camPoche 21


Jean-Louis Kuffer

Impressions d’un lecteur à Lausanne

Une seconde jeunesse
(Lausanne, scène culturelle)
Texte inédit
2007. 224 pages. Prix: CHF 16.–
ISBN 978-2-88241-195-2, EAN 9782882411952


Biographie

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Une invitation à la lecture

Quiconque aime lire se réjouira d’en savoir un peu plus sur la vie littéraire à Lausanne, de la Réforme à nos jours. La parie historique et critique de ces Impressions d’un lecteur à Lausanne est passionnante et l’Abécédaire du lecteur Lausanne en fin de livre propose un choix, résolument subjectif, mais éclairé, de titres à lire et à relire, classés arbitrairement par ordre alphabétique. L’auteur, Jean-Louis Kuffer, lui-même écrivain, qui fut jusqu’à sa retraite (qu’il vient de prendre) le critique littéraire d’un quotidien lausannois, jette un regard lucide, sans complaisance, mais sans préjugé dénigrant sur sa ville et sur la place des lettres en ses murs.

«Une ville qui a mal tourné»

À l’heure où l’on s’apprête à voter sur le toit du futur parlement vaudois, on s’amuse à lire que déjà l’illustre historien Edward Gibbon parlait en 1796 d’une «ville mal bâtie» tandis que Victor Hugo écrit: «Lausanne n’a pas un monument que le mauvais goût puritain n’ait gâté». Et Ramuz de dénoncer une «ville qui a mal tourné», oscillant, dit Kuffer entre demi-mesures et sursaut grandiloquents dont procèdent la «monstruosité pseudo-florentine du Palais de Rumine ou celle de la triple masse de pierre grise de l’Hôtel des Postes et des deux temples bancaires obstruant la vue du lac de la place St-François.» Le chapitre sur la bohème lausannoise, Sainfe, le Barbare, la Cité, l’Expo 64 est savoureux. «Ni bourgeoise ni populaire, ni toute paysanne, ni vraiment urbaine», Lausanne n’a pourtant pas attendu longtemps pour faire ses humanités.

Viret, premier écrivain romand

Voltaire parle de «la petite Athènes du Nord», car il y a rencontré du côté de la villa de Montriond la meilleure société de la place qui répète ses pièces mieux qu’à Paris. «Je dois à cette ville mes jours les plus heureux», prétend-il! Il faut dire qu’il y fréquente le fameux Docteur Tissot autour duquel se forme un début de milieu littéraire. Vous remarquerez du reste très vite que, bon nombre de noms cités au fil des pages sont ceux de nos rues lausannoises! Ainsi la rue Pierre Viret rappelle «l’un des premiers écrivains romands par l’esprit et la tournure de l’expression», humaniste, polémiste, un «protestant», Professeur à la toute nouvelle Académie, la première école supérieure protestante implantée en territoire francophone, fondée à Lausanne en 1537 et qui devint un centre momentané de la vie intellectuelle.

Ville d’édition et de librairie

Cependant, du XVIe au XVIIIe siècle, Lausanne est surtout connue comme un foyer d’édition et de librairie. C’est à Lausanne que sont édités en 1569 «L’Institution chrétienne» de Calvin et les Vies des hommes illustres de Plutarque, ainsi que, au milieu du XVIIIe siècle, une Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en quarante-huit volumes de petit format et la Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire. Lausanne est toujours une ville d’éditeurs. On pense, dès le tournant du XXe siècle, aux éditions Bridel, Payot, Imer et Rouge, à Mermod, à la Guilde du Livre, à Bertil Galland, à Vladimir Dimitrijevic fondateur de l’Âge d’Homme, aux éditions Rencontre, l’Aire, les éditions d’En Bas, et d’autres encore; plus récemment Empreintes, premier éditeur romand en matière de poésie, Bernard Campiche en 1986, qui entretient une relation très personnalisée avec ses auteurs.

