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MICHEL BÜHLER

Le Retour du Major Davel

Théâtre
2022. 140 pages. Prix: CHF 12.00

Le texte original a été publié en un volume, Yvonand: Bernard Campiche Éditeur, 1992,
«Le Retour du Major Davel»


Œuvres complètes de Michel Bühler; V
ISBN 978-2-88241-488-5



Biographie

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Il y a trente-cinq ans, Michel Bühler, seul sur scène, rendait hommage au Major Davel. Le texte de cette performance de deux heures a été réédité en novembre 2022, au moment même où son auteur nous quittait.
Le Retour du Major Davel est composé de proses, de poèmes et de chansons, où le défunt revient parmi les vivants pour raconter pourquoi et comment il a fini par perdre la tête sur l'échafaud de Vidy le 24 avril 1723.
Ce récit parle aussi du Major Davel à la troisième personne et des hommes de son temps dans le Pays de Vaud, sous l'occupation bernoise, où les mots de Liberté et d'Indépendance ne font plus partie du vocabulaire.
Il ne s'agit pas pour le Major Davel de donner des leçons, mais il rappelle que les Bernois étaient secondés
«Par des gens de chez nous, des nobles et des notables,
Qui ramassaient les miettes qui tombaient de leur table,
Qui trahissaient les leurs et sans aucune honte,
Mettez-vous à leur place, ils y trouvaient leur compte!»
Quant au menu peuple, il était soumis:
«De révolte, pas de trace
Chez ceux qui sont tondus,
Chez ceux qui forment la masse
Des vaincus, des fourbus.
Ceux qui travaillent sans trêve,
Soumis, silencieux,
Ils n'ont même plus de rêves,
Tout est donc pour le mieux.»
Jean Daniel Abraham Davel a été mercenaire au service des Bernois, des Français. Il a souvent pensé à la Belle Inconnue qui lui avait prédit un destin extraordinaire: Vous ferez de grandes choses dans votre vie.
Privilégié – il est devenu Notaire, Major de quatre paroisses de Lavaux –, il aurait pu couler une vie tranquille et s'enrichir, mais
C'est bien là le drame, ou la noblesse de certains hommes: ils ne peuvent pas se contenter de leur seul confort, de leur seul bonheur.»
Faut-il obéir aux lois quand elles s'opposent aux lois immuables écrites dans son coeur? Il faut, selon un juriste lausannois, «quoi qu'il en coûte, désobéir aux premières pour ne donner aucune atteinte aux dernières».
C'est ce qui décide le Major Davel à aller à Lausanne à la tête de ses «six cents hommes, de première classe». Il ne s'agit pas pour lui de verser une seule goutte de sang mais d'expliquer son projet à ses compatriotes.
Il s'agit de profiter de l'apathie des occupants et de «se baisser pour prendre le pouvoir:
Jamais une occasion de rentrer dans l'Histoire
N'aura été plus belle, jamais la Liberté
N'a été plus facile à cueillir.»
Ses pareils ne l'entendent pas ainsi, endorment sa méfiance et profitent qu'il soit seul pour le faire arrêter par deux cents hommes et, après, se vanter auprès des Excellences de Berne d'avoir étouffé dans l'oeuf une révolte.
Cet hommage rendu à Davel, dont la commémoration de l'exécution, il y a trois cents ans, approche, est révélateur de l'homme Michel Bühler, qui aimait son pays et savait trouver les mots pour le dire, par la voix d'un héros.
 
Blog de FRANCIS RICHARD

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Comme Davel s’en allant, tout seul, décoloniser le futur canton de Vaud, Michel Bühler, non moins solitaire, arpente, disant et chantant, la scène et les chemins de l’Histoire à la recherche d’un souvenir…
Lisez bien «souvenir» et non «mythe»: le Davel de Bühler est arraché, pardon, doucement tiré hors des manuels par notre baladin vaudois. Bühler, qui a, de toute évidence, pour le héros à la tête coupée, une sympathie qui n’est pas que de circonstances, subvertit délicieusement l’image d’Épinal.
Par la structure même de cette sorte de comédie musicale pour un homme seul et un rebelle mort, mais surtout par l’ironie qui pimente une démarche foncièrement poétique et la rend immédiatement grand public, il donne au Davell statufié depuis belle lurette un corps et un sourire, une voix et un paysage. Là, dans son évocation de la marche au triomphe du Major – qui sera peu après une marche au supplice –, nous touche sincèrement.
Authenticité bonhomme, poésie sans faux col: Bühler, avec ce spectacle très maîtrisé, rend au Major Davel le plus savoureux des hommages. Il nous convainc qu’un homme capable de s’écrier, le jour de son exécution: «Ceci est le plus beau jour de ma vie!» méritait mieux que la poussière du musée, de remonter une fois encore sur les planches…

