ALEX CAPUS

LE ROI D’OLTEN

Roman
traduction française: Anne Cuneo
Illustrations de Jörg Binz
2011. 120 pages. Épuisé.
ISBN 978-2-88241-293-5




Biographie

Humour ravageur

Né en 1961 en France, Alex Capus passe les premières années de sa vie à Paris, dans l’appartement de son grand-père, collaborateur scientifique de la PJ. À l’âge de 6 ans, il se retrouve à Olten, patrie de sa mère. Après des études d’histoire, de philosophie et d’anthropologie, il devient journaliste. Une douzaine d’œuvres plus tard, il rédige Le Roi d’Olten, l’histoire d’un chat  noir et blanc, nommé Toulouse, qui règne sur la vielle ville et fait peur aux automobilistes. Toulouse est un élément parmi d’autres, que Capus décrit avec un humour totalement délirant. Impossible de déguster trois lignes de ce recueil de nouvelles sans pleurer de rire. Pourtant, l’auteur ne se réclame pas grand comique devant l’éternel, ce qu’il est, de fait. Sa manière de raconter Olten, la ville du brouillard, les digressions autour de Toulouse, un voyage avorté à Copenhague, l’altruisme linguistique d’un restaurateur, sont autant de moments de parfaite bonne humeur. C’est qu’Alex Capus manie la simplicité du langage avec une bonhommie qui tient à la fois de l’ironie mordante et de la gentillesse si naïve qu’elle en devient satire littéraire. On ne peut que regretter que le deuxième volume du Roi d’Olten ne soit pas traduit.


CAMILLE SERVAL
, Notre temps

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De ce côté-ci de la Sarine il faut bien dire qu’on a tendance à ne pas connaître grand-chose d’Olten. Éventuellement on a entendu parler du «groupe» du même nom, ainsi que de la gare et de son buffet. Les plus cultivés savent que c’est le lieu de naissance de Peter Bichsel et les plus convaincus, que le siège social de la BAS s’y trouve.
Les chaleureuses petites chroniques d’Alex Capus donnent terriblement envie d’aller y voir de plus près. Il paraît qu’au milieu du brouillard, on peut croiser au coin d’une rue quelques figures locales comme des vieilles dames hooligannes qui tripotent les petits pains, ou le Stripper, ancien voyou rocker à la jambe de bois devenu sage chauffeur de chariot élévateur, amateur de poésie. Avec un peu de chances, on pourrait voir le bout de la queue de Toulouse, le mystérieux chat qui serait le Roi d’Olten. Il est beaucoup question de lui en début du recueil, mais on n’apprendra pas grand-chose sur le brave félidé, à part qu’il sait ouvrir les portes. Ouvrir des portes sur le quotidien, c’est bien ce que fait l’auteur mine de rien.
La description des odeurs de son enfance parle éloquemment d’une petite ville active: biscuits  de l’usine Wernli et chocolats Lindt & Sprüngli pour les plus délicieuses, Von Roll , Berna Giroud-Olma ou les Ateliers ferroviaires pour les plus métalliques. La majorité de ces industries ont aujourd’hui disparu et la tertiairisation, ici comme ailleurs, devrait remplacer les emplois perdus, «mais sérieusement: comment est-ce que ça va finir, si nous nous contentons de nous fournir mutuellement des services?» se demande l’auteur, pourtant sans nostalgie de l’apprêté des tâches d’antan.
Peut-être qu’en s’y prenant bien on arriverait à en savoir un peu plus sur la relation rivalité/ignorance superbe qui semble souder Olten et Soleure. Mais est-elle très différente de celle qui règne entre Lausanne et Genève?

J. S.,
La Distinction

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Après avoir connu un franc succès en Suisse alémanique, Le Roi d’Olten paraît en français, traduit par Anne Cuneo. Alex Capus, écrivain franco-suisse de langue allemande, nous y propose une série de vingt-quatre historiettes illustrées par Jörg Binz. «Le roi d’Olten {…} est un chat noir et blanc qui règne sur la Vieille-Ville»; il répond au nom de Toulouse et appartient à la famille Köpfli. Ce dernier ne sert pourtant que de point de départ pour l’auteur, qui l’abandonne dès la sixième nouvelle.