Au-delà des a priori

Les écrivains du pays trouveront donc à être publiés, mais leurs livres auront peine à passer la frontière, à quelques exceptions près. De Vinet à aujourd’hui, la liste est longue, variée. Les auteurs cités sont pasteurs ou professeurs, moralistes ou historiens, bien-pensants ou contestataires, romanciers, nouvellistes, poètes. Ont-ils des points communs? Juste Olivier disait: «Si en nous, quelque chose se met en mouvement, nous lui jetons aussitôt des bâtons dans les roues… Nous aimons à nous faire petits». Amiel a-t-il raison d’écrire que «le Vaudois sent plus qu’il n’exprime»? Eh bien, exprimer sera précisément la réaction des Cahiers vaudois créés en 1914 dont l’emblème «j’exprime» est une main qui presse une grappe! Ramuz, Gillard, Cingria, Budry sont aujourd’hui reconnus par ceux qui les ont honnis jadis; dans leur lignée le regretté Gaston Cherpillod, Anne Cuneo et d’autres. Une prise de conscience sociale et politique caractérise la littérature romande de la seconde moitié du XXe siècle, avec la création de la revue Rencontre et les Debluë, Haldas, Velan, Schlunegger. Il serait fastidieux de citer tous les noms connus et inconnus qui ont marqué la littérature romande et plus particulièrement lausannoise; on mesure vite son ignorance, ses préjugés, ses a priori que le livre de Kuffer démasque. Et l’on fait la liste de tous les livres qu’on a envie soit d’emprunter dans l’une de nos bibliothèques soit d’acheter ou d’offrir.

MYRIAM TÉTAZ
, Le Courrier de l’AVIVO

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Si Lausanne ne fut jamais vraiment un haut-lieu de littérature, la capitale vaudoise n’en a pas moins été, du Moyen Age à nos jours, le cadre d’une activité constante de l’édition et de la vie littéraire, avec des échappées sur l’Europe entière.
Qualifiée de «petite Athènes du nord» au temps de Voltaire, notre ville vit naître au début du XXe siècle, avec C. F. Ramuz et les Cahiers vaudois, une littérature romande à part entière marquée par la triple influence de la Réforme, du romantisme allemand et du goût français. Les grandes aventures de la Guilde du Livre et de Rencontre, avant l’essor impressionnant de l’édition romande dans les années 60, ont permis à plusieurs générations d’écrivains de s’exprimer et de trouver un public.
Après une évocation de Lausanne à travers ce que les écrivains en ont écrit, un portrait caustique de l’âme romande, un bref aperçu de chaque époque et un hommage aux artisans et passeurs du livre, ces Impressions d’un lecteur à Lausanne invitent à la découverte plus détaillée des œuvres contemporaines foisonnant à l’enseigne de la «seconde jeunesse» annoncée.

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Visions de lecteur
Impressions d’un lecteur à Lausanne entraîne son… lecteur dans une chevauchée historico-critique.

