JULIEN BURRI

MUSCLES

Roman

&

LA MAISON

Morceaux


Roman & Morceaux
2014. 360 pages. Prix: CHF 39.–
ISBN 978-2-88241-377-2


Biographie

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Étonnant ouvrage où l’auteur raconte dans deux histoires, présentées tête-bêche comment ses personnages cherchent à survivre.
Muscles est une sorte d’invocation à la deuxième personne comme si un observateur commentait sans cesse les efforts du jeune homme qui se venge de la vie en forçant son corps à se muscler, à gonfler, exercices et dopages savamment combinés jusqu’à l’explosion finale.
La Maison est un personnage, cadre de l’amour ou souvenir pesant d’un temps passé mais pas oublié, cauchemar d’un sentiment qui se fait, se défait, revient, apparition fugitive qu’il faut tuer pour survivre.
L’auteur s’implique et implique le lecteur par le tutoiement des personnage. Et bien que les deux histoires semblent très différentes, on retrouve chez chacune d’entre elles, sous la dureté de certaines scènes, la tendresse et la poésie de l’auteur.

JULIETTE DAVID,
Suisse Magazine

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Écrire le corps

La dernière parution du Vaudois Julien Burri donne lieu à bel objet éditorial: son éditeur Bernard Campiche publie un double livre, soit deux textes tout à fait autonomes rassemblés en un seul volume. Une première couverture annonce un roman, Muscles, et une seconde de l’autre côté du livre, des «morceaux» réunis sous le titre La Maison. Si les deux textes ne partagent pas d’histoire commune, ils se rejoignent à des niveaux tant thématiques que formels. L’un et l’autre réinterprètent des sujets empruntés au répertoire de l’auteur. Ainsi le corps et le regard qu’on lui porte demeurent centraux, tandis que les transformations du physique donnent le fil rouge des récits. L’obsession de soi, de ce corps que l’on s’efforce à garder sous contrôle, pousse les personnages à l’isolement et, inévitablement, les relations amoureuses aboutissent à rupture, faute de communication. Du côté de la narration, on retiendra cette interpellation en «tu», récurrente aux deux textes. Un effet d’immédiateté un peu déroutant qui entraîne le lecteur au cœur de l’histoire, superposant sa lecture au point de vue du personnage principal.
Journaliste critique à l’Hebdo, écrivain principalement publié chez Bernard Campiche, Julien Burri s’est distingué par sa maîtrise de la forme brève. Il a également signé quelques romans (Poupée, entre autres) qui empruntent des éléments stylistiques aux genres plus courts dans leur manière de découper l’histoire en petits chapitres, comme autant d’instantanés. On reconnaît à l’auteur de 34 ans une attention particulière portée au dépouillement, polissant sa phrase jusqu’à l’os pour dégager en quelques traits le caractère de ses personnages. Un talent qui lui a valu le Prix culturel Network pour son roman Beau à vomir (Campiche 2011). Décernée cette année à Soleure, cette distinction prime entre autres des auteurs homosexuels qui participent à soutenir la culture gay dans leurs créations littéraires.

Discipline

Muscles tire un parallèle entre la beauté d’un corps, ici démesurément musclé, et l’acceptation de soi. Le roman conte l’histoire d’un bodybuilder qui s’acharne à faire gonfler son corps en enchaînant entrainements, shakes de protéines et injections. Alors que l’envie de sculpter son physique lui est née du souci de plaire, la rigueur de l’exercice finit par imposer un rythme de vie qui contrarie sa relation amoureuse. Sa femme Amélie se plie d’abord gracieusement aux exigences de ce corps, le caresse, le choie. Mais la masse de muscles va jusqu’à compromettre les mouvements. L’hygiène physique instaure une discipline qui les sépare peu à peu, puis les isole.
Il est surprenant d’assister à cette métamorphose du physique qui, un peu paradoxalement, mène à nier les fonctions du corps, son utilité. Celui-ci n’est plus au service de rien, tant et si bien qu’il devient image, une apparence que redessine sans cesse une volonté de fer. Le corps s’impose alors de lui-même, devient un obstacle insurmontable entre le personnage et ses proches. Il va jusqu’à prendre le relais de la parole: les dialogues sont évacués du roman de Julien Burri. L’accent est plutôt mis sur la description. L’écriture détaille une situation avant d’avoir recours à l’ellipse pour accéder à la suivante, laissant au lecteur le soin de remplir les vides. C’est une succession de scènes que la plume de l’auteur décompose «en milliers d’images fixes». Ce faisant, il met en lumière les ambivalences, de l’adulation du corps jusqu’au dégout total que sa superficialité inspire.

Genèse du corps

Tout corps a une histoire, et une dizaine de chapitres donne la genèse de celui du personnage principal. Il s’avère être le résultat d’une enfance grise et solitaire. Le lecteur apprend en filigrane le décès abrupt de sa mère aimée, la surveillance maniaque de son père, puis les années passées chez des grands-parents végétant dans «une poche de passé». À deux reprises, le roman inclut des extraits du livre de poèmes de la mère, que le fils lit en tentant d’y retrouver une douceur perdue. On peut mettre en doute la pertinence psychologique de cet interlude, cependant il ancre le roman dans un contexte bienvenu.
Ainsi le contrôle que gagne le personnage sur son corps est analogue à celui qu’il aimerait exercer sur sa vie: «ton corps, tu l’as maté, humilié, tu lui as fait mordre la poussière – ton corps t’obéit.» Car si le personnage de Julien Burri voit dans la douleur de l’entrainement la signature de sa masculinité, il trouve aussi dans la contrainte un exutoire à ses souvenirs. Ce corps gigantesque s’avère être l’expression des tourments du personnage: «plus tu prends du volume, plus tu t’évides au cœur».

Morceaux

Le roman Muscles une fois terminé, le lecteur retourne le livre pour entamer le second texte, La Maison. Ces fragments de récit flirtent avec la prose poétique, tant dans leur choix de mots que dans leur brièveté. L’écriture se ressert autour d’un couple d’hommes établis dans une maison de campagne. Elle est leur «île de Robinson», le lieu unique de leur relation, puis le théâtre de leur séparation.
À nouveau, la narration adopte la seconde personne du singulier pour infiltrer le regard d’un homme. Celui-ci est écrivain. On le sent sensible à cette nature qu’il voit par la fenêtre, à ce paysage qui se métamorphose lentement au fil des saisons. Il semble vivre à la fois dans une contemplation passive et dans la perpétuelle attente du retour de Jaël, son partenaire souvent absent, distant même durant leurs moments intimes. Jaël cultive une étrange passion pour les oiseaux, qu’il «collectionne» et retient dans des volières installées autour de la maison. Les deux hommes forment un couple bien asymétrique: l’un statique, l’autre volage, ils se dirigent vers la rupture. Bientôt, Jaël choisit de vivre avec un autre.
Dirigé par la métaphore, ces «morceaux» donnent à voir un homme qui, aussi docile qu’un oiseau privé de liberté, se laisse enfermer à la fois dans la maison et sa relation amoureuse – des cages qu’il ne parviendra plus à quitter. Il restera pris dans les filets de ses souvenirs, rejoignant en rêve la maison et son ancien amant. Plus court que Muscles, plus discret dans son propos, le récit manque cependant d’épaisseur et de nuance, l’écriture de curiosité. On regrette aussi que l’auteur ne donne pas véritablement chair à ses personnages, de sorte que leurs émotions puissent mieux s’affirmer.

Immatérialité

L’écriture de Julien Burri s’est sans conteste affinée au fil des publications: son verbe est efficace, ses sujets bien définis. Et malgré tout, ses romans peinent à convaincre. Ils sont comparables à des poignées de sable qu’on laisserait s’écouler entre ses doigts – si la sensation demeure, la matière s’échappe trop rapidement. D’une façon un peu similaire, longtemps après la lecture des récits de Burri, on se souvient des ambiances, tandis que leurs contenus s’effacent.
Une conséquence au dépouillement du style? À cette volonté de décrire les situations sans vraiment s’y tremper? Ou au malaise auquel l’auteur confronte son lecteur en l’apostrophant avec ce «tu» frontal, établissant un point de vue unique? L’écriture est à ce point précise qu’elle manque de générosité, renonçant à esquisser un contexte, planter un décor, ouvrir les perspectives. C'est dommage que la plume pourtant acérée de Julien Burri s’arrête au seuil du roman. Ses textes regorgent de phrases et de situations touchantes, mais doivent encore s’enrichir pour s’imposer vraiment.

ÉLISABETH JOBIN,
Viceversa littérature

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Un bel objet intrigant que ce livre qui en compte deux, tête-bêche: d’un côté un roman, Muscles. De l’autre, des «morceaux» qui composent La Maison. Le héros de Muscles est un adepte du body building, un colosse un peu raide et engoncé. Julien Burri sait très bien rendre les efforts du corps, maté, humilié, tatoué, obéissant; les muscles qui gonflent et forment une armure. Dans la vie de ce grand enfant à qui l’auteur s’adresse en le tutoyant, il y a Amélie, qui le rassure et le domine. Et Édouard et Leila, les deux chats qui leur servent de bébés avant qu’arrive le vrai. Les souvenirs d’enfance, anodins puis cruels, se mêlent à l’odeur des salles d’entraînement et des piscines, la répétition du malheur s’entrelace aux poèmes écrits par la mère. Sobre et léger, le récit dévoile des abîmes très noirs. La Maison est un livre de deuil, l’évocation d’un amour perdu à travers les lieux qui l’ont enchanté. Ils sont magiques: paons, perroquets, perruches, chiens et roses, le lac n’est pas loin. Des souvenirs s’y accumulent: un petit coeur en fil de fer forgé, les films vus ensemble, les moments de sensualité, des visions de l’enfance. Très vite, entre les courts fragments, se dessine une fracture, comme une menace: suicides, disparitions suspectes, l’ombre de la mort, le froid, l’hiver. Et Jaël, l’ami, ne revient plus. La maison qui était abri, paradis, s’écroule, devient danger, agression. Julien Burri est poète, jusque dans ses proses, imagées, évocatrices, qu’il dessine en quelques mots précis.

