Mathilde-sous-Gare, de Chiara Meichtry-Gonet, chez Bernard Campiche Éditeur
Mathilde en partance. Toujours entre deux trains. Entre deux gares. Son
port d’attache après ses errances? Une petite ville du nord. Avec Jean,
être lunaire. Qui la dévore des yeux. Comme un chien éperdu d’amour
regarderait sa maîtresse.
Mais Jean ne s’est pas montré à la hauteur de ses attentes.«Assommé par
la peur.» Alors elle a fui. Attirée par l’appel d’Anna, l’amie fidèle.
Ses valises, elles les déposera dans un village de Sicile. En même
temps que le petit qui va naître, le fils de Jean. «Ce fut un feu
d’artifice. Elle l’entoura de mot d’amour. Elle lui apprit les silences
et la profondeur de la nuit.»
Son cœur ardent croit au retour de Jean. Lui se débat avec ses vieux
démons. Passent les années. S’écoulent les saisons. Mathilde n’en peut
plus d’attendre. Un jour, elle disparaît sans laisser de trace. Sauf un
carnet trouvé sur la table par son fils. «Il répétait chaque soir ces
phrases manuscrites et s’en fit un linceul.»
Il l’a remis à Jean, ce carnet. Sa lecture fait de grands tourbillons
en son âme. «Les mots gravés tintaient doucement.» «Tu me manques.» Une
litanie qui imprime sa cadence au carnet de Mathilde. «Elle était
devenue un vitrait et Jean contemplait la lumière qui émanait d’elle.»
Cet amours incandescent brûlera leurs ailes.
La langue est belle et souple. Balancée comme le rythme du train. Avec
des mots ronds, sucrés. Acides parfois, intenses toujours. On les
déguste avec gourmandise. La poésie, on la rencontre à chaque dénivelé
ou embusquée derrière un bosquet. L’auteure a brossé des portraits
savoureux de personnages croisés dans un train, sur un quai. Les
détails des descriptions donnent de l’épaisseur au récit.
Chiara Meichtry-Gonet est née en 1977 à Lausanne. Journaliste de
formation, elle vit et travaille à Sion. Elle a sillonné l’Europe dans
les années 90, en train. Ses périples l’ont menée jusqu’en Russie.
«Laisse-nous exister, Russie poétique, Russie exigeante, Russie
cannibale, Russie infinie, je t’aime!»
Ce roman dense a été publié par Bernard Campiche Éditeur. C’est le troisième ouvrage de la jeune écrivaine.
ÉLIANE JUNOD, L'Omibus, 12 février 2021
Mathilde, toute en départs
Livre tout en absences, Mathilde-sous-Gare
suit Mathilde, jeune femme qui remonte l’Italie dans un train bondé,
propice aux rencontres brèves mais riches. Avec son air de fugue, le
premier voyage en train de Mathilde en annonce de nombreux autres. Ce
sont autant de prétextes à des portraits rapides comme des flashs,
croqués en Europe et au-delà, de Paris à Saint-Pétersbourg ou à
Istanbul: «Vapeurs d’encens, d’herbes, de thé à la pomme et de
casseroles en cuivre. Le soir descend, Istanbul brille, et moi je suis
triste.»
La relation de Mathilde avec Jean va-t-elle l’arrêter? Il y aura une
violence, une ultime fuite en train. Dès lors apparaît, au fil de
lettres tourmentées, un nouveau motif: celui de l’amour impossible,
malgré ce trait d’union que représente l’enfant de Mathilde et de Jean.
Dix-sept, trente puis cinquante ans: Mathilde-sous-Gare,
c’est une vie de femme libre et sauvage, toute en départs mais aussi en
rencontres. Fugaces ou prégnantes, dès le temps des dessins d’Icaro,
elles savent émouvoir et l’auteure Chiara Meichtry-Gonet les retrace
avec la sensibilité de ses mots.
DANIEL FATTORE, La Liberté, 19 décembre 2020
La vie en fuite
Chiara Meichtry-Gonet fait le portrait délicat d’une trajectoire blessée dans Mathilde-sous-Gare.
Mathilde promène ses dix-huit ans en Italie avec son amie Anna. Sur la
route du retour, en solo, il y a des hasards funèbres, des télescopages
fatals qui en un instant mettent fin à l’innocence, comme le suggère en
une phrase Chiara Meichtry-Gonet dans Mathilde-sous-Gare.
Il faudra pourtant rentrer chez la mère, le jeans fétiche soudain
poisseux abandonné comme le symbole de la pureté souillée, et vainement
tenter de reprendre un quotidien futile.