Bien que Voltaire la nommât «petite Athènes du Nord», Lausanne, note Jean-Louis Kuffer, «ne fut jamais un haut lieu de littérature». Voire. Au fil de ses huit chapitres, le critique littéraire de 24 Heures aborde toutes les facettes de la relation de la ville – et de ses environs – avec le livre.
Y compris les libraires-imprimeurs puis éditeurs dont dépend la diffusion de l’abondante production d’auteurs fort divers. Le coup de chapeau de l’écrivain Kuffer aux éditeurs, en particulier ceux de ces dernières décennies, rappelle le rôle de ces individualistes inspirés, perpétuellement écartelés entre désirs artistiques et nécessités économiques.
Mais, ouvrage d’érudition adroitement vulgarisée autant que vision personnelle d’un critique chevronné, ce petit livre dense se concentre sur les écrivains liés au chef-lieu vaudois et à sa région. Survol historique, examen critique, commentaire personnel, Kuffer aborde cette matière littéraire sans craindre de s’engager – même si ces Impressions sont plus construites, concertées et étayées que celles d’un passant à Lausanne, le divin Cingria étant reconnu par Kuffer comme l’auteur du «seul écrit littéraire entièrement consacré à notre ville, et le plus original aussi».
Se mêle ainsi au rappel érudit une précieuse évaluation critique, sans complaisance. De l’apport de Ramuz à celui des deux générations suivantes, la perspective cavalière tracée par Kuffer débouche sur l’état de la littérature d’aujourd’hui et une tentative d’ouverture sur l’avenir.
En annexe, un abécédaire consacre une notice à plus de septante romans. D’Adolphe (Benjamin Constant, 1816) à Vorace (Anne-Sylvie Sprenger, 2007), notations concises et pertinentes invitent à lire, peut-être à relire, des œuvres emblématiques d’un lieu, d’un temps, d’une mentalité.
Entreprise téméraire, ces Impressions étreignent moins qu’elles n’embrassent, par force: de 1481 (premier fascicule imprimé en Pays de Vaud) à 2007, le livre à Lausanne est un phénomène hétéroclite. Et pourtant Kuffer – qui se cite à la troisième personne – réussit l’exercice: un ciment tient tout cela ensemble, et sa personnalité, son sentiment pour la littérature, tel qu’on les retrouve dans ses chroniques de 24 Heures et sur son riche blog.

JACQUES POGET, 24 Heures

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Impressions d’un lecteur à Lausanne

Ceci n’est pas une enième histoire de la littérature vaudoise. Mais une invitation à lecture, en préférant les textes à la sociologie de leur production. De la Réforme à nos jours, Jean-Louis Kuffer explore ce qui relie, de près ou de loin, des livres et une ville, Lausanne. Décor de romans ou lieu de vie littéraire. C’est aussi, en dernière partie de ces impressions de lecture, l’occasion de saluer l’effervescence éditoriale qui anima la capitale vaudoise dès les années 1960. Et, peut-être, de s’interroger sur la pérennité de cet engouement pour le livre en Suisse romande.

JACQUES STERCHI, La Liberté

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Impressions d’un lecteur à Lausanne
Entretien de Serge Molla avec Jean-Louis Kuffer

Si Lausanne ne fut jamais un haut-lieu de littérature, la capitale vaudoise n’en a pas moins été, du Moyen Age à nos jours, le cadre d’une constante activité du point de vue de l’édition et de la vie intellectuelle et littéraire, avec des échappées sur l’Europe entière.

— Vous publiez un essai intitulé Impressions d’un lecteur à Lausanne. Serait-ce à dire que vos impressions sont liées précisément à cette ville? En outre, vous avez donné pour sous-titre à vos pages «Une seconde jeunesse», pourriez-vous l’expliciter?
— L’ancrage lausannois de ce livre, dont j’ai passablement débordé, est essentiellement lié au projet de la collection dans lequel il paraît, intitulée Lausanne, scène culturelle, et qui visait, dans l’esprit de ses initiateurs (notamment Marie-Claude Jequier et René Zahnd) à documenter l’effervescence de la culture à Lausanne depuis la fin des années soixante. Mes impressions de lecteur sont de partout, mais je savais trouver à Lausanne, et surtout au XXe siècle, une matière littéraire abondante et de qualité. Le titre est un clin d’œil aux Impressions d’un passant à Lausanne de Charles-Albert Cingria, qui a été l’un de mes premiers «maîtres» à sentir et à écrire, et qui a évoqué Lausanne comme personne alors qu’il ne faisait qu’y passer. Quant à la «seconde jeunesse», elle désigne précisément, après ce qu’on pourrait dire la naissance d’une littérature romande consciente d’elle-même, autour des Cahiers Vaudois fondés vers 1914 par Ramuz, Budry, Gilliard et quelques autres, le deuxième souffle qu’ont marqué, autour de Bertil Galland, d’une part, et de Vladimir Dimitrijevic, fondateur de L’Age d’Homme, d’autre part, les foisonnantes dernières décennies du XXe siècle, jusqu’aujourd’hui.