ISABELLE RÜF,
Le Phare, Centre culturel suisse, Paris, jounal No 18

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De corps et de cris

Deux livres en un, tête-bêche. Pour mieux y déceler les échos, les renvois. Deux textes écrits au «tu» comme pour impliquer le lecteur, entrer plus avant dans l’intimité. D’un côté, Muscles, le roman effrayant d’un jeune homme qui tente de soigner ses blessures en sculptant son corps jusqu’à se perdre. De l’autre, La Maison abrite un amour qui s’effrite, par bribes, où chaque bref chapitre frappe dur et sec.
Dans les deux textes, le poète et journaliste vaudois Julien Burri régale par sa finesse d’écriture, son sens de l’image et du mot juste. «Tu cries dans le bois, sous la pluie, devant la falaise de molasse. Cri déroulé comme corde, jusqu’à ce que la bobine soit vide – jusqu’à plus d’airs. Cri aussitôt éteint par le paysage.« Un mélange de douceur douloureuse et de violence crue qui rend la lecture troublante, dérangeante, mais profondément marquante.

ÉRIC BULLIARD,
La Gruyère

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Bernard Campiche vient d’éditer deux livres en un, signés Julien Burri. Il suffit de faire tourner ce bel objet de cent quatre-vingt degrés dans le sens longitudinal pour passer de l’un à l’autre; de La Maison et Muscles, dont les couvertures sont illustrées par Yann Amstutz, et vice-versa.
Dans les années 1960, Berger-Levrault avait édité une collection «Pour ou contre», qui utilisait le même dispositif pour servir à de vifs débats, solidement argumentés, qui permettaient de voir les choses sous au moins deux angles différents, donnaient matière à réflexion et ouvraient l’esprit à des possibles inenvisagés...
En l’occurrence Muscles ne répond pas à La Maison. Ils n’ont qu’une opposition spatiale. Ils ont même un point commun, singulier. Le narrateur, dans l’un et l’autre livre, parle à la deuxième personne du... singulier. Ce qui rappelle ces femmes qui commençaient naguère par dire, en se parlant à elles-mêmes: «Ma fille, tu devrais...»
Quoi qu’il en soit, ce procédé narratif présente l’avantage, mieux qu’à la première personne, de mettre le lecteur dans la confidence et, même, de lui permettre de s’identifier au protagoniste, celui du roman Muscles ou celui des morceaux de La Maison.
Le narrateur de Muscles est un bodybuilder, dont le corps rend incrédule et donne envie de toucher. Il est marié à Amélie, qui a de belles fesses, rondes, imparfaites, certes, ce qui n’empêche pas qu’elle soit très excitante... C’est lui qui décide cependant quand cela doit avoir lieu, en général le dimanche après-midi...
Il a été élevé par ses grands-parents parce qu’un jour sa mère a tiré sa révérence en restant dans le garage, porte fermée, laissant tourner le moteur... Il se souvient d’elle venant le croquer dans son lit le soir, lui préparant une tresse russe les mercredis ou entrant dans sa chambre pour l’écouter respirer, tandis qu’il faisait semblant de dormir.
C’est en rentrant d’un camp de ski où il avait peur d’aller, surtout parce que c’était la première fois qu’il quittait sa mère, qu’il a appris qu’il ne la reverrait plus. Il y avait des signes avant-coureurs. Elle ne lui rendait plus visite la nuit; elle n’écrivait plus dans son cahier de poèmes; une nuit, elle s’était sentie étouffer, s’était levée et avait déclenché l’alarme en traversant le salon...
Il a le corps trop léger – son père le trouve maigre à faire peur –, ce qui commence à devenir pesant. Alors, après s’être acheté des haltères, il commence, dans sa chambre, comme jadis son père, à faire des exercices qu’il a vus dans des magazines ou sur Internet. À seize ans, avec son ami Cody, il se rend dans un fitness, où il craint les moqueries, mais où son corps se transforme petit à petit, à la faveur d’un régime alimentaire rigoureux:
«Tu étais en deux dimensions, tu entres dans la troisième. Ton corps saint, purifié par l’exercice - quelque chose se joue en toi – un destin.»
Trois ans plus tard, cette transformation de son corps marque le pas. Pour augmenter sa masse musculaire, il se laisse tenter et prend du Dianabol...
Quand il fait la connaissance d’Amélie, une des premières choses qu’il lui demande est ce qu’elle pense de son physique. Plus tard, elle comprend pourquoi il l’a choisie:
«Pour paraître encore plus volumineux à côté d’elle, par contraste.»
Même si l’histoire ne se répète pas, elle bégaille souvent. Fût-elle personnelle... L’épilogue demeurant toutefois imprévisible...
Le narrateur de La maison s’y rend avec son compagnon, Jaël. La maison est entourée de volières. Jaël passe son temps libre à en construire «un peu partout dans le pays, et à l’étranger». Sinon, «il travaille à l’hôpital».
Lui, il reste à la maison, à attendre Jaël, avec le grand chien. En l’attendant, il lit et écrit, si possible dehors, c’est-à-dire si le temps le permet, devant la grange; il entend des voix dans la forêt; il aime repasser les vêtements de Jaël.
Il s’est fait tatouer son prénom sur l’annulaire gauche:
«Son écriture manuscrite, prolongement de sa main, du flux de son sang. Le trait du "l" final monte et s’efface progressivement – nuage de poussière sur une route de terre battue.»
Avant lui, il y a eu Vincent dans la vie de Jaël. Ce dernier l’attend toujours, bien qu’il soit mort et que son corps ait été rendu par le glacier quatre ans après sa disparition...
Tout a une fin, y compris les amours particulières. Mais, ont-elles seulement existé? Qu’est-ce qui est vrai dans leur histoire, à lui et à Jaël?
Même si l’histoire ne se répète pas, elle bégaille souvent. Fût-elle personnelle... L’épilogue demeurant toutefois imprévisible...

Blog de FRANCIS RICHARD

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Chacun cherche son corps

Le journaliste Julien Burri publie deux livres en un. Il fait fort, comme son personnage bodybuilder, qui croit contrôler sa vie en contrôlant son corps. Cru et poétique

Le bodybuilder de Julien Burri n’a pas peur de suer, ni d’engouffrer des plats protéinés, encore moins de s’injecter des dopants. Pour lire Muscles, il ne faut pas craindre les sécrétions corporelles, ni le corps en général, qui prend toute la place, s’exhibe devant Amélie et ses copines, passe par la paternité, le deuil, une maison close et un dénouement elliptique. Pour trouver une réalité aux proportions plus justes, plus douces, il faut se tourner vers «La maison», ses perroquets, ses métaphores et son histoire d’amour.
Y a-t-il un lien entre Muscles et La Maison?
Des échos souterrains, oui. Le premier texte est l’écho du second. Le même thème les sous-tend: comment habiter le monde? Comment faire coïncider son corps, ses émotions, avec la place qu’on occupe dans le monde? Le héros de «Muscles» essaie d’habiter son corps, mais il n’arrive pas à se sentir en adéquation avec lui-même et les autres. Il travaille ses muscles jusqu’à la folie, jusqu’à la monstruosité, pour tenter d’habiter une réalité liquide dans laquelle il n’a pas de prise. Le couple de «La maison» essaie, lui, d’habiter une relation, une histoire à deux. Sans succès.
Les deux textes sont écrits à la deuxième personne. Pourquoi?
Pour rapprocher le lecteur des héros. Pour lui faire comprendre que ce bodybuilder, par exemple, n’est pas un monstre: il est comme lui. Pour impliquer, rapprocher, toucher...
La maison du texte qui porte son nom est une métaphore de la relation amoureuse. Comment une maison peut-elle prendre autant d’importance?
J’ai le sentiment que les lieux que nous occupons ou traversons, nos lieux de vie, ont une importance capitale sur nos pensées et nos échanges avec les autres. La forme du bâti formate nos pensées. Ensuite, c’est une question de point de vue: j’ai voulu décrire l’essentiel (la fin d’une histoire d’amour) par les détails, par le décor. Cela m’a permis de ne pas faire de psychologie. Je préfère les silences aux dialogues, la trace que les choses laissent en nous, plutôt que les explications.
J’aime beaucoup l’image de la fin. Jaël devient un oiseau qui se cogne aux murs. Ceux de la relation, ceux de la mémoire ou ceux du livre?
Les trois à la fois. Les lieux ont imprégné le personnage, il portera à jamais cette maison en lui. J’aime «ouvrir», «déplier» le sens, plutôt que de le réduire par des explications terre à terre. C’est pour cela que cette écriture se rapproche de la poésie. Il y a des phrases «carrefours» qui permettent au lecteur de choisir son interprétation précise. Ou plusieurs, simultanément. En tout cas, de se poser des questions par rapport à sa propre histoire, à ses émotions, ses sensations... C’est pourquoi je pense que chaque lecteur réécrit le livre.

Muscles est plus baroque que réaliste. Le narrateur travaille ses muscles de façon excessive. Est-ce une esthétique qui vous plaît?
Tous les détails (produits dopants, exercices effectués) sont documentés par une enquête que j’ai menée. Les bodybuilders sont, pour moi, dans l’excès, dans l’hyperbole. La quête d’une hypervirilité caricaturale, fantastique et baroque. Je ne fais que la mettre en scène. Cela dit, si j’aime l’excès, j’aime aussi, en même temps, l’économie: ne pas tout dire, être sec, lapidaire, elliptique, suggérer... Mon style réside dans cette tension entre économie et excès.
Il me semble que la psychologie des personnages est plus explorée à travers des rêves qu’à travers des commentaires ou un discours intérieur.
En effet, je n’aime pas la psychologie dans les fictions. Si je me livre à des analyses psychologiques de mes personnages, pour m’aider à les construire, je me garde de les donner aux lecteurs. Cela «écraserait» le texte. Le rendrait explicatif et banal.

Le narrateur a perdu sa mère, et cette perte le conditionne. Est-ce un thème qui vous tient à cœur?
J’avais envie de donner de l’épaisseur à mon héros, on montrant ce qui l’avait construit. Son passé, ses blessures, ses fissures. Sinon, il serait resté dans la caricature. Ou alors il n’aurait été qu’une image froide, lointaine, antipathique pour le lecteur. Je reviens sans cesse à l’enfance dans mes textes. L’enfance est toujours là, dans le millefeuille identitaire qui nous constitue adulte.