Capus entreprend alors de dépeindre Olten, où il vit depuis plus de quarante ans. À travers de petites histoires qui n’ont pour seul lien entre elles que la cité, il fait le portrait de la gare – fameux nœud ferroviaire suisse –, de la vieille-ville, des quartiers et de leurs bistrots, puis de la population, mais aussi de la piscine communale et de l’Aar. L’écrivain tente de décrypter la mentalité et les mœurs des habitants. Il évoque leur passé, leurs origines, leur rapport avec le voisin soleurois, puis s’attèle à décrire des scènes de vie quotidienne, au sein d’une famille, surtout la sienne, ou encore dans un supermarché Migros, à proximité des fromages.
Force est de constater qu’Alex Capus fait preuve d’adresse dans sa façon de décrire son monde; cependant, d’aucuns pourront peiner à comprendre le pourquoi d’une telle entreprise. Si la forme séduit, on peut s’interroger sur le fond: que veut réellement dire l’auteur? L’écrivain prend pour sujet Olten, mais on s’aperçoit qu’il lui tient surtout à cœur de parler de lui-même. Ce sont par-dessus tout ses opinions dont il fait état, plutôt que sa ville d’origine, et c’est avec un parti pris évident qu’il parle de la vie politique locale ou des «jolies filles quelque peu ébouriffées de Greenpeace». Après déballage de relatives banalités et évocation de questions profondes tiraillant parfois l’écrivain, on se retrouve au final face à une sorte de journal intime au caractère anecdotique et régional. C’est par une autocritique que Capus termine son livre. «Dans l’ensemble, les lecteurs et les journaux me loueront, et j’aurai un peu honte, et je m’étonnerai que personne ne remarque la cabane de planches mal clouées qui se cache derrière la façade étincelante», écrit-il. Y devrait-on donc voir affectation, ou aveu sincère?
Pourtant, et c’est sans doute la force de ce recueil, on ne peut s’empêcher de sourire à la lecture de certains passages, par exemple lorsque l’auteur évoque un bar baptisé «Sisième» – et non «Sixième» –, son propriétaire, un Oltenois, anticipant la tendance que ses semblables auraient alors de parler du «Siksième». Il y a une certaine ironie, un second degré à peine masqué, dans les situations que nous décrit Alex Capus, et c’est empreint de lucidité qu’il nous rappelle que «de grandes villes comme Zurich ou Berlin ne sont finalement rien d’autre que dix ou cent Olten collés les uns aux autres.»
Un sympathique petit livre, donc, qui n’a peut-être pas la prétention de faire date dans l’histoire de la littérature, mais auquel on peut accorder le mérite d’être empreint d’humour et, pourquoi pas, de rafraîchir la mémoire à ceux qui auraient oublié où se trouve Olten ou n’en auraient simplement jamais entendu parler.

SAMANTHA REICHENBACH, Les Lettres et les Arts

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L’auteur, comme il le dit lui-même, est un raconteur d’histoires. Il aime sa ville d’Olten et le chat noir qui en est le roi. Tout au long des chapitres, il nous fait la chronique de cette petite ville, qui ressemble à beaucoup d’autres. Ce sont de paisibles descriptions, avec une surface unie sous laquelle il observe l’irrésistible mouvement du temps qui passe et qui, peu à peu, transforme l’existence des habitants. Il y a toujours de savoureux articles sur le brouillard, le hooliganisme des dame âgées, Soleure ou les cheminots, les problèmes de l’auteur avec ses lecteurs.
La traduction d’Anne Cuneo est un régal.