— Existe-il véritablement, à vos yeux, une littérature romande, ou seulement une littérature en Romandie?
— Quand on veut esquiver le débat, on se contente de dire qu’ «il y a de la littérature en Suisse romande», mais je suis de plus en plus convaincu que la littérature de ce pays n’est en rien un «bricolage identitaire», même s’il est réducteur ou stérilisant de la typer comme elle l’a été à l’enseigne d’une sorte de spiritualisme esthétisant. Je me suis souvent élevé, pour ma part, contre la notion d’«âme romande», qu’Etienne Barilier a raillée lui aussi dans un pamphlet au titre explicite de Soyons médiocres. Cela étant, il y a bel et bien une complexion romande, absolument distincte et souvent incomprise de l’esprit français, que je me suis attaché à décrire dans la première partie de ce livre. Cette idiosyncrasie composite est liée autant à nos sources protestantes qu’à notre façon de vivre la latinité, à l’influence du romantisme, au nomadisme de nos pères, à notre enracinement terrien, à nos pratiques de la démocratie – toutes choses distinctes du goût français qui nous guide pourtant lui aussi…

— Quel est aux yeux du lecteur l’influence du protestantisme sur la littérature romande? Hier? Aujourd’hui? Ne faut-il le percevoir que d’un point de vue moral, jusqu’à ne le considérer qu’à travers l’adjectif «calviniste»?
— Elle est encore considérable, jusque chez ceux qui s’en croient «libérés», n’y voyant souvent qu’un poids ou qu’une entrave. Issu d’une génération qui n’a justement vu du «calvinisme» que la contrainte morale, de type puritain, et qui a fait de la transgression une règle, j’ai moi aussi réagi contre cette «oppression», sans me rendre compte que c’était encore une forme de protestantisme que de s’y opposer, sans voir non plus le ferment puissant du puritanisme en littérature, comme l’illustre un Jacques Chessex. J’ai bien tenté, dans mes jeunes années, de me rapprocher du catholicisme, mais je me sens essentiellement un protestant, à savoir un individualiste peu soucieux des dogmes et guère attiré par la magie, en phase avec la nature, qui tutoie Dieu et le Christ et dont la religion relève de l’éthique et de la poésie, voire de la mystique contemplative, plus que de l’Église, de ses rites et de ses liens. Or cette complexion morale, de Viret à Vinet et d’Amiel à Philippe Jaccottet, me paraît caractéristique de la littérature romande.

— Que représente pour vous la lecture, aujourd’hui où de plus en plus d’ouvrages sont édités, qu’au même moment ferment de nombreuses librairies et que l’avenir de nombreuses maisons d’édition en Suisse romande est incertain?
— Quatre questions en une ! Mais je dirai d’abord que la lecture est multiple, et que l’essentiel tient à instaurer ou restaurer un lien vivant avec le monde, les autres et soi-même. Dès qu’il y a une conscience éveillée, une attention, une lecture du monde au sens le plus large, je dirais que la moitié du chemin est faite. La seconde moitié passe par la relation à l’autre, le partage et l’échange. De lecteur, je deviens libraire ou éditeur en transmettant ce que j’ai reçu. C’est comme une respiration: recevoir et donner, lire et en parler ou en écrire. C’est comme l’amour aussi, et c’est rare. La Qualité est rare. Dans un monde courant de plus en plus derrière le Chiffre, qui est plutôt de l’ordre de la Quantité, la Qualité en pâtit souvent, mais pas toujours. Je ne suis pas contre le commerce du livre, si celui-ci me ramène au foyer intime de la Qualité. Reste à discerner celle-ci et à lui permettre de survivre, qui implique alors une politique – et là je deviens pessimiste…