LAURENCE DE COULON,
Le Nouvelliste; L’Impartial; L’Express

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Le coup de cœur Payot

Muscles suivi de La Maison

Avant de parler de l’œuvre, il est nécessaire de présenter l’ouvrage. Si Muscles est un roman, La Maison se veut une compilation de morceaux; les deux textes se présentent tête-bêche pour créer une distinction, rendant à chacun l’indépendance qu’il mérite. Passé ce constat, nous pouvons donc aborder les textes. Julien Burri prend le parti de travailler par fragments et courts chapitres lui permettant de créer des atmosphères fortes, que cela soit la solitude d’un homme lors d’un «après-midi cupcakes» organisé par son amie ou le bonheur d’une soirée d’été. À travers Muscles, Julien Burri explore la métamorphose physique d’un homme et les conséquences que cette dernière va avoir sur sa vie. Il s’agit également d’un exercice stylistique dans lequel les muscles sont aussi importants que les personnages. La Maison explore davantage l’ambiance au travers de morceaux relevant de la prose. Même si les démarches littéraires semblent opposées, il n’empêche que des thèmes similaires (l’exploitation du corps ou de l’attraction sur l’autre) créent un pont entre les deux textes. Fascinant et troublant.

STEVEN LÜTHI, Payot.ch, Payot-L'Hebdo; Sélection. Les meilleurs romans de l'été

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Julien Burri, écrivain

Il cultive sa sensibilité dans la force des mots

Sur les hauts de Cully, le vignoble verdoyant de Lavaux contraste avec les nuages, presque inquiétants, qui surplombent le Léman. Silencieux, Julien Burri – ébloui par le soleil qui se reflète sur l’eau – regarde droit devant lui. Ses yeux, d’un bleu acier, paraissent soudainement translucides.
«Tout ce qui m’entoure finit dans un livre, précise-t-il alors qu’il observe le manteau neigeux sur le sommet des Alpes. J’ai l’impression d’être vivant et riche de tout ce que je ressens.» Puis, tout en prenant un ton plus grave, d’ajouter: «Cela peut paraître banal et faire poète romantique, mais la nature est une autre source d’inspiration.»
Ce paysage de carte postale, située à quelques pas de son petit deux-pièces de Grandvaux, n’est pas l’unique abreuvoir de l’écrivain vêtent d’un simple jean et d’une chemise bleue. À trente-quatre ans, Julien Burri puise directement dans son vécu.  Son troisième ouvrage, qui présente deux histoires – Muscles et La Maison, éditées tête-bêche chez Bernard Campiche –, en est l’exemple le plus significatif et sans doute le plus poignant.
«Petit, j’étais précieux, gringalet, et les autres enfants me trouvaient efféminé, ne jouaient jamais avec moi, poursuit le jeune homme, qui a grandi au Mont-sur-Lausanne. J’ai commencé la musculation  à vint et un an pour montre une autre facette de ma personnalité. Je voulais faire ressortir le côté viril qui sommeillait en moi, devenir plus imposant tout en épaississant mon corps. Aujourd’hui, lorsque je ne vais pas au fitness, j’ai l’impression de perdre les contours de ma silhouette, de devenir flou, inexistant.»
Une quête perpétuelle que l’on retrouve dans Muscles, où le personnage principal – qui fréquente allègrement les salles de fitness et les bassins de piscine – se sent exister uniquement au travers du bodybuilding.
«De l’autre côté, l’écriture de La Maison a été une thérapie, qui m’a permis de faire le deuil d’une relation amoureuse. J’ai pu déposer tout ce que je ressentais sur le papier en m’inspirant directement de cette histoire, qui s’est déroulée dans une maison à la campagne. Une demeure où je n’ai jamais vraiment su trouver ma place et où il y avait toujours une forme d’attente. Aujourd’hui, avec ce livre, il ne reste qu’une belle preuve d’amour.»
C’est d’ailleurs pour un garçon de sa classe – dont il tombe amoureux à seize ans – qu’il débute dans l’écriture. Le recueil de poèmes La Punition sort une année plus tard. «C’était douloureux, car cet amour n’était pas réciproque. Fils unique, j’étais solitaire, mélancolique. Je trouvais du réconfort auprès de mes figurines «Musclor» et «Skeletor», les maîtres de l’Univers. J’ai trouvé les méchants plus intéressants que les gentils. Ils ont beaucoup plus de relief et passent leur temps à créer, à imaginer comment devenir plus forts. À mes yeux, les Stroumpfs sont insignifiants à côté de Gargamel.»
Cette dualité permanente entre force et sensibilité exacerbée, Julien Burri a décidé de l’exploiter directement sur son corps, au travers de tatouages japonais, devenus une autre passion de l’écrivain en dehors des salles d’entraînement. À tel point que Wido de Marval, son tatoueur morgien, complète petit à petit le dessin qui part de son épaule droites et aboutira, à terme, à sa cheville. «Des dragons,  un griffon, des carpes et des animaux ailés côtoient des fleurs de cerisier. J’aime particulièrement cette ambivalence. Elle fait partie de moi. Je voulais garder les deux pans de ma personnalité directement sur ma peau.»
Dans son appartement, des livres sont empilés dans chaque pièce. D’autres sont soigneusement rangés dans ses deux bibliothèques, pleines à craquer. Des stylos, quelques notes griffonnées et un ordinateur trônent sur son bureau, à l’entrée du salon. «J’écris tous les matins, à six heures trente, avant de partir travailler, poursuit Julien Burri, également journaliste à la rubrique culturelle de L’Hebdo. Grâce à ce métier, je suis continuellement dans la pratique du texte. De plus, il me permet de rencontrer des gens. C’est comme une clé qui me donne accès à leur intimité.»
De manière générale, l’écriture lui permet de construire. Pour lui, les livres restent, traversent le temps. «Ils sont à la fois physiques et très abstraits, car les personnages – imaginés par chacun – vivent dans la tête des lecteurs.»


Carte d’identité

Né le 21 janvier 1980, à Lausanne

Cinq dates importantes
1987: Se fascine pour l’épave du Titanic, qui lui inspirera une pièce de théâtre.
1997: Publie son premier recueil de poèmes, La Punition (Éditions Caractères).
2009: Parution de son premier roman, Poupée, aux Éditions Bernard Campiche.
Début de son grand tatouage japonais.
2011: Publie le roman Beau à vomir et reçoit le Prix culturel vaudois de littérature. Entre à la rédaction de L’Hebdo.
2014: Parution de Muscles et La Maison.

LAURIANE BARRAUD,
24 Heures

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Des plumes au corps

Deux textes accolés, dos à dos, qui semblent s’observer par-dessus la tranche d’un même ouvrage. Au lecteur, tutoyé et comme glissé dans ces pages, de choisir son entrée dans cet univers où les mots du Vaudois Julien Burri disent le corps, ses pleins, ses déliés, ses vides. En entrant par Muscles, plus intense, il découvrira le parcours d’un gamin dont la mère choisit de «passer son tour».
Contre la peur de l’indifférence du monde, l’enfant bâtit son corps frêle en rempart, assemblant comme les parties d’une carapace de superhéros ses masses musculaires. Folie du bodybuilding qui gonfle alors un corps devenu encombrant, monstrueux, turgide à force d’injections, de «shakes» protéinés, de Tupperwares numérotés et de fonte soulevée. Face à cette montagne de chair protubérante, les présences croisées ne sont que miroirs vides où pâlit un reflet toujours trop frêle, trop chétif («Ne me regarde pas, pas encore, je ne suis pas fini»). Et le corps inutile de se rêver toujours plus prégnant, dense, alors que de l’intérieur se creuse, saturé de vide, jusqu’à l’implosion finale.
Les cinquante-neuf courts chapitres de La Maison y répondent comme en écho lointain, où la rupture, aux accents autobiographiques, du corps passe au cœur. Dans une mystérieuse demeure de campagne, le narrateur guette sans cesse la présence évanescente de Jaël, mystérieux oiseleur dont l’amour s’épanche puis s’étiole peu à peu, laissant le narrateur errer dans les ruines du sentiment. Un texte en «morceaux», touchant pour dire autrement la sempiternelle rupture amoureuse.
Journaliste et écrivain, Julien Burri est entré en littérature par la poésie. Cela se ressent comme une évidence lorsque ses brefs chapitres dissèquent le corps, en détachent les muscles faisceau par faisceau. Lorsque sa prose se séquence, se fait poème, suspendant des mots dans un vide éloquent, usant et abusant des tirets d’incise qui forment autant de fines ramifications dans le tissu du discours – précisant, colorant, rythmant la pensée. Deux textes reliés à lire en un seul souffle, rassemblés qu’ils sont par une même plume pointilliste, ici brandie comme un fin scalpel, la volée aux ailes éjointées.

THIERRY RABOUD,
La Liberté

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Interview de Julien Burri: des mots pour retenir la vie

De son écriture de poète, il interroge le monde. Celui des apparences et celui des sensations. D’ailleurs le journaliste lausannois (ex-Femina, aujourd’hui à L’Hebdo) publie deux livres en un, tête-bêche, aux Editions Campiche: Muscles et La Maison. Le premier est un roman, le second des «Morceaux». Les deux disent «Tu» (ni «Je», ni «Il» ou «Elle»). Les deux parlent d’un homme noué dans sa solitude

Vous avez 34 ans, et cela fait la moitié de votre vie – 17 ans – que vous écrivez. Comment ça a commencé?
Mes premiers poèmes, je les ai écrits par amour. Une vraie quête de l’autre. J’étais amoureux d’un garçon, ce qui n’était pas évident. J’ai eu l’intuition qu’il me fallait inventer quelque chose autour de l’amour homosexuel. Cela dit, plus petit, je dictais aussi des histoires à ma mère.

Vous aviez des modèles?
J’aimais Cocteau, La Belle et la Bête, et puis je regardais sur France 3 l’émission «Un siècle d’écrivains». Je suis tombé sur Jean Genêt. J’ai vu qu’on pouvait écrire, créer et trouver son identité.

Comment vous vous y prenez?
Je suis d’abord un poète. Je n’ai pas de plan au départ. Les choses s’agencent de manière spontanée, en liaison avec des images et des sensations.

Vous écrivez tous les jours?
Presque tous les matins avant le travail. Si je n’écris pas, je suis malheureux. C’est une nécessité pour moi, j’ai l’impression que la vie, ma vie, ne veut rien dire sinon.