JULIETTE DAVID
, Suisse magazine

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Alex Capus parle de sa ville d’origine, Olten (Suisse orientale; grand nœud ferroviaire suisse): de la beauté de la gare, du parfum de la fabrique de chocolat, des «gaillards» sauvages et des «méchantes» filles, des braves citoyens et de la folie quotidienne qui nous maintient envie jour après jour.
Une déclaration d’amour du grand narrateur à cette petite ville, étant entendu que de grandes villes comme Zurich ou Berlin ne sont rien d’autre que dix ou cent Olten pris l’un après l’autre.

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La ville dont le roi était un chat

Il y a un peu plus d’un an, j’ai été charmée par un petit livre en allemand intitulé Le Roi d’Olten. Je n’en connaissais pas l’auteur, Alex Capus. J’ai été conquise dès la première page.
J’ai aussitôt offert de traduire Le Roi d’Olten, et le livre vient de paraître en français.
Je n’écris pas cette chronique pour parler de mon travail, mais pour partager mon plaisir, et présenter un auteur.
Alex Capus est né en Normandie, et il parle parfaitement le français. Les aléas de la vie ont fait qu’il a grandi dans la ville de sa mère, Olten. Il a étudié à Bâle, en allemand, a travaillé comme journaliste, notamment à l’Agence télégraphique suisse, il a beaucoup voyagé, mais il est toujours revenu à Olten. Il a écrit une douzaine de romans, tous plus beaux l’un que l’autre. En allemand. Un seul a été traduit en français, Un avant-goût de printemps, et a eu une distribution si confidentielle que peu de gens l’ont lu. Son dernier livre, Léon und Louise, tout juste paru, est en traduction aux Éditions Acte Sud, et j’espère que quand il sortira en français il aura le succès qu’il mérite.
En attendant, vous pouvez faire la connaissance d’Alex Capus en lisant Le Roi d’Olten, ça ouvre l’appétit, et permet d’approcher un auteur formidable et une ville dont la plupart d’entre nous ne savent rien. Dans une série de vignettes, Alex Capus dépeint avec humour et tendresse (et sans complaisance) le cadre dans lequel il vit: les policiers bourrus et tatillons, l’ivrogne unijambiste, les industriels qui délocalisent (le problème est dépeint par petites touches à travers les odeurs qui flottent dans l’air d’Olten), les baigneurs de la piscine municipale, et surtout Toulouse, un chat noir et blanc auquel aucune porte ne résiste. Et dans ce cadre, Alex Capus se dépeint lui-même. L’ensemble donne à la fois un portrait inédit d’Olten, et un excellent autoportrait d’Alex Capus. On voit se profiler l’écrivain, le journaliste, le responsable politique (Capus est président de la section d’Olten du parti socialiste), qui essaie, pas toujours avec bonheur, de tout faire à la fois: écrire, militer, s’occuper de ses enfants (il en a cinq), se préoccuper de la vie sociale d’Olten, éviter de mettre les pieds dans le plat. Je vous conseille un exercice (que j’ai fait): lisez Le Roi d’Olten puis allez faire un tour à Olten en suivant les itinéraires suggérés par Capus. Vous irez sans doute comme moi de découverte en découverte. Et vous direz, comme l’auteur, qu’il y a des Olten partout et que, tout compte fait, même une grande ville est faite de cinquante Olten mis bout à bout.
Vous constaterez peut-être en fin de compte, vous aussi, que la magie opère. En réalité, il y a à Olten plusieurs rois: Toulouse, Alex Capus et, le temps d’une visite, vous-même.