Face à cet impossible, Mathilde fera de l’errance un mode de vie,
fuguant de train en train, esquissant le portrait de ceux qu’elle y
croisera, leur laissant la parole tant que la sienne se refusera. Lors
de ces rencontres furtives, un homme se distinguera, Jean. Mais le plus
beau des amours, fusse-t-il fécond, peut se dissoudre dans les vapeurs
éthyliques. Mathilde, encore, devra repartir, avancer sans pour autant
cesser de se retourner, caressant jusqu’à la désespérance l’espoir d’un
inconcevable retour.
Elle est de ces héroïnes éthérées dont le destin ne se dessine qu’au
travers des yeux de ceux qui croisent leurs pas ou étreignent trop
rapidement leur main. C’est avec tout autant de subtilité et de finesse
que l’auteure valaisanne raconte cette femme, la dessinant à l’aube de
la vingtaine, dix ans plus tard et une dernière fois au seuil de la
mort. Si l’envolée finale se consacre aux amours qui transcendent
l’absence et se teinte d’une touche de surréalisme, Mathilde-sous-Gare, dans son ensemble, se lit le cœur aux aguets.
AMANDINE GLéVAREC, Le Courrier, 5 novembre 2020
«Mathilde
vendait des portraits de gares et de trains. Elle écoutait les gens,
puis transcrivait leur histoire. Ses billets étaient publiés, discutés,
suivis. Ils étaient signés, mais elle, elle n'existait pas. Elle se
déplaçait constamment, brouillait les pistes.»
Mathilde-sous-Gare
commence dans un train, quand Mathilde a dix-sept ans. Elle vient de
quitter Anna avec qui, lors d'une fugue organisée, elle a passé des
jours, «au bord de la mer, à manger d'affreuses brioches à la glace.»
Elle remonte vers le Nord, après une étape, à oublier, à Naples, entre
deux trains.
Arrivée dans sa petite ville, elle sombre. Le contre-coup. Dans le
café, sous les colonnes, avant de franchir les six kilomètres qui la
séparent de chez elle, elle boit. Car elle qui écrit d'habitude
facilement, ne trouve pas les mots. Sans doute est-ce parce qu'elle
ressent «du vide partout autour d'elle et en elle.»
Quelques mois plus tard, quand Mathilde revoit Anna, celle-ci n'est pas
dupe et comprend tout. Elle voit «le voile dans sa pupille.» Ensemble
elles enterrent le passé de Mathilde: «Maintenant, elle allait écouter
les histoires du monde et remplir tout son vide.» Jusqu'à ce qu'elle
rencontre Jean dans un train.
Mathilde a donc écouté les histoires du monde et les a transcrites.
C'étaient des histoires de gares et de trains, en Italie, en France, en
Espagne, en Roumanie, en Turquie, en Russie et même en Californie:
«Elle ne volait rien aux gens. Elle leur donnait de la voix, donnait
chair à leurs mots et les faisait exister.»
Jean n'a qu'une crainte, c'est que Mathilde ne parte à nouveau par
voies ferrées et par gares. Mais elle reste. Leurs amours se
distendent. Jean sombre, mais elle reste, sans pouvoir s'empêcher de
regarder passer les trains. Jusqu'au jour où Anna lui annonce qu'elle
se marie et l'invite à ses noces, dans le Sud.
Dès lors les amours de Mathilde et de Jean demeureront malgré une
longue absence. Ils se manqueront, mais rêveront indéfiniment l'un à
l'autre, où qu'ils se trouvent. Parce que leurs corps et leurs esprits
se souviendront, parce que les mots de Mathilde resteront et parce que
Jean, à la fin, saura même les dessiner.
Blog de FRANCIS RICHARD
Mathilde
a dix-sept ans, et puis trente et presque cinquante. Elle aime les
histoires, les gens et les portraits de gares. Elle aime les cols
hauts, les chaussettes de fil et les collines du Sud. Et puis, elle aime
Jean. Un jour, Jean a trébuché, assommé par la peur. Il s’est oublié.
Mathilde est partie, sans se retourner. Incapable de pardonner,
incapable de cesser d’aimer. L’amitié, la maternité assècheront sa
peine, sans pourtant éteindre ses solitudes ou ses silences.
En forme de road movie
ferroviaire, huis-clos intime entrecoupé de rêveries de passage et
parsemé de personnages bizarres, lumineux ou parfaitement soûls, le
roman se déroule au rythme d’une déchirure, entre les frissons du
manque et l’embrasement des désirs. La culpabilité aussi, qui s’insinue
sous les douceurs, la reconstruction, du corps et de la volonté, et le
désespoir, finalement, des adieux.
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