— Vous dirigez une revue littéraire intitulée Le Passe-Muraille? Quelles murailles sont aujourd’hui à passer, voire à faire tomber?
— Muraille de la Masse et du Chiffre. Muraille de la saturation. Muraille de l’indifférence et du blasement. Muraille du conformisme et de l’agitation grégaire. Muraille des idéologies et des préjugés. Muraille de la stupidité et de la vulgarité. L’inventaire est loin d’être exhaustif. Passons à travers…

— Vous êtes critique littéraire depuis bien des années et probablement l’un des plus libres, aussi comment jugez-vous l’état de santé de la littérature francophone? Et secondement de la littérature publiée en Suisse romande? Et la critique précisément?
— J’ai de la peine à donner des notes par «cantons». La francophonie littéraire est un archipel littérairement foisonnant, mais je suis de moins en moins porté à la séparer de la «littérature-monde», pour citer une nouvelle notion intéressante lancée par Michel Le Bris et Jean Rouaud. En ce qui concerne la périphérie helvétique francophone, j’y vois une quantité d’œuvres fortes ou originales, mais complètement inaperçues de la «centrale» française. Voyez Georges Haldas, Maurice Chappaz, Alexandre Voisard, Jean-Marc Lovay, Corinne Desarzens, Anne-Lise Grobéty, bien d’autres: inexistants à Paris ! Dans les grandes largeurs, tous pays confondus, je constate un évident étiolement de la littérature européenne, dont la relève est plus encore sporadique. Quant à la critique en Suisse romande, je me contenterai de rappeler qu’il y a trente ans, lorsqu’un livre d’un auteur paraissait, il avait des chances d’être lu et commenté par une quinzaine de critiques suivant fidèlement la production. Actuellement, ce chiffre est tombé à moins du tiers. L’attention réelle à la littérature romande est devenue rare, tant d’ailleurs chez les libraires que chez les critiques, sans parler des enseignants…

— Parallèlement à votre engagement de critique, vous écrivez vous-même (de la fiction), une chance ou un handicap?
— Les deux activités relèvent de la même démarche, mais à des niveaux d’implication très différents. Le critique travaille à l’explication, dans un langage visant à l’immédiate communication. L’écrivain, romancier ou poète, s’approprie pour ainsi dire le langage et le travaille, le malaxe, le rêve, le féconde en s’engageant plus entièrement dans l’écriture. Du point de vue de l’approche critique, l’engagement dans l’écriture peut être un handicap («mon verbe contre le tien») comme il peut être une chance: d’apprécier l’ouvrage de l’intérieur, en humble ouvrier ou en maître artisan, mais non en juge ou en pion. Les meilleurs critiques littéraires sont souvent des écrivains, mais ceux-ci font parfois de piètres critiques. Actuellement, la critique cède hélas le pas au bavardage ou à la glose pseudo-scientifique, en Suisse romande comme partout ailleurs. Enfin, je dirais qu’être critique ne vous garantit pas, si vous êtes aussi écrivain, la bienveillance de vos pairs: bien au contraire…

— Si vous recommandiez trois ouvrages récents, un roman, un recueil de poèmes et un essai, quels seraient-ils?
— Je ne saurais vous recommander moins de trois romans (Lignes de faille, de Nancy Huston; Fracas, de Pascale Kramer; et La Corde de mi, d’Anne-Lise Grobéty), trois recueils de poèmes (Partie de neige, de Paul Celan; La Part des anges, de Jean-Luc Sarré; et Partition rouge, anthologie des poèmes et chants des Indiens d’Amérique du Nord) et trois essais (La littérature en péril, de Tzvetan Todorov; La Construction de soi, d’Alexandre Jollien; et Tous les enfants sauf un, de Philippe Forest) mais je vous en proposerai trois fois trois autres demain…

Propos recueillis par SERGE MOLLA, Le Protestant

Propos recueillis par Serge Molla
Cet entretien a paru dans Le Protestant, No 5, mai 2007.