ANNE CUNEO, 24 Heures

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Suivez le chat

«Comme j’ai déjà tenté de l’expliquer deux fois, le roi d’Olten est un chat noir et blanc appelé Toulouse, qui, grâce à ses dons exceptionnels, règne sur la Vieille-Ville», écrit Alex Capus dans Le Roi d’Olten, troisième texte du recueil du même nom. Il essayera de cerner son insaisissable félin au fil de six de la vingtaine des courtes proses qui composent Le Roi d’Olten, avant de laisser la place à d’autres thèmes: le hooliganisme des dames âgées et celui des jeunes écrivains, Olten et sa piscine publique, son brouillard et ses villas tranquilles, les voisins curieux, l’importance des cheminots… De fait, c’est Olten, ville d’origine de l’écrivain franco-suisse, qui constitue le personnage principal de ces récits parus entre 2002 et 2009 dans divers journaux et revues. Mais «depuis lors beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’Aar; nous avons changé, et Olten est devenue une ville radicalement différente», prévient Capus en guise d’avant-propos. Le ton est donné: humour en demi-teinte et autodérision s’allient à une simplicité sensible et doucement ironique pour donner forme à de savoureuses proses où l’auteur s’amuse à jouer avec la réalité. Sous le charme de ce regard faussement naïf, on le suit sans se faire prier.
Au fil de ces balades à Olten et dans son histoire se dessine le portrait de l’auteur, notamment dans son rapport à l’écriture. Dans «Devoir filial», il relate l’attente après qu’il a envoyé son nouveau livre à sa mère, ces quelques jours avant qu’elle ne l’appelle, très inquiète pour lui et son avenir. Les «Battements de cils du bonheur», ce sont ces brefs instants de félicité que procure l’écriture entre deux «éternités d’incertitude et de doute de soi». Mais Capus met en garde: «Le problème, c’est que les gens veulent toujours croire tout ce qu’ils lisent.» Et de raconter comment voisins et amis se reconnaissent dans ses romans et refusent de croire qu’il n’a jamais trouvé de berger allemand ou que son cadet n’est pas tombé dans l’escalier. Avant de conclure par une délicieuse pirouette…

ANNE PITTELOUD, Le Courrier

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«Je me souviens d’Olten»

Olten, c’est sa ville d’origine. Alex Capus y est venu avec sa mère en 1967. Il a six ans. Et il a observé sa ville. Devenu journaliste et romancier, il a écrit pour différents journaux des chroniques douces amères, ironiques et tendres sur Olten. Cela fait un peu «je me souviens» puisque d’entrée Alex Capus précise que tout a changé, qu’Olten n’est plus la même. Si l’on excepte son trop fameux brouillard qui «s’insinue dans les os», alors que «l’âme se couvre de moisissures». Mais sans le brouillard, Olten ne serait pas Olten et l’on n’irait pas admirer le monde depuis le sommet de la Froburg, au-dessus de la «peuffe».
Alors il se souvient des odeurs de chocolat et de biscuit que distillaient les usines. Et des autres fabriques, fermées depuis, délocalisées. Il se souvient de la gare, fabuleuse. Il se souvient du chat Toulouse, le roi de la vieille-ville, qui savait ouvrir les portes et faire reculer les voitures. Il se souvient de l’Aar, redevenue propre et où l’on entend rouler les cailloux. Il se souvient de Stripper le rocker et des belles filles de 1976. Parler d’une ville, c’est parler des gens – qu’Alex Capus aimerait pouvoir collectionner. Parler du monde. Parler de nostalgie, aussi.

JACQUES STERCHI, La Liberté

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«Je suis un raconteur d'histoires»

Le Roi d’Olten: un bijou de livre traduit par Anne Cuneo. Où Alex Capus jette un regard rempli d’humour et d’amitiés sur sa ville et ses concitoyens. Rencontre avec l’auteur dans la cité soleuroise. Au bord de l’Aar, mais où la gare n’est jamais loin.

— Olten fournit le décor de votre livre, Le Roi d’Olten, qui vient d’être publié en français: cette ville est-elle source d’inspiration pour vous?
— Oui, absolument. Olten est une petite ville charmante comme le sont Le Locle, Bulle ou Yverdon. Toutes les petites villes sont uniques mais se ressemblent en même temps. À Olten, je connais tout le monde et certains peuvent se reconnaître dans mes histoires. Quand je parle d’eux, c’est toujours avec le respect que tout être humain mérite. Je n’insulte personne.