C’est l’écriture qui donne le sens?
Je répondrais par une image. Voilà, je suis enfant, tout seul sur une plage, et je regarde la mer qui efface tout ce qui ressemble à un château de sable. Eh bien, j’écris pour éviter que tout se défasse. Pour dresser un barrage.

Pas de message pour les lecteurs?
Plutôt que leur dire ce qu’ils doivent penser, je préfère leur offrir un véhicule qu’ils puissent habiter. J’aimerais que ça résonne en eux.

Parlons de Muscles et de son personnage, le bodybuilder… Un peu vous?
Pas tant que ça. Mon personnage est un «Musclor», il a quelque chose d’enfantin. Un peu l’équivalent d’une Barbie au masculin. Moi je vais au fitness plusieurs fois par semaine mais je ne me suis jamais fait des injections pour me gonfler. Ce monde m’intéresse toutefois et je l’observe. Je vois des êtres obsédés par la masse, au sens littéral, qui doivent incarner dans leur corps, la place qu’ils cherchent dans leur vie.

Vous êtes moderne? Pratiquez Facebook, selfies, Instagram et Cie?
Je ne suis que sur Facebook et j’ai mon site internet (www.julienburri.ch). Le monde virtuel m’intéresse bien sûr. D’ailleurs, je pense que les Selfies risquent de devenir rapidement ringards. Mais je n’ai jamais eu envie de faire comme tout le monde, ce que j’aime, ce sont les livres en papier, la poésie.

Et vous produire aussi! Vous faites de multiples lectures, créez des événements avec le chanteur et poète Lausannois Stéphane Blok…
C’est vrai, j’ai cette envie de me confronter à un public. De donner mes textes avec mon corps. Cela crée une tension en moi, une impatience.

Des musiciens que vous écoutez beaucoup?
Stéphane Blok, Bashung, le rappeur français Booba, le groupe de hard rock Metallica, Madonna, Monteverdi… J’adore la musique baroque.

Des livres importants?
Madame Bovary de Flaubert, je pourrai le relire chaque année, mais pour le moment je l’ai lu trois fois. Belle du Seigneur d’Albert Cohen. La trilogie d’Agota Kristof qui me fascine par sa construction.

Un lieu capital?
Je voyage surtout dans ma tête ou dans des lieux imaginaires comme la ville de Playtime de Tati. Je me rends régulièrement en Hollande où j’ai de la famille. Et ce pays est présent dans chacun de mes livres. Sinon, l’Italie, particulièrement Venise en hiver, me manque, il y a longtemps que je n’y suis pas allé. En fait, ce sont les personnes que j’ai aimées qui m’ont ouvert à des paysages.

On va clore par votre geste beauté, vous qui arborez un magnifique tatouage…
Un parfum, Terre d’Hermès. J’adore cette association de notes de cèdre et de silex, entre autres. C’est un poème!

LOYSE PAHUD,
site de Femina

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Bonjour, Julien Burri, deux romans, Muscles, La Maison, publiés chez Bernard Campiche. Une face A, une face B, c’est quoi la face A?
Au lecteur de choisir… Je pense que La Maison est un texte plus fort… Ce sont des morceaux, pas vraiment un roman… Plus court, plus intime… Et l’autre, peut-être qu’il faut  commencer par Muscles

Alors on va commencer par en parler. Muscles… Vous avez toujours raconté les corps, Julien Burri, les peaux, les sensations… Là, les muscles… Comment ce personnage, ce musclé… s’est-il imposé à vous?
Parce que je fréquente les salles de fitness… Parce que j’observe ce que racontent les corps, leurs formes… Je vois aussi également dans le cinéma, dans la publicité, depuis quelques années, s’imposer un modèle de corps masculin, avec beaucoup de rondeurs, qui est l’image de la force, mais qui n’est pas la force, puisque souvent ces corps bodybuildés sont fragiles, avec, surtout, des pectoraux très ronds… Enfin, tout ça m’a intéressé, j’ai observé, comment en arriver là? Pourquoi? Pourquoi vouloir inscrire dans son corps, dans sa chair, cette forme-là, à quoi est-ce qu’elle correspond… Pour moi, elle me rappelait les personnages de «Musclor» quand j’étais petit, un dessin animé et des personnages en plastique, qui étaient très rigides, d’ailleurs, qui pouvaient pivoter le bassin, lever ou baisser les jambes, mais c’est tout… Et au fond, c’est ça que j’ai retrouvé aussi chez ce personnage et ces hommes… Parce que j’ai enquêté un peu… J’aurais pu rencontrer des bodybuildeurs… C’est un corps-corset, qui les emprisonne tout en leur donnant une sorte de structure, de rigidité, qu’ils recherchent…

Est-ce qu’ils ont une histoire en commun? Ces bodybuildeurs que vous avez rencontrés…
Je pense qu’au fond c’est le ressenti d’une faiblesse, d’une peur, face à un monde qui est trop liquide, qui s’échappe, un manque de place dans le monde et la volonté d’avoir une masse, c’est ça, au fond, exister et prendre du volume pour ne pas être quelque chose d'éphémère, de «payer» au premier vent venu…

Vous dites «exister»… C’est un mot que vous ne lâchez pas par hasard… C’est «Je maîtrise mon corps donc je suis»…
C’est une illusion… Parce qu’à tout vouloir mettre là-dessus, ce personnage finit assez mal… Donc je pense qu’il faut accepter de ne pas maîtriser tout… Justement, au contraire…

Parce que, finalement, c’est le corps qui devient le maître?… C’est le cas de ce personnage…
Et c’est un maître très cruel, qui n’est jamais satisfait… C’est jamais assez… C’est ce que j’ai voulu raconter… Mais ce personnage me touche beaucoup… Je n’ai pas envie de le regarder, peut-être que ça arrive vers la fin… Je le regarde un peu de hauts, mais j’ai essayé d’être avec lui, plutôt… Je comprends tout-à-fait son mode de fonctionnement, moi-même je le ressens… Même si, dans ma vie, j’ai d’autres moyens de me réaliser, notamment l’écriture; peut-être que mon corps, au fond, enfin moi ce serait plutôt ce livre…

Parce que c’est facile, quand on fréquente chaque jour, comme vous, les salles de fitness, de basculer dans l’obsession du corps?
Ce serait possible… Mais, heureusement pour moi, je n’ai pas, si vous voulez, un patrimoine génétique, ou je ne sais pas, un corps qui peut se transformer si vite, aller si loin, et puis j’ai besoin de souplesse, d’agilité, de rapidité… Ces corps, à la fois je les admire, à la fois ils me font peur, ils m’interrogent, mais je sais qu’ils sont très rigides et moi, je préfère me déplacer, j’aime le mouvement…

Lorsque votre personnage musclé montre son corps, il devient un enfant de sept ans… Comme un super-héros…
Exactement… «Musclor»… Il devient un monstre, aussi… Quelque chose d’effrayant qui n’est plus vraiment humain, et très fragile… Et je parle de ce pouls, les battements de son cœur, qu’on voit sous cette peau… Cette peau qui est séchée, il n’y a pas de miracle, pour montrer les muscles, quel réseau des veines, et tout ce corps paraît trop lourd, trop grand pour un cœur…

«Tu devais devenir un super-héros, voilà que tu transformes en monstre». Anabolisants, protéinés, piqûres… Plusieurs repas par jour… Dans une salle de fitness… Et voilà une créature qui prend du volume, qui ne peut plus bouger, qui ne peut plus respirer… Et ce que votre personnage désire plus que tout, c’est ressentir quelque chose…
Oui, c’est ressentir, et il ressent de moins en moins, plus il se gonfle, plus il se creuse à l’intérieur, plus il est coupé du monde… Il y a des passages poétiques dans le livre, pour montrer peut-être une voie, pour ressentir, vers l’émotion… Ces passages poétiques, il les lit, mais il n’est pas vraiment touché par eux, malheureusement… Moi, je suis davantage touché par eux… C’est un moyen que j’ai de me relier au monde, au corps, à mes émotions… C’est plus du côté de la poésie, d’ailleurs j’ai voulu aborder cette histoire, c’est un roman certes, mais plutôt avec une écriture poétique…

Et il y a la puissance, aussi… Dans l’écriture, comme le muscle…
Parce que c’est une histoire violente, parce que ce qu’il impose à son corps est très violent… Mais c’est propre à notre société… L’idée qu’on a un capital de base qu’on peut, qu’on doit développer… Pour faire toujours mieux, toujours plus… Il ne faut pas se laisser un moment de répit… L’inactivité, alors que c’est une chose très importante d’être inactif, pour ressentir, justement… C’est interdit… En fait, il n’a pas envie de ressentir, il a peur de ce qu’il pourrait ressentir…

Et l’amour ne résiste pas à ces peurs et à ces transformations?
A-t-il pris le temps de ressentir qu’il aimait ou non cette femme? Il est dans les stéréotypes , il ne sait pas vraiment qui il est… C’est ça, je trouve, le pire, sa tragédie, au fond…

Et comment se retrouver, alors? Vous l’avez fait sombrer, votre personnage…
Il ne se retrouve pas… Je pense que la poésie, il y a le lien, donc, avec le monde, avec les autres, avec son corps, avec ses sensations, ses sentiments, et c’est un moyen d’être là…  L’écriture, pour moi, voilà… C’est le moyen que j’ai trouvé pour me construire une peau ou un corps… Quelque chose qui soit dans la communication, aussi…

Oui, mais, lui, il se muscle beaucoup, et ça le perd… Est-ce que les mots, le verbe, pourraient vous perdre, Julien Burri?
Tant mieux si je me perds… D’ailleurs, je me perds toujours… Je ne sais pas où je vais… Je trouve à la fin quelque chose… Je fonctionne comme ça, plutôt en poète, c’est-à-dire je n’ai pas de plan de base, je veux me perdre, c’est beaucoup plus intéressant pour moi…

Et ça se muscle, alors? Le verbe?
Oui, ça se travaille…

Absolument… Des exercices?
Mais il faut que ça soit souple, il ne s’agit pas de gonfler, tel le crapaud de La Fontaine, jusqu’à éclater… Donc, j’aime plutôt entrer doucement dans un personnage, donner à ressentir des choses petit à petit, qui gonflent à la longue, disons qui font travailler aussi le lecteur… Pour qu’il se muscle lui-même…