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Impressions d’un lecteur à Lausanne, par Jean-Louis Kuffer

Jean.Louis Kuffer est un immense lecteur. On le savait attentif à tout ce qui se passe ailleurs et ici. Les Impressions d’un lecteur à Lausanne prouveraient son implication aux littératures de chez nous, s’il était nécessaire.
Impressions d’un lecteur à Lausanne, par Jean-Louis KufferJean-Louis Kuffer y a en effet entrepris de parler de tout ce qui tourne autour de Lausanne littérairement. Imprimerie, édition, écriture, écrivains, depuis les grands hommes qui ont passé dans la ville (Voltaire, Gibbon, Hugo...) jusqu’aux auteurs dont le rayonnement est resté plus local (Juste Olivier, le Doyen Bridel...) Ce livre qui se place sous le patronage des Impressions d’un passant à Lausanne, de Charles-Albert Cingria, donne donc un vaste panorama passionnant, qui suit trois veines.
La veine historique d’abord. Des premiers textes publiés (des écrits de «prélats catholiques de passage dans la ville épiscopale, comme il en va d’un Antitus ou d’un Martin Le Franc, dont les œuvres émargent de près ou de loin à la littérature édifiante ou divertissante de l’époque») à l’époque actuelle et même future: des projections sur ce que sera l’édition romande dans quinze ans.
Deuxième veine, il y a aussi dans le livre une analyse de l’âme romande. Telle que l’ont formée les circonstances particulières, historiques et religieuses. Telle que l’ont critiquée aussi Henri-Frédéric Amiel, lequel voyait dans les Vaudois «pesanteur, profondeur, rêverie, défiance, sauvagerie...», ou Étienne Barilier, dans son pamphlet Soyons médiocre. Ce pamphlet qui a fait tant de bruit lors de sa parution accusait les Romands d’accueillir toute création littéraire avec une «vigilante apathie», et citait par exemple comme devise de l’écrivain romand idéal ce vers de Jaccottet: «L’effacement soit ma façon de resplendir».
Et enfin, troisième veine: un point de vue personnel et critique. Subjectif, forcément subjectif. C’est ce qu’on demande à ce type d’ouvrage pour qu’il soit vivant. Une vision, un point de vue, le regard d’un écrivain sur ses pairs et compagnons de route. Regard qui passe par quelques critiques d’auteurs que Kuffer pense surévalués (Ivan Farron ou Noëlle Revaz) et par les éloges à celles et ceux qui font œuvre originale et forte (Pascale Kramer, par exemple, ou Anne-Lou Steininger).
L’ouvrage est suivi d’un délicieux abécédaire. Qui part d’Adolphe, finit à Vorace et est composé avec la rigueur teintée de fantaisie qui mène tout l’ouvrage.
Kuffer, justement sera à Morges samedi 9 juillet 2007. À La librairie Sylviane Friederich, rue des fossés 2, avec quelques amis. Rafik Ben Salah, Asa Lanova, Janine Massard, Antonin Moeri, Jean-Michel Olivier et Pierre-Yves Lador. Que du beau linge. Dans un décor, en plus, qui rendra hommage à Horst Tappe en exposant un choix de ses photographies consacrées aux auteurs romands. Une bonne occasion pour vivre un moment littéraire, rencontrer des écrivains, parler de livres et d’auteurs, qu’ils soient dans les Impressions ou pas: Kuffer a tout lu.
Et bien entendu, on n’oublie pas de visiter les carnets de JLK, son blog, un des plus riches du web en ce qui concerne la littérature.