— Plus généralement, où trouvez-vous la matière de vos romans et récits?
— Très souvent, une histoire me mène à la prochaine. Quand je fais des recherches pour un roman, je me plonge dans les archives, j’entreprends des voyages en fonction du sujet, etc. Je finis toujours par tomber sur d’autres idées et je n’ai qu’à décider lesquelles de toutes ces merveilleuses histoires je ne vais pas raconter. Il y en a tellement et partout.

Le Roi d’Olten a été traduit par un autre écrivain renommé: Anne Cuneo. Avez-vous lu ses livres et, si oui, que pouvez-vous en dire?
— Anne est une très chère amie. On ne se voit pas souvent, mais nous nous rencontrons parfois dans des festivals littéraires. Ou par hasard dans le train! J’ai beaucoup d’estime pour elle et pour ses romans. Comme elle, j’essaie de développer dans les miens un pan d’histoire en cherchant à comprendre comment des gens ordinaires ont vécu une période dramatique.

— Dans l’ensemble, vos livres ont été traduits dans plus de quinze langues: à quoi attribuez-vous ce succès?
— Au fait que je suis un raconteur d’histoires et les gens aiment qu’on leur raconte des histoires. Et peut-être aussi parce que je m’efforce de traiter mes héros avec respect. Je pense qu’il y a beaucoup de lecteurs qui en ont assez de la vulgarité et de la méchanceté.

— Vous considérez-vous comme un écrivain suisse ou universel?
— Je suis un écrivain soit oltenois soit européen. Mon cœur ne bat pas exclusivement pour la Suisse. En fait, je me sens très suisse quand je suis en France et très français quand je suis de retour en Suisse. Un sentiment que connaissent un peu tous les immigrés.

— Parce que vous vous sentez comme un immigré?
— Ah oui! Je me rends compte tous les jours que je suis pas tout à fait comme les autres. Du reste, j’ai plus de copains italiens ou espagnols que suisses cent pour cent pure souche. Vous savez, Olten est une ville qui comptait à peine mille trois cents habitants il y a cent cinquante ans (ndlr: elle en compte un peu moins de dix-sept mille aujourd’hui). Tous les autres sont venus après, avec le développement du chemin de fer. Donc, quelque part, nous sommes tous des immigrés, c’est très facile de devenir un indigène.

— Vous ne vous sentez pas étouffer à Olten? N’avez-vous jamais rêvé de vivre à Zurich, Berlin ou Vienne?
— Ce sont des villes magnifiques, je ne le conteste pas. Mais, après tout, Zurich n’est rien d’autre que dix fois Olten et Berlin rien d’autre que dix fois Zurich, donc cent fois Olten. Je plaisante un peu, bien sûr! Étant donné que j’ai le privilège de bouger beaucoup, la petite ville n’est pas étouffante pour moi. Au contraire, elle a son charme. C’est mon nid et, surtout, mes enfants grandissent bien ici.

— Olten est surtout connue pour sa gare. Beaucoup de gens y transitent mais peu s’y arrêtent…
— Et je le comprends parfaitement. Il n’est pas indispensable de visiter Olten. Cela dit, j’ai des amis qui sont venus me voir de Berlin et de Vienne et qui sont tombés sous le charme de cette petite ville.
Elle est située au pied du Jura, avec la forêt toute proche et, en même temps, elle dispose d’une grande gare où s’arrêtent des trains pour Paris, Hambourg, Berlin ou Milan. Nous avons neuf salles de cinéma, un théâtre… Vous voyez, ce n’est pas le désert! Il y a un esprit qui règne dans cette ville. Un esprit républicain. L’Oltenois est profondément persuadé que nous sommes tous nés égaux. Ici, celui qui lève la tête un peu trop haut risque d’en prendre pour son grade! (rires).

— Olten, c’est aussi la ville dont Peter Bichsel revendique l’origine…
— Et pas seulement! Il y a aussi Franz Hohler, Rolf Lappert, Ulrich Knellwolf… J’espère que je n’oublie personne!