Il faut qu’il bosse aussi, hein?
Oui… Je trouve ça beaucoup plus intéressant, en tant que lecteur, quand j’ai un travail, entre guillemets, c’est-à-dire de découverte, d’imagination, de construction moi-même, quand j’ai la place pour lire un texte, vraiment, alors que quand on est sur des rails et que tout est prévu, et on doit suivre, forcément, quelque chose qui est déjà prémâché… Ça m’ennuie…

Ils ressemblent à quoi, vos stéroïdes? Dans l’écriture…
De la musique… Du café, du thé, du chocolat noir…

On referme Muscles… On retourne votre livre, et on lit La Maison, une autre histoire, celle d’une séparation… Dans cette histoire, le corps est là… Encore… Mais ce n’est pas lui qui souffre le plus…
Je dirais que le personnage principal, c’est une maison, qui peut être vue comme un corps, une maison qui ne retient pas la chaleur, on peut imaginer une ferme dans la campagne, en Suisse romande… C’est un lieu où l’amour ne peut pas durer longtemps, puisque rien n’est fait pour préserver cet amour… Cette maison est très étrange… Il y a des fantômes… Il y a un lourd passé… Il y a une possibilité de l’habiter… Elle dévore, cette maison dévore ses habitants…

Vous pensez qu’un lieu peut rendre toxique un lien?
Oui… Tout à fait… Je suis très sensible aux corps et aux lieux… Mais c’est une maison qui peut avoir son charme, aussi… Peut-être que ce sont les personnages qui n’ont pas la capacité de l’habiter…

Donc, il faut bien choisir…
Oui, il faut bien choisir…

Il n’y a pas que l’amoureux ou l’amoureuse, mais il y a aussi le lieu… Il est difficile à commenter, je trouve, votre livre, Julien Burri… C’est un livre qu’on éprouve… Cela ne passe pas par la cas «intellect»…
De nouveau, c’est plus une démarche poétique… C’est une histoire banale, comme le fitness, hein… Être piloté… Ne plus être aimé… Vivre la fin d’une histoire d’amour… Je voulais le raconter à travers un lieu… Par des petites touches… Comme des vignettes… La nature… Les animaux, c’est une ferme où il y a beaucoup d’oiseaux… Des détails… La nuit qui tombe… Le quotidien… À travers ces détails, je voulais que s’inscrive la fin de cette histoire… Le désamour…

Comment écrire le désamour? Comment écrire la douleur? Sans en faire trop… Comment doser, comment raconter?
J’ai choisi de ne pas «psychologiser», de ne rien dire mais de faire comprendre au lecteur… C’est le travail dont on parlait tout-à-l’heure… Ne pas expliquer les choses… Mais les faire ressentir par les détails, par leurs traces… Je trouve que c’est plus riche, plus intéressant… D’aller par les détails…

Et ne pas accuser, aussi…
Surtout pas… D’ailleurs, une histoire, c’est une histoire à deux, en l’occurrence, chacun y a sa responsabilité… Donc, il n’y a pas un mauvais ou un bon rôle… Mes personnages me touchent, tous… Sinon ce n’est plus de la littérature, pour moi hein, ça c’est un point de vue éthique… Si c’était un texte de vengeance ou de colère, je pense que je l’aurais gardé dans mes tiroirs…

Vous avez besoin d’aimer vos personnages?
Oui, ou de les aimer ou de les détester… Mais, ils doivent de toute façon me titiller, m’attirer… De toute façon, c’est très banal, mais je suis tous mes personnages…

Muscles plus La Maison, cet objet que vous nous proposez, Julien Burri, de siamois, collé, tête-bêche, deux histoires… Que l’on pourrait finalement publier séparément, mais vous ne l’avez pas fait…
Non… J’ai préféré faire un grand livre… Avec deux livres plus courts… Ces deux entrées, cela me plaît… C’est une maison avec deux portes d’entrée… Il faut choisir… Et il y a des objets qui se retrouvent, il y a des échos, cela communique en souterrain…

Et pourquoi tête-bêche? Pourquoi ne pas les faire suivre?
Mais les faire suivre, ce serait prendre le risque que l’un des deux textes passe inaperçu…  Parce qu’il y aurait une couverture, donc un texte plus important que l’autre… La Maison, je pensais, il est venu en second… Il a été écrit beaucoup plus rapidement, je pensais qu’il était trop court pour faire l’objet d’une publication à part entière, ils se soutiennent, ces deux textes…

Merci Julien Burri…

CHRISTINE GONZALEZ,
Vertigo, RTS «La Première»

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Cœurs en fil de fer

Tête-bêche dans le même volume, paraissent Muscles et La Maison, deux récits de Julien Burri marqués par une langue sobre et traversés par un même «tu» – autre manière de dire «je» et adresse au lecteur. Poète et journaliste à L’Hebdo, le Lausannois publie avec cet opus à deux entrées son troisième roman après Beau à vomir et Poupée. Muscles est une exploration en courts chapitres de ce qui pousse un homme à sculpter son corps à l’extrême, tandis que l’autobiographique La Maison, sous-titré «morceaux», juxtapose les fragments d’une vie amoureuse jusqu’à la rupture. Deux «cœurs en fil de fer», fragiles et blessés, hantent deux univers bien distincts – à découvrir dans n’importe quel ordre –, reliés pourtant par une même écriture blanche.
La Maison, celle de Jaël, est une grande bâtisse entourée de volières qui accueille le «tu» du récit. Le protagoniste arrive de nuit dans la voiture de Jaël qui lui dit, comme un présage: «L’homme est compliqué mais l’animal ne nous trahit jamais.» Des oiseaux, un grand chien, des arbres fruitiers… les jours s’étirent entre écriture et promenades dans cette solitude paisible, rythmée par les retours de l’amoureux qui travaille en ville, teintés d’inconfort quand vient l’hiver. Attentive aux sensations, aux corps, à la nature, la prose poétique de Julien Burri cisèle des fragments entrecoupés de silence et exprime la douleur par des phrases brèves, minimales. «Jaël te réveille pour te dire qu’il ne t’aime plus. Cette nuit, il dort dans son bureau. Seul dans la chambre à coucher, bouche ouverte, on dirait que tu as reçu un coup dans le ventre. a phrase est un bras métallique aiguisé.»
Le protagoniste de Muscles voudrait être un super-héros, Hulk gonflé aux protéines qui soulève des kilos de fonte. Sa mère, qui écrivait des poèmes, s’est suicidée quand il était enfant, son père est parti; adulte, il compense son sentiment de vide intérieur par l’image caricaturale d’une virilité bodybuildée. Il s’agit de se donner une forme, et une place au monde, de cultiver l’illusion du corps parfait grâce auquel «tu sais que tu existes». Mais «plus tu prends du volume, plus cela se creuse, s’évide du dedans». Il en perdra son identité, ne saura rendre sa femme heureuse, et son cœur, petit muscle enfermé dans une cage thoracique disproportionnée, finira par lâcher («toi, étendu sur le sol – les cordons des fibres contractiles soudains dénoués – ton corps soudain dénoué –». Distance et froideur s’allient ici avec la précision des idées et des images, dans une écriture griffée d’incises, sèche et sans pathos. Julien Burri trace au scalpel les contours de ce Narcisse écorché vif, décrivant ses gestes, ses actions, s’en tenant à la surface du miroir comme pour mieux signifier le vide existentiel. Glaçant.

ANNE PITTELOUP,
Le Courrier

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Le Vaudois, auteur de Muscles, lit des extraits de son dernier ouvrage au Salon du livre dimanche

Quand nous rencontrons Julien Burri, vendredi au Salon du livre, le photographe l’attend déjà: «Est-ce que j’enlève la veste pour la photo? Ça fait peut-être un peu trop formel si je la laisse, non?» nous demande l’auteur de 34 ans de sa voix douce, les yeux clairs grands ouverts. Le Vaudois, également journaliste culturel à L’Hebdo, a quelque chose des personnages principaux de ses deux récents romans: comme eux, il accorde de l’importance au regard des autres, mais surtout à l’avis, voire à l’univers des autres. À la fin de l’interview, il s’excusera même d’avoir tant parlé de lui, et nous demandera de lui parler de notre parcours lors d’un prochain café. Son ouvrage à double entrée, intitulé Muscles d’un côté, La Maison de l’autre, est constitué de courts chapitres tenant plus du poème que du récit, rédigé avec justesse dans les détails et bienveillance dans le ton

Dans Muscles, vous mettez en scène un bodybuildé accro aux «prot». D’où vous est venue cette idée?
Depuis que je fréquente les fitness. Je m’y rends environ trois fois par semaine. C’est un univers très étrange, où l’on croise toujours les mêmes personnes mais où les contacts humains se réduisent à demander: «Est-ce que la machine est libre?» J’ai également dû faire une enquête dans le cadre de mon travail sur les produits dopants et développant la musculature, pas tous licites. Un bodybuildé de 50 ans m’a avoué qu’il ne faisait plus l’amour à sa femme, que tout le plaisir qu’il ressentait, c’était dans l’effort à la salle de fitness. Les bodybuildés me fascinent. Mon coach au fitness est en train de lire mon livre. Parfois, il y fait allusion sur un ton humoristique…

Colosse aux pieds d’argile, le personnage n’est jamais satisfait de son image: «Ne me regarde pas, pas encore. Je ne suis pas fini.»
Même si je suis loin de ressembler au héros, je comprends cette quête du corps parfait, qui travaille constamment les bodybuildés, mais aussi les anorexiques ou les accros à la chirurgie esthétique, et nous tous, à un certain niveau. Quand je ne peux pas aller au fitness pendant une semaine, je me sens mou, mes contours me semblent mal définis. Il y a quelque chose de très rassurant à modeler son corps: quand on prend de la masse, on s’inscrit dans le monde, on a une prestance, on existe. Il est intéressant de constater que les modèles de beauté masculins dans le cinéma, comme Thor ou Superman, présentent des formes très rondes, quasi féminines. Les pectoraux ressemblent presque à une poitrine maternelle et nourricière.

Les deux personnages centraux du double roman ne sont pas nommés, le narrateur les appelle «tu». Pourquoi?
Je voulais inclure le plus possible le lecteur. En donnant un nom à ces personnages, cela aurait réduit le champ des possibilités, peut-être tenu le lecteur à l’écart.

