec fulgurance.»
Pour Laurence Verrey, écrire revient donc à capter «la chose» la plus impalpable qui soit, ces pensées fugitives qu’on essaie de ne pas perdre.» Quelque chose que l’on peut transmettre quand on réussit: «Ça devient une petite pierre que l’on peut tenir, se passe de main en main.» Et c’est bien ce que ressent le lecteur: une compréhension immédiate, venue d’on ne sait où, de l’incommunicable qui s’affiche en caractères d’imprimerie.
L’auteure affectionne aussi des proses poétiques plus vastes, comme Le Cantique du feu, qui a reçu le prix Schiller en 1987: «J’ai  toujours été attirée par des formes d’écriture très diverses, et mon œuvre oscille entre des formes très courtes, très travaillées, proches du silence, et d’autres qui déploient plus largement le flux verbal.»


Dialogue avec les arts

À l’écoute de son mon intérieur, Laurence Verrey conçoit aussi la pratique poétique en dialogue avec d’autre arts. Elle a collaboré notamment avec la peintre et calligraphe Louise Beetschen, avec qui elle a produit Horizons lumière (Le Cadratin, 2016), ou Feu sur le noir (Le Cadratin, 2018). Auparavant, le deux artistes ont beaucoup créé ensemble: «On avait par exemple mis de longues bandes de papier sur le mur. Louise dessinait ou jetait de l’encre sur ce support, et moi je suivais avec mon crayon.»

Rage et faillite de sens

Même seule, elle musarde en terres inconnues: Cryptogrammes traduit en 33 textes la mise entre parenthèses de l’écriture pendant sa formation en art-théraphie. Parallèlement, l’auteure vit aussi une sorte de crise du langage qu’elle nomme «naufrage du sens». C’était en 2015, après les événement à Charlie-Hebdo et au Bataclan. «Je n’avais plus d’affinités avec les mots, ça avait totalement perdu son sens. J’ai donc eu besoin de les cacher.» Elle les superpose, les rend invisibles sous de grosses tâches d’encre faites avec du papier de soie. Le seul geste qui lui paraissait «correspondre à la rage qui m’habitait». L’écriture finit par revenir, avec La Beauté comme une trêve, six proses écrites la nuit ou sur un banc. Une méditation sur la beauté, d’où «souffle un vent de fronde, de liberté, qui interdit de plier l’échine et de se résigner».
Suit un nouveau silence, qui permet l’éclosion d’une forme de partage inédite: après avoir découvert en 2010 les jumelages poétiques imaginés par le Marseillais Dominique Sorrens, elle crée l’association Poésie en mouvement, puis en 2015, les premières Salves poétiques à Morges (rééditées en 2017 et 2019): «J’avais fait venir huit poètes qui ont écrit pendant quatre jours, et le résultat a été mis en commun lors de la nuit des poètes. Une vingtaine de gymnasiens ont aussi écrit.»
Pour Laurence Verrey, c’est un catalyseur: «Les poètes rencontrés alors m’ont redonné l’énergie vitale, un élan, une impulsion d’écriture, et la confiance qu’écrire n’est pas vain.»




«Épurer le métal, calciner l’inutile»; l’art subtil de l’éclosion du poème

«Comment harponner le verbe quand il coule au fond de l’eau, muet subversif, battant des ouïes.» Parmi les thèmes qui traversent le recueil de Laurence Verrey L’Ombre est une ardoise, encore et toujours cette obstination à pêcher les mots justes: «En ton centre, une forge de feu travaille à ton insu, à épurer le métal, calciner l’inutile.»
Ces quatrains vagabondent des étoiles à la «crypte du sol», des blés hérissés à l’ombre bienfaisante au cœur d’un brûlant été, contre une ardoise où dire ma soif». Les mots se lovent aussi tout contre l’homme aimé, dans une exploration à la fois réjouie et porteuse de la conscience de la mort de de l’urgence de vivre et d’écrire.