Blog d’ALAIN BAGNOUD

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Lausanne en toutes lettres

Voilà un livre bien précieux. Il aura fallu qu’il sorte de presse pour qu’on s’aperçoive qu’il nous manquait. Lausanne, dans son rayonnement vaudois, ciblée dans sa littérature, se donne une dimension nouvelle. Ce n’est plus seulement cette ville tendue vers un avenir économique et technocratique, architectural et estudiantin, où l’EPFL l’emporte sur l’université. C’est redevenu, par la magie des évocations, cette ville un peu rêveuse et molle, étalée plus qu’étendue devant son lac et ses montagnes maternantes. Une ville que chacun s’acharne à voir laide, ratée, la ville qui a mal tourné et qui, pourtant, sûre d’elle et de son charme, se moque éperdument de ce qu’on peut en penser. Avec ses bâtiments très lourds, son urbanisme anarchique et ses couleurs mal ajustées, Lausanne, à la barbe de tous ses détracteurs, a toujours trouvé les moyens d’être une belle ville, selon des critères qui n’appartiennent qu’à elle.
Jean-Louis Kuffer nous présente sa ville sous une autre facette, dont on découvre qu’elle était indispensable pour pénétrer plus avant dans sa définition. Lausanne, c’est aussi cette auréole de livres, de textes, d’écrits, de considérations, de réflexions nés à partir d’elle. Il y a ce qui s’est écrit sur Lausanne, mais surtout ce qui s’est écrit à Lausanne, à partir de Lausanne, et qui n’aurait pas été pareil venu d’ailleurs. On n’écrit pas à Lausanne comme on écrit à Genève et plus encore à Paris. Il y a un génie du lieu et c’est le recensement de tout ce qui est sorti de ce creuset particulier et très personnalisé qui constitue la matière historique et vivante du livre de Jean-Louis Kuffer.
Il y a d’abord l’Histoire. Lausanne n’est pas née d’hier. On peut remonter au Moyen Âge ou à la Réforme. C’est, en fait, le XVIIIe siècle qui ouvre les feux. L’Anglais Edward Gibbon écrit à Lausanne son grand livre Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain et Lausanne, avec sa position légèrement surélevée et face à son paysage grandiose y acquiert une sorte de statut d’arbitrage au-dessus des tempêtes de l’Histoire. L’hiver, il croise Voltaire qui trouve le climat de Lausanne plus doux que celui de Ferney et qui consulte le docteur Tissot pour des maux d’estomac.
Le XIXe siècle lausannois est très riche. Lausanne, qualifiée de «petite Athènes du nord» par Voltaire, recueille dans son université de grands esprits, tels Sainte-Beuve ou encore Adam Mickiewicz. Benjamin Constant, né à Lausanne en 1767, est devenu le porte-parole des idées libérales. Alexandre Vinet est au centre de la constellation littéraire proprement lausannoise. En 1840, il peut écrire: «Cette ville qui était alors un simple chef-lieu de baillage bernois possédait un renom étendu de politesse et d’urbanité. Les lettres y étaient cultivées; les étrangers en aimaient le séjour; une société brillante et choisie s’y trouvait habituellement réunie.»
Mais si tout cela était bon et utile à rappeler, il faut bien dire que ce qui nous a le plus intéressé dans le livre de Jean-Louis Kuffer, c’est notre histoire à nous, celle de la littérature de l’après-guerre, celle de nos contemporains et voisins.
Bien sûr, il y a eu d’abord la première moitié du XXe siècle, dont il faut rappeler, modestement, pour ceux qui en sont les héritiers, qu’elle fut le grand moment de la littérature à Lausanne comme dans toute la Suisse romande. Mais surtout à Lausanne dans la mesure où Ramuz et les Cahiers vaudois ont été à l’origine de ce qu’il faut appeler l’identité littéraire romande. Une identité comme une invention: une manière d’écrire, de ressentir, d’appréhender le monde qui n’était plus celle de Paris et de son génie propre. L’écrivain vaudois et plus généralement romand pourra revendiquer et revendiquera désormais une littérature autonome, confinée dans un espace très petit, mais pas provinciale pour autant, parce que dégagée d’un mode d’être issu de la capitale.
À partir des années 1920, nos écrivains auront un pied dedans (la Suisse politique, économique, administrative) et un pied dehors (la France qui reste notre espace culturel). C’est à Lausanne, à partir du début du siècle, que s’élaborera cette forme d’ambiguïté qui nous définit encore aujourd’hui.
Ce qui est vrai pour Ramuz l’a aussi été pour Cingria et pour tous les écrivains de ce pays nés ici et qui sont restés ici. Ceux qui n’étaient pas d’accord sont partis, tels Cendrars, Pinget ou, dans une moindre mesure, Denis de Rougemont. On remarquera que la plupart d’entre eux n’étaient pas vaudois, si l’on excepte Édouard Rod. On pourrait presque dire que les Vaudois, et d’abord les Lausannois, sont ceux qui sont restés ou n’ont pas été voyageurs, comme Nicolas Bouvier. Ceux qui sont restés, finalement, ont trouvé les moyens d’écrire et de publier dans leur pays.
À partir des années 60, Jean-Louis Kuffer a lu, suivi, connu tous les acteurs de la littérature romande et, bien entendu, avant tout les écrivains et éditeurs lausannois. Il a été si proche d’eux, et pendant quarante ans, que personne en Suisse romande n’était plus autorisé à écrire ce livre qui raconte la littérature vue de Lausanne. Il est né à Lausanne et vit et travaille toujours à Lausanne. Il était si pressé d’être critique littéraire qu’il a court-circuité ses études de lettres. D’abord à l’ex-Tribune de Lausanne, de René Langel, puis à 24 Heures, il est l’écho, le miroir, l’interlocuteur des écrivains d’ici (en priorité), mais aussi d’ailleurs.
L’histoire littéraire lausannoise, avec ses acteurs, ses mœurs, ses rituels, a trouvé ainsi son historien. D’autant plus complice qu’il est l’un des leurs. Proche de l’édition, présent dans toutes les manifestations, il est aussi écrivain et non des moindres. Il n’est pas un aspect de la vie lausannoise culturelle qu’il ne connaisse. Nous avions déjà beaucoup de livres sur nos écrivains, mais très peu qui aient su faire le pont entre le passé et un présent tout proche. La meilleure façon de connaître Lausanne, c’est d’entrer dans ses livres et la meilleure façon d’entrer dans ses livres, c’est de commencer par lire les Impressions d’un lecteur à Lausanne de Jean-Louis Kuffer.