«Ils sont nés en captivité, ils sont habitués.» Dans La Maison, cette phrase au sujet des aras résonne sinistrement…
J’aime bien utiliser les dictons populaires ou les phrases que l’on entend tout le temps. Dans ce cas, la maison est une cage pour les personnages; il est difficile de la quitter même si l’on en a été chassé.

MARIANNE GROSJEAN,
Tribune de Genève

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«Je comprends l’envie d’exister par les muscles»

Julien Burri trouve ses mots par le corps. Dans Muscles, il suit, entre deux levées de fonte, la quête de gonflement d’un jeune homme

Une cafétéria un peu à la marge. Le Salon du livre de Genève bat son plein ce jeudi-là. Nous nous sommes posés dans un coin excentré dans l’idée de prendre vite fait un thé du matin. Julien Burri a 34 ans, dont plus de la moitié, déjà, dans l’écriture. Il publie ces jours-ci son troisième roman, Muscles, ainsi qu’un recueil de morceaux, d’instantanés, intitulé La Maison. Entre les deux textes, édités tête-bêche chez Bernard Campiche, des liens discrets, des climats, des objets (un cœur en fil de fer), une attente, la solitude.
Julien Burri parle avec délicatesse. Des contraires et des contradictions. Muscles suit la fuite en avant d’un jeune homme, hanté par le besoin d’être vu ou d’être tout simplement et qui trouve dans le bodybuilding un moyen de souligner qu’il existe. La Maison raconte la fin d’un amour. Dans les deux textes, un même usage de la deuxième personne du singulier, ce «tu» qui raconte en deux lettres le fait d’être seul quoi que l’on fasse.
Et Muscles et La Maison se découpent en séquences, en flashs plus ou moins longs. Une marque de poète. Julien Burri est entré en poésie adolescent («ce qui est banal») et y est resté («ce qui est plus rare», s’amuse-t-il). Ses nouvelles, ses romans puisent à cette source. On y trouve cette attention à l’éclair, au surgissement. Et cette attitude discrète face aux personnages, un soin d’approcher mais de ne pas trop dire, pas démiurgique pour deux sous. «J’aimerais, un jour, savoir écrire à la façon d’un polar. Il faudrait que j’en lise plus, pour commencer», glisse-t-il tandis que la clameur du Salon tourbillonne alentour.
«Les bodybuilders se construisent, séance après séance, un corps qui incarne la force. Mais leur corps n’est qu’une image de la force. Forts, ils ne le sont pas.» Julien Burri se rend trois fois par semaine au fitness. A la longue, il a distingué, autour de lui, les corps, les peaux, les muscles à l’apparence différente, moins naturelle. Pour un reportage de L’Hebdo où il est journaliste, il se plonge alors dans l’univers susurré du dopage chez les bodybuilders amateurs.
Muscles se nourrit de cette pratique et de cette immersion. «Pour écrire, je dois partir du corps et d’une expérience qui m’a traversé. J’ai moi-même connu, adolescent, cette sensation de ne pas être fixé, ni ancré. De ne pas avoir de consistance. Je peux comprendre ce besoin d’affirmation par les muscles, cette lutte contre la peur de la disparition, de l’effacement.» Un écrivain doit-il aimer ses personnages? «Écrire pour moi est un exercice de densification. De ce qui m’appartient ou de ce qui m’est proche et de ce qui ne l’est pas. Je n’ai pas le corps qu’il faut pour faire des muscles. Je brûle trop les graisses… C’est peut-être pour cela que je fais des livres! Mon personnage de bodybuilder m’est proche et lointain tout à la fois.»
Le roman ne se déroule pas, loin de là, qu’en salle de fitness. Les souvenirs d’enfance s’invitent, en flash-back très sensibles, et laissent une marque forte. Tout comme le personnage de la mère, tragique. Disparue, elle laisse des poèmes que le fils lit dans la chambre parentale désertée.
Julien Burri nous glisse encore le nom de Zygmunt Bauman, dont La Vie liquide l’inspire beaucoup. Pour le sociologue polonais, la toute-puissance des marchés porte atteinte aux solidarités humaines, explique l’écrivain. Dans cette perte de repères et d’attaches, la vie glisse et génère la peur. De là, cette compassion qui habite Muscles, roman désespéré du vide existentiel.
La Maison est plus clairement autobiographique. Récit de rupture, récit de survie personnelle, il se déroule du point de vue unique du narrateur-auteur. Une façon pudique de ne pas impliquer l’autre et aussi de sortir du cadre individuel. L’intérêt tient ici à cette écriture en séquences dont Julien Burri sait déployer toute la palette. La description d’un micro-instant résume le plan large que l’on devine. Quelques pages plus loin, la vision panoramique se déploie, d’un coup. Le narrateur ici ne cherche pas à habiter son corps mais une maison, celle de son amour. La rupture impliquera de quitter cette ferme ancienne, pleine de grincements et du silence de la neige tout alentour.
Cette façon de dire la passion sans jamais dire «nous», en laissant l’autre à une simple silhouette, donne un beau relief à l’exercice. Ce choix inscrit la rupture dès le début. Le texte s’enroule, même aux temps heureux, autour de l’attente et de la solitude. Façon délicate de dire le deuil.

LISBETH KOUTCHOUMOFF,
Le Temps

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La férocité en douce

Le journaliste et écrivain Julien Burri publie un livre à double face où il est question de bodybuilding, de traumatismes enfantins et de rupture amoureuse. Autour d’un plat antillais, il rappelle que manger est un bon moyen pour ne pas oublier d’exister

L’idée qu’on puisse t’atteindre n’importe quand pour t’annoncer une mauvaise nouvelle te rassure.» Voilà peut-être le ton Burri. Julien de son prénom, journaliste à L’Hebdo mais surtout, depuis l’âge de dix-sept ans, auteur publié, en prose comme en vers, de recueils, nouvelles, romans et autres «morceaux».
Le tout réputé plutôt féroce. Dépouillé mais féroce. Comme la bombe cachée sous les géraniums, la petite goutte de curare sur la pointe d’une innocente fléchette. Le plat qu’il prépare ce soir-là s’appelle d’ailleurs un «Féroce», et il reconnaît qu’il l’a d’abord choisi pour son intitulé:
«J’aime bien cette notion de férocité à condition qu’elle s’accompagne aussi d’un peu de douceur.»
Dans ce plat c’est l’avocat qui l’apporte, la douceur, en contraste avec le piment.»
Un plat à l’image de son cuisinier
Le Féroce, il le découvre en Guadeloupe dans un petit hôtel familial qui cuisinait les produits du jardin. Ainsi la férocité, comme écrivain, ce serait d’«avoir une personnalité, un style, une sorte d’acuité, un regard qui interroge». Et puis féroce, d’accord, sauvage comme une bête, peut-être, «mais qui ne vous saute pas contre d’entrée, qui touche petit à petit, comme le piment, qui vous atteint comme une deuxième vague. Certains mots aussi peuvent brûler.» La férocité c’est aussi, alors, se prémunir contre «les clichés de joliesse, les choses décoratives sans grande conséquence».
Pour le reste en cuisine, Julien ne se veut pas un spécialiste de l’exotisme, il ferait plutôt dans les pâtes et les gâteaux, l’Italie plus sûrement que la Caraïbe. La nourriture est peu présente dans Muscles et La Maison, le double livre qu’il publie aujourd’hui, hormis les poudres et compléments alimentaires, les cupcakes et les oursons en gélatine, soumis à un traitement bien particulier. Moins en tout cas que dans son ouvrage précédent Beau à vomir – forcément. Où l’on trouvait notamment un chapitre sur un homme qui «cuisine un gâteau, une ville entière tout en biscuit et en sucre». L’occasion d’évoquer «ce côté baroque très appétissant des gâteaux mais jusqu’à en devenir presque effrayant».
La pâtisserie, il a toujours aimé. D’un bref passage à l’ECAL, où il entre après avoir présenté un faux livre de cuisine, il garde le souvenir d’un gâteau flambé, confectionné d’après celui de La Belle et la Bête, de Cocteau, et dont certains ingrédients avaient été dénichés dans un abattoir.
«Les plats dont je parle dans mes livres ont quelque chose de dérangeant, suscitent une inquiétude, de l’amertume, ou alors ça donne très envie, mais des choses bizarres se cachent derrière la crème. Ou encore il y a trop de crème et on étouffe.»

La cuisine pour se questionner et tenter de nouvelles expériences

La littérature étant une chose, la vie une autre, Julien, face à cette vision peu rabelaisienne du bien ripailler, précise, comme pour rassurer tout le monde: «Ce n’est pas la cuisine que je fais.» Sauf que, préparant un plat, il aime bien, comme pour ses textes, «que ce soit une expérience, que cela nous travaille, nous questionne, nous fasse découvrir des choses». Sans pour autant verser dans le grand chambardement culinaire:
«Je ne suis pas pour les fondues vertes.»
Comme le personnage de Muscles, Julien Burri lui aussi fréquente les salles de fitness. «Mais j’ai d’autres façons de me réaliser dans la vie – mon travail, les livres, les amis – tout ne repose pas sur le bodybuilding.» Il dit néanmoins comprendre et ressentir lui aussi, à un degré moindre, cette «volonté d’avoir une forme, d’avoir un poids, d’exister, de ressembler un peu à un cliché d’homme, à une figure masculine».
«Ne pas faire passer de message mais plutôt donner à voir»
Julien Burri se considère comme un auteur qui carbure à l’instinct. «Je pars de choses qui me touchent profondément, ce n’est pas abstrait,
«je ne pourrais pas expliquer pourquoi je parle de fitness, de muscles, de peaux, de corps. Tout cela est souvent lié à des sensations.»
La construction du livre, les questions, la logique, viennent après.» Il assure encore ne pas être un intellectuel mais avoir «de l’admiration pour eux». N’avoir «pas de vision intéressante»: «Ce que je peux dire vient malgré moi, ça me dépasse, je n’ai pas envie de faire passer de message, mais plutôt de donner à voir.»
Et même sans doute un peu plus que cela. Ses livres, Julien Burri souhaiterait que les lecteurs puissent «les habiter, comme une maison justement». Un lieu qui aiderait «à regarder, à questionner notre réalité, notre modernité, qui est passionnante et bouge très vite». Au risque, la technologie aidant «d’oublier d’écouter ce que l’on ressent, d’oublier de s’occuper de nous, d’oublier d’être là, d’habiter simplement son corps, de s’interroger sur les liens humains, ce que l’on veut établir comme rapports entre nous.»
La cuisine, tiens, serait un de ces moyens «de se retrouver, d’être ensemble, de ressentir les choses, les échanger, un bon moyen d’être là».