Lutter avec l’ange

Dans Lutter avec l’ange, Laurence Verrey revient à la source de cette écriture, «sœur de la soif». Lorsqu’elle a 6 ans, sa mère abandonne le piano pour se consacrer à son foyer et ses enfants. Comme Jacob entame un corps à corps avec l’ange, l’auteure décrit sa lutte contre la culpabilité d’exister et d’avoir volé la vie de sa génitrice. Elle évoque aussi le pouvoir salvateur de la musique, pour laquelle elle se passionne mais qu’elle n’investira pas, par respect pour celle qui a sacrifié son don, puis la naissance du «goût d’écrire»: «Sur la langue un étonnement infini. Le goût du sel. De l’églantine. Du ciel versé sur les mains. Et de la pierre à feu.» La première écriture est vécue «comme des amours secrètes au cœur de l’été».
La rencontre amoureuse sera source d’encouragements, au lieu de la sentence que sa mère avait entendue de son père: «À quoi bon continuer ton piano, c’est inutile.»
Les mots de Laurence Verrey font écho à ceux perdus par sa mère à la fin de sa vie, mais aussi à ceux d’inconnus passés par la bouche de sa grand-mère qui, elle aussi, avait renoncé à son don: la médiumnité.
Mûrie durant une trentaine d’années, cette prose poétique témoigne de la nécessité d’écrire et brûle du feu de l’évidence.



En dates

1953: Naissance à Lausanne.
1973. Passe un an en Angleterre. Suivent des études d’infirmière, deux ans à Sierre entre le travail de la vigne et celui d’infirmière dans un service de soins intensifs et urgences.
1981-1982: Tour du monde avec son compagnon, découvre le Népal, la Thaïlande, la Chine, le Japon et les États-Unis. Naissance d’un fils. Suivront deux filles en 1985 et 1987.
1982: Chrysalide (Éd. de l’Aire).
1986: Le Cantique du feu, Prix Schiller 1987.
1998-2010: Formation et enseignement du français aux étrangers en voie d’intégration.
2011-2012: Formation en art-thérapie et animation d’ateliers d’expression. Découverte du dessin (crayon, charbon, fusain, pierre, pastel) et du geste de la main, qui donne naissance à Cryptogrammes (Le Cadratin, 2019), ouvrage réunissant 33 poèmes cryptés et encres de l’auteure.
2013: Crée l’association Poésie en Mouvement (POEM), consacrée au rayonnement de la poésie.
2015: Lance les Salves poétiques à Morges. Une fête du langage qui réunit autour de la création poétique des jeunes et des poètes renommés de la francophonie. POEM propose également des soirées de lectures avec des poètes invités.
2017: Coordonne le numéro de la revue française Les Carnets d’Eucharis consacré à la poésie romande, et un autre numéro en hommage à Gustave Roud en 2018.
2021: Parution de L’Ombre est une ardoise et Lutter avec l’ange, et Grand Prix de poésie de la Fondation Pierrette Micheloud pour l’ensemble de son œuvre. Doté de 40’000 francs, la distinction est décernée une année sur trois.

CAROLINE RIEDER
, 24 Heures,
29-30 mai 2021

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Depuis sa naissance à l’écriture et les poèmes de Chrysalide, Laurence Verrey poursuit une œuvre alternant poèmes, prose et livres d'artiste. Longtemps engagée dans l'enseignement du français auprès d'adultes migrants, elle se consacre actuellement à l'écriture et au rayonnement de la poésie. Elle crée l'association Poésie en Mouvement POEM et initie dès 2015 les Salves poétiques à Morges, une fête du langage qui réunit autour de l’acte d’écrire des jeunes et des poètes renommés de la francophonie.
Laurence Verrey est lauréate, pour l'ensemble de son œuvre, du Grand Prix de Poésie Pierrette Micheloud 2020.

Lutter avec l’ange