— Et c’est au Restaurant de la Gare qu’avait été fondé, en 1970, le Groupe d’Olten: cette petite ville est-elle un creuset de la littérature suisse alémanique?
— Je ne sais pas, peut-être que l’on nous met quelque chose dans l’eau potable? (rires). Non, sans blague, je pense que le cadre d’une petite ville est bénéfique pour un écrivain. Dans une petite ville, je suis obligé de m’intéresser à toutes les couches sociales. S’enfermer dans un clan ne pourrait que nourrir un esprit étroit. C’est peut-être paradoxal, mais la petite ville offre un univers plus vaste que la grande ville.


Portrait
De Paris à Olten

Naissance. Le 23 juillet 1961, à Mortagne-au-Perche (Basse-Normandie), «La capitale du boudin!» lance-t-il.
Fils d’un psychologue parisien et d’une institutrice suisse, il vit les six premières années de sa vie à Paris. C’est en 1967 qu’il déménage à Olten avec sa mère.

Famille. Marié, Alex Capus est père de cinq garçons âgés de six mois à vingt et un ans.

Parcours. Il étudie l’histoire, la philosophie et l’anthropologie à l’Université de Bâle. Il s’oriente ensuite vers le journalisme avant de se consacrer à l’écriture.

Le Roi d’Olten. Un recueil de vingt-quatre histoires (120 pages) paru aux Éditions Bernard Campiche. Un petit bijou ciselé dans le cours des jours. Met de bonne humeur et donne envie… d’aller à Olten.