Carte d’identité

Tête-bêche
Nom: Burri
Prénom: Julien
Profession: Journaliste
Année et lieu de naissance: 1980, Lausanne.
Deux livres en un. Tête-bêche. Côté face Muscles, côté pile La Maison ou l’inverse suivant par où l’on empoigne l’objet. Ici un roman, là des morceaux. Une idée de son éditeur. «Il y avait ces deux textes, il m’a dit: si on en met l’un à la suite de l’autre, il y en a un qui sera invisible.» Muscles lui a pris trois ans, La Maison deux mois – «Je voulais que cela soit plus dans le jeté, le crayonné. Et puis je trouvais que c’était trop court pour faire un livre.» Certains objets se retrouvent dans les deux livres. «Il y a comme cela des résonances. Des échos, ça communique.»
Muscles et La Maison sont écrits les deux à la deuxième personne du singulier. «C’est venu comme cela, un peu pour dire, ça te concerne, lecteur.» Le personnage principal de Muscles est un bodybuilder qui soigne en salle de fitness des lourds traumatismes d’enfance. «Quelqu’un d’assez vide à qui il n’est pas évident de s’identifier. Le «tu» le rapproche, on peut se dire qu’il est comme nous.»
La Maison, récit d’une rupture brutale, est plus autobiographique. «J’ai vécu dans la maison que je décris, ce texte est une tentative de la reconstruire, de créer finalement quelque chose de positif à partir d’une expérience de vie. C’est très banal évidemment d’être quitté. Aussi banal que le fitness.»

Secrets de cuisine


Qu’avez-vous toujours en réserve dans votre cuisine?
Des pâtes et de l’huile d’olive.
Cuisiner c’est…
... une question de désir. Me faire plaisir et faire plaisir, créer, mélanger.
Que ne mangeriez-vous pour rien au monde?
Il faut goûter de tout.
Avec qui auriez-vous aimé partager un repas?
Quelqu’un qui ait de la conversation, qui soit charmant, drôle. Churchill devait être très agréable comme hôte.
Un plat préféré?
Ça change. Comme des rencontres d’un moment. Je ne fais pas de fixette sur un plat qui serait à coup sûr et pour toujours mon préféré.

LAURENT NICOLET,
Migros Magazine

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«Raconter autre chose que ma petite histoire...»

Le nouveau livre de Julien Burri est double, comme le poète et écrivain

Deux textes réunis en un seul volume, parce que Julien Burri, 34 ans, n’imaginait pas les publier séparément. Mais une rare édition tête-bêche parce qu’ils sont tout de même fort différents. La Maison, «le plus personnel», est la ferme vaudoise qu’occupent Jaël et son compagnon, «Tu», «qui est une façon de dire je», avoue l’auteur. Ils s’aiment et puis plus. Après l’amour fou, partout, «cette nuit, il dort dans son bureau. Seul dans la chambre à coucher, bouche ouverte, on dirait que tu as reçu un coup dans le ventre.» La nature, les oiseaux, les fleurs lancent des signes au poète. Le grand chien meurt. Le canari aussi. De cette rupture douloureuse l’écrivain n’a pas fait un chant triste uniquement mais quelque chose de plus universel à la fin. Quand il note: «Cela se joue en toi désormais, en toi la vie des morts»; «Si la personne ou l’histoire ne te touche plus, «Tu» ne vas pas écrire un texte.»
Comme beaucoup d’autres, Julien Burri a commencé à écrire à l’adolescence. Et puis le jeune homme aux yeux clairs comme le ciel, à la voix douce comme une caresse, a continué, ce qui est beaucoup plus exceptionnel, comme ce prix de poésie qu’il reçoit à 17 ans. «C’est sûr que ça m’a encouragé à poursuivre.» Une enfance de fils unique, «solitaire et mélancolique», au Mont-sur-Lausanne a aussi nourri son goût pour la lecture et son pendant indispensable: «J’écris une heure tous les matins après le petitdéjeuner. Il faut se donner du temps. C’est une discipline que j’aime, mais c’est aussi un travail, ce n’est pas magique.»
Muscles, le second texte, raconte une autre histoire d’amour qui tourne mal entre un homme et sa femme. Son titre renvoie clairement à une activité, une autre discipline importante dans la vie de l’auteur: le fitness. «C’est l’idée de prendre une place, d’avoir un poids. J’ai très peur de la fragilité du corps. Je fais aussi régulièrement du yoga et de la natation.» Visible sur son portrait, un fragment du grand tatouage dont il se couvre progressivement le corps. «Pour avoir une peau… Au Japon, je passerais pour un yakuza. Sur le bras, ce sont des feuilles de cerisier. Depuis la cuisse, on sera dans l’eau…» À Grandvaux, où il vit, Julien Burri dit «qu’il y a beaucoup de lac. Et «Tu» vois bien les montagnes aussi. Il y a une porosité du paysage, comme de l’eau qui circule.» Elle irrigue naturellement son inspiration. «J’essaie d’être à l’écoute, de sortir de l’agitation. Avec des questions toutes bêtes: qu’est-ce que ça fait d’être là? La poésie m’aide à vivre l’insupportable fluidité des jours. Souvent, mes personnages ne ressentent rien. J’ai envie que les lecteurs ressentent à leur place.»

JEAN-BLAISE BESENÇON,
L’Illustré

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On passe à présent à deux textes de Julien Burri, auteur suisse romand qui est aussi journaliste à L‘Hebdo, des textes réunis tête-bêche dans un même volume, Geneviève, c’est Muscles et La Maison
Exactement, mais ce n’est pas autant deux phases d’une même histoire, ce serait plutôt un ensemble littéraire composé d’un roman et de fragments de récits autour d’un amour brisé… Muscles, c’est le roman, a pour personnage principal  un jeune homme trop frêle, au propre et au figuré, qui se sculpte littéralement son corps en salle de musculation… Et surtout qui tente de se trouver une place dans le monde, au monde je dirais, lui qui se sent parfois fondre littéralement, aspiré par une sorte de vide au centre de lui-même, comme si la perte de sa mère, la solitude d’une enfance pas du tout malheureuse, mais un peu entre parenthèses, l’empêchait d’exister à ses propres yeux et à ceux des autres… Tout le livre est écrit à la deuxième personne du singulier, et au présent, l’auteur dit donc «tu» à son personnage, et ça marque une distance qui se traduit par le regard scrutateur et presque détaché qu’il porte sur lui…

Et quand est-il de La Maison, alors?…
Alors, c’est un ensemble d’instantanés d’une histoire d’amour avortée entre le personnage principal, auquel Julien Burri s’adresse aussi, comme dans Muscles, en le tutoyant. Et il un autre homme nommé «Jaël»… La maison où ils ont vécu est à la fois un abri perdu en rase campagne et une métaphore du corps, encore une fois très présent dans ce livre, dans ce texte, le corps qui enveloppe notre esprit, nos sentiments et notre mémoire avec ses recoins… Comme dans Muscles, l’écriture est très charnelle, mais plus sensuelle je dirais, que dans le roman, le corps est toujours omniprésent, mais pas comme une machine, plutôt comme le centre d’une énergie amoureuse, dans La Maison. Autant dans Muscles, je dirais, le corps est vide, autant dans La Maison il est habité. Alors, je vous disais que ce n’était pas un livre à deux faces, mais finalement il a deux portes qui permettent d’entrer dans l’univers d’un auteur qui n’a pas encore complètement abandonné son armure…

GENEVIÈVE BRIDEL,
RTS, Journal du samedi, Quartier livres

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Les auteurs romands multiplient les parutions de printemps
Julien Burri se fait les muscles

C’est un livre dans lequel on entre d’un côté comme de l’autre. Édités tête-bêche, les deux récits sont autonomes, mais par deux fois, le personnage principal s’y trouve enfermé. Dans Muscles, c’est un corps qui enfle, celui d’un bodybuildeur si incertain de son identité qu’il assigne à son enveloppe musculaire le soin de lui donner forme. Dans La Maison, c’est un écrivain qui vit avec Jaël, cloîtré dans une maison dont le jardin, borné par une clôture électrifiée, est rempli de volières aux oiseaux multicolores.
L’un et l’autre s’appellent «tu», et ils se donnent la main, même si le premier est marié à une femme, et le second aime un homme. Mais ils sont tous deux imprégnés d’un spleen très contemporain: celui d’un contact immensément désiré, et désespérément refusé.
Le héros du fitness qui sue dans Muscles n’est pas dupe de la vacuité de ses efforts. «Plus tu prends du volume, plus cela se creuse, s’évide du dedans. » Et pourtant, il continue de gonfler, à coup d’exercices puis de dopage, dans l’espoir de «devenir vrai». Mais lorsque le miroir ou une photo lui renvoie une image décevante, la baudruche se dégonfle, et alors, «comment supporter de vivre»?
Dans ce livre, les femmes meurent de dépression – sa mère, puis sa femme. Les hommes sont des animaux en rut ou des lâches – son père l’abandonne aux grands-parents.
Julien Burri, 34 ans, journaliste à L’Hebdo,a publié de nombreux recueils de poèmes et du théâtre avant son premier roman, Poupée, en 2009, où il était déjà question des sourdes névroses familiales qui génèrent ces enfants suradaptés aux désirs de leur environnement. Ces êtres prisonniers du regard de l’autre, auxquels ils délèguent le pouvoir de leur donner consistance et existence.