ROBERT NETZ,
24 Heures,


Davel

On sent déjà un frémissement. Les politiciens du canton, les passionnés d’histoire, les patriotes, s’apprêtent à célébrer l’an prochain le trois centième anniversaire de la mort de notre héros vaudois, le Major Davel. On prépare des spectacles, des livres; certains demandent même la révision du procès, et la réhabilitation de celui dont la statue se dresse devant le Château, à Lausanne.
Le personnage m’a toujours été sympathique. Dans les années huitante, j’ai écrit et joué un spectacle, Le Retour du Major Davel, dans lequel j’incarnais le Major, revenu sur terre pour raconter son histoire.
Jean-Daniel-Abraham Davel, fils de pasteur, naît à Morrens en 1670. Alors, le canton de Vaud subit la domination bernoise, et depuis 1536! Avec le temps, le petit peuple s’est résigné à cette occupation. Quant aux bourgeois et aux notables, ils collaborent bien sûr avec l’ours de Berne, et en tirent des avantages qui leur font rejeter toute envie de changement.
Davel devient notaire à Cully, et se distingue dans la défense des plus modestes. Un jour de vendanges il y rencontre «la belle inconnue», une jeune femme mystérieuse qui lui prédit un destin extraordinaire. Il ne la reverra plus mais, mystique, en gardera le souvenir à jamais. À vingt-deux ans il entre au service mercenaire. On le retrouve sur divers champs de bataille, tantôt au service des protestants, tantôt dans les troupes catholiques… L’ordinaire, en ces temps-là. À quarante et un ans, il revient au pays, retrouve Cully et son étude de notaire. Les Bernois lui donnent la charge de major des quatre paroisses de Lavaux. Il a désormais trois compagnies sous ses ordres.
Il regarde autour de lui, constate la misère dans laquelle sont plongés les paysans. Il lit beaucoup: la Bible, et d’autres livres. Dans l’un d’eux, il découvre ces phrases qui le bouleverseront: «Du moment que les lois les plus authentiques, des souverains les plus légitimes, se trouvent en opposition avec les lois immuables écrites dans notre cœur, il n’y a pas à balancer. Il faut même, quoi qu’il en coûte, désobéir aux premières, pour ne donner aucune atteinte aux dernières ».
On peut donc se révolter, on peut donc se dresser contre ses maîtres, même si, comme on l’affirmait à l’époque, ils nous ont été donnés par Dieu, lui-même! Dès lors, sa route est tracée: il va libérer le canton de Vaud du joug bernois!
À la tête de six cents soldats, il marche sur Lausanne. Les hommes sont en armes, mais il leur a interdit de prendre des munitions: il est évident qu’il a raison! Les représentants de Berne sont dans leur capitale, pour leur réunion annuelle. Il est donc accueilli par le Conseil des nobles et des notables vaudois, à qui il expose son projet. On acquiesce, on l’invite à manger, on le fait dormir chez l’un d’eux… qui s’empresse, dans la nuit, d’envoyer un messager à Berne pour dénoncer cette rebellion! Le lendemain, Davel est arrêté, emprisonné au Château.
Ce sont les Vaudois eux-mêmes qui l’interrogeront et le tortureront, eux qui le condamneront à avoir le poing et la tête tranchée! Les Bernois, restés en retrait jusque-là, adoucissent le jugement: «Coupez-lui la tête, ce sera bien suffisant!» Le 24 avril 1723, à Vidy, Davel est décapité, après avoir déclaré: «Ceci est le plus beau jour de ma vie!»
Comment expliquer ma sympathie pour ce soldat? C’est que, bien qu’il ait été exécuté il y a près de trois cents ans, il reste exemplaire aujourd’hui. Dans sa fonction de notaire, il a toujours pris le parti des plus petits, participant à sa manière à la lutte des classes! Pour leur apporter la justice et la liberté, il n’a pas hésité à se dresser contre les puissants. Il a renoncé à utiliser la force des armes pour faire triompher son projet. Jusqu’au bout, il est resté fidèle à ses idéaux, et l’a payé de sa vie.
Il est amusant de constater qu’il a fallu attendre trois quarts de siècle, et le départ des Bernois, pour que les élites vaudoises – celles-là même qui l’avaient trahi – le sortent de l’oubli et le mettent sur un piédestal. A-t-on eu soudain besoin d’un héros? Et l’on peut se demander si les notables qui célébreront l’an prochain l’anniversaire du supplice sont très différents de ceux qui l’ont condamné. Le rappel de l’aventure du Major donnera-t-il lieu à des réflexions sur le présent, ou ne sera-t-il que le prétexte à des discours ronflants, avec fanfares et papet au poireaux à la clé?
N’y a-t-il pas de nos jours et chez nous des «Davel» que l’on méprise, et qu’on reconnaîtra dans cent ans?

MICHEL BÜHLER, Le Courrier, 2022

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