JEAN PINESI, Coopération

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C’est dommage qu’on ne puisse pas collectionner des gens. J’aime l’humanité dans toute sa diversité, et je suis du genre collectionneur, je collectionnerai par conséquent volontiers des gens.
C’est ainsi que commence un des vingt-quatre récits qui composent ce livre, intitulé Des lutins dans mon jardin, qui fait apparaître dans son intrigue même un des procédés littéraires efficaces sous la plume d’Alex Capus, le point de vue gigogne en poupée russe qui crée de riches changements d’échelle. Bien sûr, c’est le narrateur qui se dit collectionneur. Il se distingue, nous le savons tous, résolument de l’auteur, comme l’affirme avec humour un autre récit intitulé Fiction et vérité: Le problème, c’est que les gens veulent toujours croire ce qu’ils lisent […] À quoi servirait une histoire si elle n’était même pas vraie? Je comprends cela. En tant que lecteur, je ne suis pas différent. Cependant, l’auteur, qui alors se superpose au narrateur, rassemble  – comme pour une collection, dans un désordre savamment construit et avec une curiosité communicative, nombre de citoyens de la petite ville d’Olten, en apparence très ordinaires, pourtant tous très surprenants, qui par la bizarrerie de son histoire, qui par la banalité réelle et rêvée de ses gestes.
Le roi d’Olten, un chat noir et blanc dénommé Toulouse (un autre nom de ville, sûrement tout aussi ordinaire et tout aussi troublante!) passe dans les premiers récits et laisse planer ensuite dans tout le livre un regard attentif et amusé qui ne s’efface jamais vraiment, tel le sourire du chat de Cheshire dans Alice au pays des merveilles. Certains  des faits recensés, parfois presque aberrants, le sont d’ailleurs  avec une sorte d’humour  par l’absurde, très pince-sans-rire. Ce chat semble pouvoir incarner une sorte de double du narrateur, tout aussi présent-absent, et peut-être aussi l’ombre nonchalante de l’écrivain, de n’importe quel écrivain qui tenterait de comprendre le monde et chercherait l’expression exacte de son âme. Une sorte de double têtu, malin, assez ambivalent, entre noir et blanc, modeste au demeurant: N’exagérons rien. Il va de soi que Toulouse n’est pas le roi d’Olten, mais un simple chat de la Vieille-Ville. Il peut aussi ouvrir les portes et inquiéter les passants, mais il ne donne pas d’ordres. Souvent, il reste invisible et les récits, toujours un peu  moqueurs, déroulent de menus faits et gestes de citoyens moyens, voire médiocres, mêlés à des considérations morales, philosophiques, politiques. L’ironie reste discrète, mais ne rate pas son coup, habile coup de patte, pas toujours patte de velours et c’est bien. Une sorte de tendresse l’accompagne cependant toujours, mais sans concessions. Le narrateur révèle peu à peu l’étrangeté et le ridicule d’une situation ordinaire souvent émouvante, poussant parfois jusqu’au burlesque. Ce narrateur rappelle celui des certains récits de Robert Walser, mais en moins douloureux. Et j’ai cru reconnaître un double moins acerbe du Marco Valdo d’Italo Calvino. Comme l’écrivain italien, Alex Capus pointe ce qui change dans la vie de la petite ville, de la société dans son ensemble aussi bien que ce qui ne change pas tout en donnant l’illusion aux uns et aux autres de changer. Dans Vive la piscine, apparaissent ces deux mouvements contradictoire qui s’incarnent en une humanité bigarrée qui se succède à elle-même, indémodable: Lorsque j’étais adolescent, les hippies organisaient au bord de l’Aar leurs fêtes fleuries […] Plus tard, sont venus les malabars, qui n’enlevaient jamais leurs bottes de motard […] et plus tard encore les gominés chics, garçons et filles […] comme d’habitude et, pourtant, tout est différent. Oui, en flux et reflux, l’histoire se fait, se défait et se refait. L’écrivain parvient, à travers ces récits apparemment anecdotiques, à tracer assez précisément et sans avoir l’air d’y toucher,  le portrait des transformations  d’une ville, d’un pays, d’un type de société, pour le meilleur et pour le pire, au gré de l’évolution économique, des choix politiques, des tendances de l’opinion. Certains quartiers sont peu à peu abandonnés ou réaffectés, des espaces publics changent de sens politique en changeant de fréquentation sociale. Mais, toujours, ce sont des hommes fragiles qui  animent ces lieux et tâchent d’y vivre comme ils peuvent. Et l’écrivain semble bien aimer ces hommes et cette ville, il pense qu’on finit toujours par y revenir, soi-même ou un jour ses enfants, car Paris, Moscou ou Madrid, ce n’est pas tout à fait ça. Sauf si l’on pense que ces villes si fluctuantes, si hautaines ne sont rien d’autre que dix ou cent Olten l’un après l’autre.
Je ne suis allée à Olten qu’une seule fois. C’était en 2008, à l’occasion d’une très belle exposition qui avait été «délocalisée» à l’Historisches Museum à la suite de circonstances dont je ne me souviens plus très bien. J’avais été étonnée par la  beauté et la qualité de ces lieux (ce n’était pas forcément malin, semble me dire le roi d’Olten). On pouvait regarder dans cette exposition deux petite figurines de terre cuite d’une trentaine de centimètres, un homme et une femme, assis sur des petits tabourets, en train de rêver, de penser, de parler. Ces statuettes, découvertes en Roumanie, ont sept mille ans. En lisant ce livre d’Alex Capus, je n’ai pu les empêcher de souvent se superposer aux personnages qu’il a inventés. Comme elles, et pour longtemps, les personnages attachants de ce livre parlent de moi, du village où j’habite, de mes désirs et de mes craintes, de mes attentes et de mes refus, de mes richesse et de mes ridicules, voire pire. Comme ils parlent des vôtres. Sans animosité et avec grande élégance. En souriant, en faisant sourire, un peu comme en passant, mais  comme le chat qui, parfois, reste au beau milieu de la chaussée et vous suit du regard, le défi dans l’œil, comme s’il était pour le moins un léopard. Il convient donc d’être prudent, et de ne surtout pas bouder son plaisir en lisant ces histoires attentives, drôles et finalement plutôt attentionnées.

FRANÇOISE DELORME,
Culturactif.ch



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