L’illusion du corps parfait

Lui-même féru de fitness – il se muscle aussi régulièrement qu’il écrit, à raison d’une heure par jour – Julien Burri connaît tous les pièges de cette illusion du corps parfait, grâce à quoi «tu sais que tu existes – tu ne passes plus au travers de choses».
Son magnifique tatouage japonisant est une signature supplémentaire de l’attention d’esthète qu’il porte au corps, cette enveloppe proche du «moi-peau» théorisé par le psychanalyste Didier Anzieu, dont il cite l’influence. «Les bodybuildés me touchent», reconnaît-il: il les a longuement observés et ils forment, dans le livre, une cohorte de personnages anonymes, aux regards vides.
L’écriture de Julien Burri est d’une grande sûreté, remplie d’images et vidée d’émotions. Elle s’attache à détailler les réalités cliniques d’un corps qui se transforme jusqu’à devenir monstrueux – le corps hypertrophié finissant par tuer le cœur nécrosé de solitude.
De la même manière, elle rend compte, dans La Maison, de l’hiver qui ensevelit peu à peu la relation amoureuse entre le narrateur et Jaël. A mesure que les paysages disparaissent sous la neige, Jaël disparaît de la vie du narrateur qui écrit esseulé, au milieu des oiseaux enfermés. «À la fin, le contact s’interrompt comme s’il n’y avait rien eu», commente l’auteur.
Julien Burri dit aimer les vanités du siècle d’or, ces tableaux destinés à rappeler le caractère transitoire de la condition humaine. Dans l’économie des scènes qui, tels des instantanés, composent La Maison, c’est la même netteté du trait qui frappe, en écho à l’amour condamné entre les deux amants. Rien de plus contemporain, pourtant, que ces récits qui parlent cru du corps et du sexe, pour mieux dire la sensation du vide, l’absence à soi – et l’irrésistible désir d’exister sans masque.

JEAN-JACQUES ROTH, Le Matin-Dimanche

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L’auteur lausannois publie son troisième roman sous la forme d’un double récit, Muscles et La Maison

Deux livres en un. D’un côté, il y a La Maison – un court récit composé de 58 «morceaux» très aboutis, autant de souvenirs-témoignages d’un amour fait et défait entre les murs d’une demeure à la campagne. De l’autre, le plus robuste Muscles. Ou vice versa. Car le lecteur reste libre de choisir par quelle porte il souhaite entrer dans l’univers glaçant de Julien Burri, auteur qui sait aussi se faire tendre. Il publie avec ce double récit un troisième roman, après Je mange un bœuf et Poupée, plusieurs recueils de poésie et les nouvelles de Beau à vomir. Une bibliographie déjà fournie pour le Lausannois, né en 1980 et journaliste à L’Hebdo, deux fois lauréat du Prix des jeunes auteurs à 17 et 18 ans.
Muscles – écrit en premier – est l’histoire d’un enfant qui, dès son premier abonnement de fitness, cherche compulsivement à devenir un super-héros pour rechercher sa mère, décédée dans l’indifférence d’un père absent. L’histoire d’un homme qui s’efforce à devenir un archétype pour fasciner son amoureuse. Mais on est très loin des comics.
Anabolisants, régimes diététiques, fonte soulevée. Plus il gonflera, plus il se videra. Plus il cherchera à «rendre l’âme solidaire du corps», plus celle-ci s’effacera. Une aliénation des sensations, des émotions, programmée dès les premières pages, mais qui peine à garder toute son intensité au fil du récit.
Mais Julien Burri est avant tout un poète. Son talent se vérifie encore une fois avec ces deux textes adressés à une deuxième personne du singulier et ciselés en prose. Une prose qu’il ose malmener de tirets, de césures pour préciser une idée ou mettre au jour la complexité. Dans La Maison comme dans Muscles, chaque phrase se savoure pour l’habilité du verbe, pour la précision des mots – souvent crus, parfois culs – et le regard acéré avec lesquels l’auteur dissèque les corps, les matières ainsi que les relations humaines. C’est là un autre de ses talents. Même si cette dextérité est à double tranchant. Irritante quand le scalpel cherche trop à transgresser. Fascinante quand la lame du poète s’enfonce dans la chair ou les sentiments.

GÉRALD CORDONIER,
24 Heures

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À la maison, sur le lit, Amélie te caresse – tu es prêt à venir mais te retiens (…). Il faut se garder pour plus tard, il y aura mieux, plus tard. Cela ne peut pas être juste ça – la vie ne peut pas être juste ça.» L’écriture renversante et poétique (rythmique), comme détachée, de Julien Burri dit la chair, la vie amortie par le muscle, l’amour sans doute aussi. De courts chapitres – «Dinette», «Couleur chair», «Des après-midi avec grand-maman» – racontent la solitude de la vie de couple et de famille. Et son livre de se dédoubler: derrière Muscles, un deuxième roman, La Maison, comme un coup de poing.

LINN LEVY,
Édelweiss

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Julien Burri publie La Maison et Muscles, un double troisième roman. Sa voisine de bureau, Isabelle Falconnier, l’a lu en avant-première

Cher Julien,

Cher Julien, un jour le livre était sur mon bureau. C’est tout toi: discret mais suggestif. Nos espaces de travail se touchent. Chaque matin ou presque, nous nous asseyons l’un en face de l’autre. Je peste en silence lorsque tu étends ton linge de fitness sur le radiateur. Tu empiles consciencieusement les livres à lire que nous recevons par cargaisons. Nous sommes comme un vieux couple: on ne parle pas des choses importantes. Alors de ton livre nous n’avons guère parlé. C’est mieux: la littérature supporte mal l’ambiance «Caméra Café».
Tes livres, devrais-je plutôt dire. Côté pile, Muscles, l’histoire d’un gamin malingre qui devient fort et musclé une fois grand. Las, c’est trop tard, il ne peut plus sauver sa mère, qui a allumé le gaz dans le garage pour mourir. Ni plaire à son père, qui a fui aussitôt dit, aussitôt fait. Qu’importe. Abonné aux salles de fitness, il devient un superhéros contemporain, Narcisse éperdu d’admiration pour son propre reflet, ivre de conventions sociales, convaincu que le vernis social est synonyme de bonheur. Mais plus il prend du volume, plus «cela se creuse, s’évide au-dedans».
Côté face, La Maison, une histoire d’amour qui palpite dans une maison à la campagne entourée de forêts et de volières et qui, un soir, se termine. Deux garçons l’habitent, s’aiment, cuisinent, regardent des films, bricolent dans la grange. Un jour, Jaël n’aime plus, brisant le cœur de l’autre, celui dont tu racontes l’histoire.
C’est une drôle d’idée, ces deux livres en un. Comme si tu n’avais pas réussi à choisir lequel donner au public. Et puis pourquoi deux couvertures, une entrée pile, l’autre face? J’ai tourné et retourné le livre, commencé l’une puis l’autre. Finalement: cela fonctionne. Et, de fait, on peut lire La Maison comme la version adulte de Muscles. Le garçon immature de Muscles qui fréquente à outrance les salles de sport, avale force anabolisants, se forge une carapace telle qu’il est incapable de ressentir le moindre amour pour sa femme, cette coque rutilante mais vide est devenue dans La Maison un jeune adulte sensible, à fleur de peau, amoureux. Qui souffre mais se relèvera. Dans Muscles, le narrateur lit les poèmes qu’a laissés sa mère morte. Dans La Maison, il en écrit lui-même. Dans les deux cas, l’amour, ou plutôt l’absence d’amour, la mort de l’amour, fait mal. Mais le narrateur de La Maison survit. Il y a une vie après Jaël. Les muscles du narrateur de Muscles n’y pourront rien: son cœur à lui explose.
Et toi, Julien, tu t’adresses à eux directement. Tu leur dis tu, à Monsieur Muscles comme au garçon triste d’avoir perdu son amour et sa maison: ils sont toi, tous les deux, tu les aimes bien. Ton cœur déborde pour eux. Tu as mis tout ton talent à leur service.

Les sens et l’esprit

Cher Julien, toutes mes félicitations: après Poupée, Beau à vomir et plusieurs recueils de poésie ou nouvelles, tu sais de mieux en mieux parler de la sainte trilogie, soit de corps, de cœur et de cul. Surtout: de la manière dont les uns et les autres sont absolument liés. Ton écriture dense, parcimonieuse parfois, poétique toujours, impeccable, navigue avec subtilité entre les sens et l’esprit. Tu sais écrire la découverte de son «mulot» par un gamin, le plaisir moite de soulever de la fonte plus tard, ou de faire l’amour sur le gravier devant la maison. Tu respectes le corps autant que le cœur. C’est rare, de nos jours. Et puis ton œil impitoyable, lucide, sur les névroses familiales, celles nées dans les peurs et les abîmes de l’enfance, fait merveille dans ces deux récits. Un bon journaliste peut faire un bon écrivain, merci d’en apporter la preuve par deux.

ISABELLE FALCONNIER,
L’Hebdo

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Le style est précis, glaçant, et sait décortiquer jusqu’à la cruauté les efforts des personnages pour chercher un remède à leur solitude. Sa retenue même le rend plus efficace et plus inquiétant.
C’est intéressant, bien écrit… et parfaitement démoralisant comme à chaque fois qu’on regarde l’existence de trop près.


Sur Muscles:
S’il devient un superhéros, il pourra aller chercher sa maman au pays des morts. Il faut qu’il y aille, parce que c’est elle qui porte la poésie. Pour ça, il doit sortir de sa cage thoracique trop étroite, grimper sur son tapis d’élastomère, et traverser les plaines cartilagineuses, les montagnes fibreuses et les lacs veineux.
Un jour, le super héros rencontre Hello Kitty et lui offre un cœur en fil de fer…
L’histoire d’un joli garçon trop léger qui devient pesant, encombrant, au fur et à mesure de ses séances d’entraînement intensives dans une salle de musculation.
Après Poupée et Beau à vomir, Julien Burri signe là un travail magnifique d’entomologiste. Il prouve que parfois, conçu dans le cocon d’une serre humide à température constante, on peut naître papillon, et vivre ver à soie…

CLAUDE-INGA BARBEY



Sur La Maison:
A-t-on le droit d’écrire sur la fin d’un amour? Si c’est pour survivre, je crois que oui. Si c’est sans haine, juste pour se souvenir, pour témoigner, pour consoler les lecteurs, je crois que oui. Il est effectivement moins dangereux de peindre, de danser, ou de composer une musique sur la fin d’un amour. Les mots blessent plus fort, parce qu’ils semblent désigner, accuser. Mais si l’on ne sait faire que ça… Écrire. «Change au moins les noms, qu’on ne me montre pas du doigt dans la rue…» Il frissonna. «Dans la rue? Pourquoi dans la rue ? Tu as vendu la maison?»

CLAUDE-INGA BARBEY

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Extraits (La Maison) (Acrobat 261 Ko)