CLAUDE FROCHAUX, Le Passe-Muraille No 74

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Des richesses à découvrir

De son côté, Jean-Louis Kuffer, un des meilleurs connaisseurs du sujet, propose un parcours, à la fois subjectif et très complet. Même si elles se concentrent sur le chef-lieu vaudois, ses Impressions d’un lecteur à Lausanne livrent un éclairage passionnant sur cette littérature. Auteur et critique à 24 Heures, Jean-Louis Kuffer retrace la riche vie littéraire de cette ville, avec ses figures marquantes (où l’on retrouve, entre autres, Ramuz, Roud ou Jaccottet) et ses moments clés comme l’aventure des Cahiers vaudois ou l’essor de l’édition dans les années 1960.
En s’intéressant aux écrivains, aux éditeurs et aux passeurs du livre, il ne se contente pas d’un panorama, accessible à tous: il y a là une fine analyse d’un certain état d’esprit – cette mystérieuse «âme romande» – et une subjectivité assumée, notamment dans la façon d’aborder les écrivains d’aujourd’hui. Ses pages sur Chessex, par exemple, sont remarquables.
L’ouvrage se conclut par un abécédaire, sorte de bibliothèque idéale de la littérature vaudoise, la plus riche de Suisse romande. Une manière d’inviter encore davantage à la lecture. Derrière la légèreté que pourrait suggérer son titre (qui renvoie à Cingria), ces Impressions d’un lecteur à Lausanne ont déjà les allures d’un ouvrage de référence.

ÉRIC BULLIARD, La Gruyère

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Extraits (Acrobat, 84 Ko)
Abécédaire du lecteur à Lausanne (Acrobat, 100 Ko)

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